674 - À pas palermitains (5)
11 février
17 h 55
Par l’entremise de Khadija, j’ai loué une chambre dans un hôtel dont elle connaît les gérants, tout proche des pistes d’envol de l’aéroport d’Orly. Cela me permettra une nuit d’autant plus confortable que l’avion décolle le matin, avant une escale à Rome — pour n’être à Palerme qu’en cours d’après-midi…
Nous avons rendez-vous à 18 h 30, après qu’elle aura fini son travail.
J’envoie un SMS à Khadija pour prévenir que j’aurai du retard. Les trains pour Pont de Rungis sont beaucoup moins nombreux que je n’imaginais, et je dois attendre presque vingt minutes. Le train a d’ailleurs changé de quai, sans qu’on en soit prévenu, et, à l’intérieur, aucune annonce ne vient préciser où il s’arrête : on ne sait littéralement pas où l’on est, aucun panneau ne se trouve à hauteur de regard à la première station, si bien que, ayant consulté un plan du RER, je décompte les arrêts pour être sûr de descendre au bon endroit… (Je penserai à François à V***, en me disant que j’aurais dû déjeuner et passer l’après-midi avec lui.)
A Pont de Rungis, le vent est glacial. Je téléphone à l’hôtel. On m’envoie, dit-on, très bientôt une navette. Je regrette de n’avoir envisagé que la Sicile et d’avoir laissé mon blouson fourré chez Pascal et F.
Khadija m’attend dans le hall de réception de l’hôtel. (Il est bien agréable d’être ainsi attendu.)
Nous prenons le bus une vingtaine de minutes, qui nous conduit jusque dans le quartier de Rungis où elle habite.
Son appartement est agréable. Elle s’est fait installer une penderie dans sa chambre. A ****, l’appartement qu’elle occupait avait une cuisine équipée : elle a donc acheté un four, un lave-vaisselle (le premier qu’elle ait jamais possédé, ce qui m’amuse car je la sais très à cheval sur tout ce qui a trait au ménage et me demande si elle l’utilisera vraiment).
Comme d’habitude — ou plus encore que d’habitude peut-être, puisque je suis son premier invité, qu’elle n’est qu’à demi installée dans les lieux, depuis six semaines à peine, Khadija ayant un vrai sens de l’hospitalité —, je suis superbement reçu.
Nous nous donnons des nouvelles de notre santé. Les affections dermiques dont elle est la proie ont redoublé. Désespérant de la médecine traditionnelle, elle ira voir un magnétiseur.
Elle me parle beaucoup de son nouveau travail. Ce sont de gros horaires. Elle commence tôt — dès 6 heures 30, pour finir parfois douze heures plus tard. Elle me dit ne s’entendre guère avec le bras droit de son employeuse, qu’elle trouve autoritaire et méprisant avec le personnel.
Elle me parle des mœurs de Rungis, m’évoque les mots orduriers, le langage fleuri dont chacun s’invective. Elle me raconte les forts des Halles. Les avalanches de fleurs et de fruits qu’on déverse au matin. Il faudra que je voie cela, me dit-elle. Elle en parle avec verve et poésie.
Elle est en colère contre F., que je ne connais qu’à peine, qui ne l’a pas aidée à s’installer alors même qu’elle comptait sur lui.
Elle n’a pas encore eu le temps d’aller à Paris. (Je doute, pour ma part, qu’elle y aille souvent.)
Je suis vraiment superbement reçu.
L’apéritif, agrémenté de charcuterie, d’olives, de divers biscuits salés, est déjà fort copieux.
Elle a cuisiné des tomates à l’ail (bien dans le goût de K., que je trouve excellentes) ; suit un chili con carne (très pimenté, bien dans son goût, excellent lui aussi) ; comme je réclame du fromage, selon le précepte de Brillat-Savarin
souvent entendu durant dans mon enfance, mais que j’ai garde d’asséner à la maîtresse de maison qui pourrait se sentir oculairement visée (!), arguant plutôt de sa proximité avec l’approvisionnement des Halles, Khadija apporte un gouda vieux… excellent ! ; enfin, elle a prévu pour dessert une sorte de panna cotta aux mandarines, rafraîchissante et subtile sans être trop sucrée (toujours selon son goût, excellent).Je fais d’autant plus honneur au repas que la surprise était belle et bonne que Khadija — même si je me doutais assez qu’il en serait ainsi — ait cuisiné notre repas, quand il avait été question de dîner dans une brasserie proche de l’hôtel…
Emotions minuscules ou ridicules de nos vies matérielles livrées en pâture aux apprentis-sorciers et autres milliardaires de la Silicon Valley : malgré de multiples tentatives, je ne suis pas parvenu à m’enregistrer le jour même sur le site de la compagnie aérienne auprès de laquelle j’ai réservé mon billet retour. Et, l’opération étant nécessaire, je comptais faire cela chez Khadija.
Or, j’apprends qu’elle n’a pas d’imprimante. Mais au moins pourrons-nous adresser le document en pièce jointe à la réception de l’hôtel.
Nous nous escrimerons vingt minutes à réaliser cet enregistrement après avoir dîné, avant d’y parvenir enfin.
Il est tard et travaille le lendemain. Je me décide à partir. Khadija me raccompagne jusqu’à l’arrêt de bus.
* * *
Lorsque j’arrive à l’hôtel, je dois me rendre à l’évidence : il n’y a pas de chauffage dans la chambre. Je vais jusqu'à la réception : aucun chauffage d’appoint n’est disponible.
Je parviens néanmoins, en m’escrimant sur la télécommande, à mettre en route une température de chauffe sur le climatiseur, et me rencoigne sous les draps dans le lit en attendant d’en sentir les effets.