662 - À pas de crabe, à pas de cancre (8)
23 octobre
Matin
Je me rends sur la Piazza del Campo et visite le Museo Civico.
Je fais un certain nombre de photographies :
— et surtout la Salle de la Paix et ses fresques du Bon et du Mauvais Gouvernement,
Sur la terrasse, la vue convoque, d'une autre sorte, le geste photographique
...
Après-midi
Celui-ci est aussi bien rempli.
C’est avec une lenteur voulue que je visite la cathédrale, dont les piliers noir et blanc m’évoquent (sans vraie raison) les arcs blanc et rouge de la Mosquita de Cordoue — dont tout autre est pourtant la physionomie.
Le pavement (presque entièrement découvert) est magnifique.
Je visite ensuite — à défaut de celui de Florence la veille — le musée de l’Œuvre (Museo dell’Opera del Dumo) : si je m’abstiens devant la superbe Maestà de Duccio, dont le verso retrace des scènes de la Passion du Christ qui découragent toute prise photographique, je me hasarde à le faire pour cette vierge à l’enfant de Donatello.
Sans être certain d’y avoir réussi, je fais plusieurs clichés du crucifix de Giovanni Pisano,
et de ce Christ mort de Sodoma.
Et je ne reste pas insensible à cette sainte Catherine de Sienne buvant à même la côte
par Francesco Vanni.
Fin d’après-midi
Le soleil versant à l’occident teinte de plus de rose encore la Piazza del Campo.
La Maredsous brune que je bois sur la place — mais il fait un peu frais pour la boire à l’extérieur et je reflue près du bar (ce faisant, je suis le seul client installé à l’intérieur) — m’est servie par une fort jolie serveuse, qui pousse la chansonnette tout en déposant son plateau, non sans talent.
Je me retrouve à chercher vainement le nom de ces deux frères — sont-ce d’ailleurs deux frères ? à la réflexion, ce seraient plutôt deux noms accolés, quelque chose comme Fruttero et un nom en —i — dont j’ai lu un roman prêté par Valérie sur l’histoire d’un couple qui se rend au Palio (auteurs dont j’avais préféré l’Amant sans domicile fixe).
[Place de Sienne, côté ombre, par Carlo Fruttero et Franco Lucentini — dont le titre était resté sans doute à un état inconscient, lié à la photographie de la place gagnée par l’ombre du soleil déclinant qui m’avait fait verser dans la poésie !]
Soir
Le bar à vins où j’avais
l’intention de boire un verre est fermé.Je fais donc une promenade que j’étire en lenteur d’autant mieux que mes pieds n’en peuvent plus — même s’ils sont moins inégaux qu’à Florence — des pavés. Et quoique je n’aie guère fait qu’un tour de quartier, rentré et couché, la fatigue me fera quitter au bout de quelques pages le roman de Thomas Hardy que je suis en train de lire…
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1Patrick Boucheron, Conjurer la peur, Sienne, 1338, Essai sur la force politique des images, Seuil, 2013.
1 2 « En s'allongeant sur trois des quatre murs de la “salle de la Paix” (sala della Pace) où se réunissaient les Neuf (c'est-à-dire les neuf magistrats qui gouvernaient la commune), la fresque d'Ambrogio Lorenzetti présente avec calme et détermination rien moins qu'un programme politique. Un programme d'une audace stupéfiante, puisqu'il proclame ceci qui est, ou devrait être, le chiffre de toute république : si ce gouvernement est bon, ce n'est ni parce qu'il est inspiré par une lumière divine ni parce qu'il s'incarne dans des hommes de qualité ; ce n'est pas même parce qu'il bénéficie d'une légitimitéplus solide ou de justifications plus savantes ; c'est simplement parce qu'il produit des effets bénéfiques sur chacun,
« Le moyen de sortir de cette obsession ? Sur le mur sud, la seule fenêtre ouverte de la salle donne sur le paysage somptueux qui s’offre depuis la loggia, à l’étage supérieur : aujourd’hui, la place du marché qui se loge dans une échancrure entre deux collines — avec au loin la présence massive et paisible de la Certosa di Maggiano. » (p. 246)