670 - À pas palermitains (2)

Publié le par 1rΩm1

 

À pas palermitains

(Paris - Palerme - Paris, journal extime, février 2016)

 

9 février, soir

Je reçois un SMS de Duncan, qui demande une demi-heure de délai pour notre rendez-vous dans un des deux restaurants dont il m’a laissé le choix la veille.

Comme je me doutais que j’aurais besoin du mobile, dont la charge faible de la batterie m’avait été indiquée par un signal sonore en cours d’après-midi, j’étais revenu dans l’appartement de F. et Pascal afin de le recharger et parer à toute éventualité.

 

© Internet

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En fait, quand je m’installe dans ce restaurant de la rue Rambuteau, je me trouve avoir quinze minutes d’avance. Lui, aura trois quarts d’heure de retard.

 

Je trompe d’abord l’attente en entamant l’opus de Mathieu Riboulet et Patrick Boucheron sur les événements de janvier 2015 que j’ai acheté l’après-midi (le hasard a fait que j’ai lu coup sur coup Terreur dans l’hexagone, qu’un ami de mon père lui avait acheté pour son séjour à l’hôpital, que mon père, pour mon anniversaire, m’a offert Un Silence religieux de Jean Birnbaum, tant et si bien que j’ai l’impression d’avoir la tête pleine et mal faite de ces attentats djihadistes et des raisons pour lesquels ils ont été perpétrés) ; puis, rebuté par cette lecture dans laquelle il est un peu difficile d’entrer en de pareilles circonstances, je sacrifie à l’attente même, épurée de tout secours, sinon les chips apportées par le serveur en même temps que le verre de vin blanc que j’ai commandé — puisque pareille attente consiste (quitte à s’en agacer, à douter même, tant le moment s’étire, que la personne vienne) à ne rien faire… qu’attendre !

 

Enfin, il arrive. Il arbore une barbe soigneusement taillée, qui le fait paraître plus âgé qu’il n’est (le numérologue calcule qu’il y a quatre ans et onze mois jour pour jour qu’il connaît Duncan, que celui-ci aura vingt-cinq ans dans trois mois à peine). La voix, alors qu’il explique les raisons de son retard, est altérée par un rhume. Il porte un pull bleu marine à col roulé en laine aux motifs torsadés — et je m’interroge alors qu’il s’assied : l’ai-je déjà vu si vêtu, même en hiver ?

 

Il commande un cocktail sans alcool.

Nous dînerons — je meurs de faim —, lui d’un burger, et, de mon côté, d’un tartare de saumon.

(Le gérant lui a réservé un accueil chaleureux, un peu surjoué : Duncan m’explique que son frère et lui viennent manger souvent du fait de la proximité du chantier — toujours le même qu’en août — sur lequel ils sont souvent amenés à venir, que les burgers sont les meilleurs qu’il ait mangés à Paris, et il me loue la gentillesse du gérant, qu’il appelle alors de son prénom — G*** —, puisqu'ils sont comme amis de par cette fréquentation assidue.)

G*** me recommande un côtes du Rhône (dont ensuite je m’apercevrai qu’il est le plus cher des vins au verre de la carte, ce qui me paraîtra a posteriori un conseil dicté par un motif sans doute moins sincère que mercantile, et me fera douter de l’amitié de ce gérant-là.)

 

Pêle-mêle, Duncan me parle de son travail — du chantier dont il s’occupe (donc), quelques immeubles plus loin. Mais il a dû se rendre en cours d’après-midi dans le XVIIe pour une réunion de syndic [?], qui s’est prolongée. Pour le moment — ce que je savais déjà —, il n’est plus question de se délocaliser à Bordeaux. Un associé s’y trouve déjà, qui manifeste, selon Duncan, une certaine incurie. J’oublie des détails, très certainement, à ce propos…

C’est surtout d’Antonin dont il est question. Le jeune homme, rentré du Cambodge depuis six semaines à peine, commence déjà à lasser Duncan. Il me dit avoir passé Noël (et s’être copieusement ennuyé) dans la famille de son compagnon. Celle-ci voulait lui imposer à Paris, quand Antonin aurait réussi le concours qu’il prépare, la sœur cadette en tiers, ce qu’il a nettement refusé.

Dans tous les cas, Antonin et lui se voient tous les week-ends, tant et si bien qu’il se trouve soulagé lorsque Antonin s'en va. Je continue de ne pas comprendre.

Les seuls points un peu positifs du portrait indirect qu’il me brosse de son ami — toujours aussi jaloux, toujours aussi profiteur… — concerne ses capacités intellectuelles : il réussira son concours, m’affirme-t-il, alors même que je lui rappelle que ledit concours est réputé difficile.

Peut-être Duncan ira-t-il travailler un an à New York, auquel cas, dit-il, ce pourrait être l’occasion de rompre — puisque Antonin, prêt à le suivre, renoncerait à son concours, et qu’il l’aurait sans cesse à ses basques, ce qui lui serait insupportable, le poussant alors à cette extrémité !

 

Le repas terminé — que j’ai trouvé médiocre, mais il est vrai que je n'ai pas pris de hamburger —, Duncan veut aller fumer en terrasse (je me fais mal à l’idée que Duncan soit devenu fumeur)… Dehors, la pluie et le vent sévissent — à nouveau — violemment. Il oriente vers nous le calorifère. La table fait cependant écran, et l’effet est nul sur les jambes.

La pluie est si furieuse que je lui prête mon parapluie pour qu’il aille se chercher son propre parapluie, resté sur le chantier…

Il me laisse une dizaine de minutes, et je reflue vers la terrasse intérieure, les cuisses morfondues.

(à suivre)

 

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