655 - In memoriam J.-M. (10)

Publié le par 1rΩm1

Bangkok, le 14 août 1988 [suite]

22 heures.

Ce peuple en lutte. Je ne suis pas près d’oublier.

Rangoon [?], 9 août 1988

Rangoon [?], 9 août 1988

Il y a cette fatigue encore. J’ai cherché Omar et Jeanne. Il semble qu’ils ne soient [toujours] pas rentrés…

J’ai déjà des projets pour l’an prochain. Si l’argent suit, j’irai au Népal, et, si un dénouement a eu lieu, retournerai en Birmanie. J’ai compté que, depuis treize mois, j’avais passé deux mois et demi en Asie…

 

Bangkok fatigante. Mais je ne la quitterai pas avant d’avoir eu des nouvelles des deux délaissés à Pagan (nous n’étions pas logés au même endroit, eux ayant préféré le confort d’un grand hôtel à celui, plus rudimentaire, d’une guesthouse).

J’ai fait la sieste après déjeuner, puis quelques achats. Commandé un pantalon et une chemise chez un tailleur. Acheté une cassette de Strauss (Richard). C’est là ce que j’entends sous le casque du walkman.

J’ai réclamé des photos auprès de Loïc, Patrick et Sophie. Vous verrez un peu la Birmanie. (Pourvu que cela ne tourne pas à l’obsession !) Vous devez être en Chine, à l’heure actuelle…

 

L’histoire du petit cheval. A Pagan, j’ai acheté pour ma nièce une marionnette complètement articulée (même les yeux bougeaient). Avant de m’embarquer, j’ai réalisé que je l’avais oubliée dans la salle d’attente de l’aéroport de Rangoon… J’ai couru de l’avion jusque là, mais il était trop tard déjà, quelque Birman l’avait déjà volée. Avec la veste de Chiang-Maï, ce sera un grand regret de ce voyage…

 

Fatigue. Mycose. Mal de ventre. A Rangoon, je m’étais coupé après le loquet de la douche. Hôtel crasseux, loquet rouillé. Le soir, le doigt enflait. A Mandalay, je me suis enquis d’une pharmacie. L’on m’a conduit au dispensaire. L’on m’a donné des antibiotiques (l’on voulait me faire un sérum antitétanique !). Je n’ai pas payé, puisque les soins médicaux en Birmanie sont gratuits. C’est bien la seule chose de « socialiste » qu’il m’a été donnée de voir dans ce pays… Entre le climat humide à l’excès de Rangoon et Pagan, beaucoup plus sèche mais envahie d’une continuelle poussière, la mycose a fait son nid. Heureusement, à Bangkok, on trouve aisément du dakin…

 

C’est sans emporter mon carnet d’adresses que je suis parti en vacances. Je m’étais contenté de recopier quelques noms pour m’alléger. L’affaire birmane occupe la première page des journaux, ainsi que j’ai pu voir en rentrant hier soir ici. J’ai donc pris un taxi pour me rendre à la poste centrale et envoyer un télégramme à ma grand-mère. J’espère que mes parents, au Mexique, n’auront rien su des événements. Tout ce petit monde aura pu fortement s’inquiéter en ignorant qu’il n’y avait, en fait, pas de quoi. A Rangoon, les manifestants nous demandaient de prendre des photos pour qu’on publie, en dehors du pays, qu’ils luttaient pour la démocratie. Espérons que cela est vrai. Que, derrière cette révolution, ne sont pas embusqués de sombres intérêts, des spéculateurs prompts à quelque récupération… Et ces manifestants envahissant les monuments religieux afin de prier, avant de, peut-être, mourir… Et nous, spectateurs, avec nos yeux de l’Occident…

 

NB : La musique est belle, ce soir. Mort et transfiguration. C’est un beau titre, non ?

 

PS : Une question se pose, à présent. Retournerai-je à Kanchanabouri ? (J’ai retrouvé les inflexions languissantes des Thaïs. La voix de gorge des Birmans, comme s’ils allaient chercher loin leurs mots, dans leur langue gutturale. On caricature toujours de la même façon les langues asiatiques… Il n’y a rien de commun, au plan des inflexions, entre un Thaï et un Birman… Il n’y a rien de commun entre la Thaïlande et La Birmanie…)

Il ne me reste rien à faire en Thaïlande qu’à résoudre (donc) la question de Kanchanaburi — et dépenser mon argent. Et je préfère ne pas penser à mon retour en France, car, si je serai content de rentrer, les événements de la fin d’août s’annoncent déjà pesants, je crois…

 

