662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)

Publié le par 1rΩm1

 

À pas de crabe, à pas de cancre

— Paris, Florence, Sienne, Florence, Paris —

Journal extime

(17-29 octobre 2015)

 

23 octobre

Matin

Je me rends sur la Piazza del Campo et visite le Museo Civico.

Je fais un certain nombre de photographies :

les dossiers marquetés des stalles de la Chapelle exécutées par Domenico di Niccolò (1415-1418)

les dossiers marquetés des stalles de la Chapelle exécutées par Domenico di Niccolò (1415-1418)

le Guidoriccio da Fogliano de Simone Martini (1328)

le Guidoriccio da Fogliano de Simone Martini (1328)

la Maestà du même Simone Martini (1315-21)

la Maestà du même Simone Martini (1315-21)

— et surtout la Salle de la Paix et ses fresques du Bon et du Mauvais Gouvernement,

Fresque du Bon Gouvernement [détail] par Ambrogio Lorenzetti © Internet

Fresque du Bon Gouvernement [détail] par Ambrogio Lorenzetti © Internet

dont j’apprendrai ensuite en lisant Patrick Boucheron1 que cette lecture allégorique leur est postérieure — qu’elles illustraient avant tout une époque de paix et de prospérité, de concorde civique et domestique, opposée, d’un mur à l’autre, à une période de discorde, de guerre et de dévastation infernales, qui pourrait revenir, avec le secours d’allégories proprement évidentes — cette lecture politique leur étant postérieure, mais non sans liens avec une propagande originelle pour le Gouvernement des Neuf alors en place à Sienne, commanditaire des peintures2.

662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)
662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)
662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)

Sur la terrasse, la vue convoque, d'une autre sorte, le geste photographique3...

662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)
662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)

 

Après-midi

Celui-ci est aussi bien rempli.

C’est avec une lenteur voulue que je visite la cathédrale, dont les piliers noir et blanc m’évoquent (sans vraie raison) les arcs blanc et rouge de la Mosquita de Cordoue — dont tout autre est pourtant la physionomie.

662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)
662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)
662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)
662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)
662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)

Le pavement (presque entièrement découvert) est magnifique.

662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)
662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)

Je visite ensuite — à défaut de celui de Florence la veille — le musée de l’Œuvre (Museo dell’Opera del Dumo) : si je m’abstiens devant la superbe Maestà de Duccio, dont le verso retrace des scènes de la Passion du Christ qui découragent toute prise photographique, je me hasarde à le faire pour cette vierge à l’enfant de Donatello.

Donatello (1386-1466), Madonna con il Bambino detta “Madonna del Perdono” (circa 1457)

Donatello (1386-1466), Madonna con il Bambino detta “Madonna del Perdono” (circa 1457)

Sans être certain d’y avoir réussi, je fais plusieurs clichés du crucifix de Giovanni Pisano,

Giovanni Pisano, Crocifisso (1270-1280)

Giovanni Pisano, Crocifisso (1270-1280)

et de ce Christ mort de Sodoma.

 

Giovanni Anton io Bazzi detto il Sodoma (1477-1549), Cristo morto

Giovanni Anton io Bazzi detto il Sodoma (1477-1549), Cristo morto

Et je ne reste pas insensible à cette sainte Catherine de Sienne buvant à même la côte le sang du Christ par Francesco Vanni.

Francesco Vanni, Santa Caterina da Siena beve il Sangue dal costato di Cristo

Francesco Vanni, Santa Caterina da Siena beve il Sangue dal costato di Cristo

Cependant, je diffère au lendemain la visite du Baptistère et de l’Oratorio.

662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)

 

Fin d’après-midi

Le soleil versant à l’occident teinte de plus de rose encore la Piazza del Campo.

662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)

La Maredsous brune que je bois sur la place — mais il fait un peu frais pour la boire à l’extérieur et je reflue près du bar (ce faisant, je suis le seul client installé à l’intérieur) — m’est servie par une fort jolie serveuse, qui pousse la chansonnette tout en déposant son plateau, non sans talent.

Je me retrouve à chercher vainement le nom de ces deux frères — sont-ce d’ailleurs deux frères ? à la réflexion, ce seraient plutôt deux noms accolés, quelque chose comme Fruttero et un nom en —i — dont j’ai lu un roman prêté par Valérie sur l’histoire d’un couple qui se rend au Palio (auteurs dont j’avais préféré l’Amant sans domicile fixe).

[Place de Sienne, côté ombre, par Carlo Fruttero et Franco Lucentini — dont le titre était resté sans doute à un état inconscient, lié à la photographie de la place gagnée par l’ombre du soleil déclinant qui m’avait fait verser dans la poésie !]

662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)

 

Soir

 

Le bar à vins où j’avais, après dîner, l’intention de boire un verre est fermé.

Je fais donc une promenade que j’étire en lenteur d’autant mieux que mes pieds n’en peuvent plus — même s’ils sont moins inégaux qu’à Florence — des pavés. Et quoique je n’aie guère fait qu’un tour de quartier, rentré et couché, la fatigue me fera quitter au bout de quelques pages le roman de Thomas Hardy que je suis en train de lire…

 

-=-=-=-=-=-

1Patrick Boucheron, Conjurer la peur, Sienne, 1338, Essai sur la force politique des images, Seuil, 2013.

1 2 « En s'allongeant sur trois des quatre murs de la “salle de la Paix” (sala della Pace) où se réunissaient les Neuf (c'est-à-dire les neuf magistrats qui gouvernaient la commune), la fresque d'Ambrogio Lorenzetti présente avec calme et détermination rien moins qu'un programme politique. Un programme d'une audace stupéfiante, puisqu'il proclame ceci qui est, ou devrait être, le chiffre de toute république : si ce gouvernement est bon, ce n'est ni parce qu'il est inspiré par une lumière divine ni parce qu'il s'incarne dans des hommes de qualité ; ce n'est pas même parce qu'il bénéficie d'une légitimitéplus solide ou de justifications plus savantes ; c'est simplement parce qu'il produit des effets bénéfiques sur chacun, concrets, tangibles, ici et maintenant — que tout le monde peut voir, dont tout le monde bénéficie, et qui sont comme immanents à l'ordre urbain.

Tel est donc ce récit ample et étiré, cette frise que l'on appelle aujourd'hui “fresque du bon gouvernement”. » (p. 21)

3 « Le moyen de sortir de cette obsession ? Sur le mur sud, la seule fenêtre ouverte de la salle donne sur le paysage somptueux qui s’offre depuis la loggia, à l’étage supérieur : aujourd’hui, la place du marché qui se loge dans une échancrure entre deux collines — avec au loin la présence massive et paisible de la Certosa di Maggiano. » (p. 246)

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article