Kanchanaburi, 16 août 1988

[écrit au crayon de papier :] (Il semble que j’aie perdu mon stylo…)

Kanchanaburi, sur la rivière Kwaï, ne se ressemble plus. A peine étais-je arrivé ici qu’il se mettait à flotter. Je n’ai pas trouvé mon manager. Il serait à Bangkok, m’a-t-on dit. Je goûte l’ironie…

Jeanne et Omar sont rentrés de Birmanie. On les a parqués dans un hôtel à Rangoon en attendant le vol régulier de la Thaï du lundi soir. Nous avons dîné ensemble [dans un restaurant japonais, je m’en souviens : c’était la première fois alors que je goûtais à la cuisine japonaise ; je compte d’ailleurs sur les doigts d’une main les récidives, depuis — avec mes parents, Judith et N., C*** et Etienne : ce doit être tout]. Je les aime vraiment bien, et je me souviendrai d’eux.

A Bangkok, j’ai fait quelques achats. Je vous les montrerai quand vous serez rentrés. Si ces vêtements ne connaissent pas la même destinée que le petit cheval…

[La chemise achetée à Chiang Rai, mise et remise au fil des années, a fini par se déchirer tant la trame du tissu en était devenue ténue. Je n'ai pu me résoudre à la jeter...]

[La chemise achetée à Chiang Rai, mise et remise au fil des années, a fini par se déchirer tant la trame du tissu en était devenue ténue. Je n'ai pu me résoudre à la jeter...]

 

J’ai la crève. J’ai dû attraper un « chaud et froid ». Vais-je, à mon retour en France, devoir m’aliter ?

En mal d’inspiration. Kanchanaburi vide. Et la maladie birmane toujours en tête.

 

Mercredi 17 août. Kanchanaburi.

Et puis…

Quand Kanchanaburi se ressemble encore…

J’ai dîné sur la même auberge flottante que lors de mon dernier séjour, servi par Thip, le plus mignon Thaï rencontré, de loin, durant mon voyage… Mon amie à lunettes est venue converser avec moi ; j’ai appris que le Manop (i. e. le patron du guesthouse) n’était à Bangkok que pour la journée ; aussi ai-je décidé secrètement que je resterais ici une nuit de plus avant de rentrer à Bangkok, puis en France. Après que ma serveuse est partie, c’est Thip qui, à son tour, est venu longuement bavarder, de son anglais approximatif, mais désireux de prendre langue… J’ai appris qu’il a vingt-trois ans, qu’il est marié, qu’il n’a pas d’enfants ; il n’aime pas Patpong, ni Bangkok en général ; il aime les étoiles et regrette de n’avoir pas pu poursuivre ses études ; à présent, il est serveur et se dit très pauvre ; il n’aime pas les Coréens ni les étrangers installés en Thaïlande et trouve que les touristes ne sont pas toujours assez friendly avec les habitants de son pays. Il était très curieux d’avoir des échos de la Birmanie, et je lui ai donné un billet d’un kyat. La pagode Schwedagon est-elle aussi belle qu’on le dit ? quel est mon plat thaï préféré ? que mange-t-on en France ? — entre autres questions dont il m’a assailli…

Le soleil est revenu sur Kanchanaburi. Je repense à Thip — son corps frêle, grêle comme un lancer de cailloux. On lui donnerait dix-sept ans tout au plus. Mon Manop a, cependant, bien trente-et-un, tout en paraissant vingt-quatre… Pour l’instant, il joue les Watana, avec qui il a plus d’un point commun !

Bref, Kanchanaburi est redevenue une bien charmante villégiature.

 

22 heures

Kanchanaburi était une bien charmante villégiature. Qui pense à tous ces hommes tombés pour construire la voie ferrée du « train de la mort » ?

A Thip — si jamais vous venez ici, vous le reconnaîtrez : de tous, c’est bien lui, et de loin, le plus mignon ! —, j’ai laissé un paquet de ses cigarettes favorites. Je crois même que je lui enverrai une carte postale de la tour Eiffel, une fois arrivé à Paris ! (Ces vacances n’ont pas arrangé mon degré de sentimentalité !) Manop (ce n’est pas une abréviation de manager operator, ainsi que je l’avais primitivement cru, c’est, en fait, son prénom !) restera, lui aussi, lié au charme de cette ville flottante, quoique je n’aie en rien fait avancer notre love affair — parce que, en dernier ressort, j’ai pensé qu’il en serait, de toute éternité, beaucoup mieux ainsi… (Ces vacances, non, n’ont pas arrangé mon degré de sentimentalité !)

 

 

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