675 - À pas palermitains (6)

Publié le par 1rΩm1

 

À pas palermitains

(Paris - Palerme - Paris, journal extime, février 2016)

 

12 février

Plus j’y songe, plus je donne raison à Aymeric : ce qui s’effondre a à voir avec un phénomène « générationnel » (lequel intéresse plusieurs générations, dont la plus ancienne — la mienne, ou celle qui précède légèrement — a largement démissionné de son idéal)… Je pense parfois que J.-M., le lecteur de Charlie-Hebdo, des articles de Bernard Maris, qui disait, alors qu’il se préparait à la quitter, avoir eu « une belle vie », serait consterné de connaître les événements des treize derniers mois.

 

J’ai lu, beaucoup lu, trop lu sur les attentats de 2015, sur le djihad. J’ai beaucoup appris, mais très peu compris. Jusqu’à me sentir désemparé. Gilles Kepel, limpide, brassant les faits. Jean Birnbaum, agitant des théories : je suis resté extérieur aux premières et dernières pages de son ouvrage — le rapprochement qu’il établit entre les jeunes gens prêts aujourd’hui au djihad et ceux qui avaient rejoint en 1936 les combattants républicains en Espagne m’a semblé spécieux, comme si son auteur, à proprement parler obnubilé, à force de nuées accumulées devant les yeux, avait la vue raccourcie à la longueur de [son] nez — ne voyant plus ce qu’ont d’atroce ces pourvoyeurs de mort thanatophiles — thanatolâtres serait plus juste encore — et comment ils tuent et profanent l’espoir qui prévalait hier.

En l’occurrence, je lis encore dans le hall d’embarquement d’Orly. En vérité, j’achève le quatre mains de Mathieu Riboulet et Patrick Boucheron, Prendre dates. De toutes ces lectures, comme de bien entendu, c’est celle de l’historien et de l’écrivain, dans le petit manuel jaune d’or qu’ils ont commis, d’une dimension rassurante, c’est ce bréviaire qui recueille le plus d’échos en moi, parce qu’il abdique sans doute la posture du spécialiste et laisse interférer des émotions personnelles, opuscule confirmant à sa façon que cette communauté d’horizon est peut-être une communauté de génération : eux-mêmes en parlent, et leurs mots, leurs maux sont les miens, ceux d’Aymeric, dans une communauté de rage et de (dés)espoir. (Je note quelques références paginales, que j’égarerai ensuite.)

 

Palerme, milieu d’après-midi

Je vais de l’aéroport au centre de Palerme par la ligne régulière d’autobus qui vont et viennent dans les deux sens chaque demi-heure. Sur place, débarqué Piazza Castelnuovo, tout près du Teatro Politeama, j’erre un peu avant de trouver l’appartement.

 

675 - À pas palermitains (6)
675 - À pas palermitains (6)

Ayant enfin trouvé la rue de ma logeuse, je m’amuse de la façade lépreuse de l’immeuble. Par-delà le trottoir défoncé, en me reculant un peu et en levant les yeux, j’aperçois la terrasse de l’appartement, embarrassée de plantes et de feuillages. Comme j’ai prévu large pour mon transfert depuis l’aéroport et que je suis en avance, je fais le tour du pâté de maisons, puis reviens faire le guet des voitures qui s’arrêtent, m’attendant à en voir débarquer la propriétaire.

A 17 h 15 précises, la porte de l’immeuble s’ouvre. Je suis apostrophé en français par une femme plutôt âgée — peut-être a-t-elle déjà soixante-dix ans — d’un joli port et d’un bon maintien, mince sans être trop sèche, d’un abord sympathique. J’avais conçu quelque inquiétude quant à notre rencontre, parce que j’avais eu, après acceptation automatique sur le site où j’avais réservé l’appartement, une longue conversation électronique plutôt pénible en raison d'une demande de D***  qui aurait souhaité majorer le prix de la location du fait que nous serions en hiver, qu’il faudrait chauffer l’appartement, que le prix du gaz en Sicile était élevé, etc. J’avais rétorqué que je ne voyais pas qu’on puisse réviser le montant d’une location déjà consentie, que l’appartement mis à ma disposition était grand (130 m2), qu’il n’était sans doute pas besoin de chauffer toutes les pièces pour moi tout seul, mais que si, d’aventure, je venais avec un(e) ami(e), je l’en préviendrai — ce qui, à mes yeux, constituait la seule vraie raison de réviser le montant de la location. D***, bonne joueuse, avait fini par battre en retraite, fini par admettre mes arguments. Cependant, je ne sais pourquoi, je n’étais pas entièrement rassuré, m’attendant à je ne sais quelle combinazione de dernière minute. Or, ma première bonne surprise est de me trouver devant une femme accueillante, tout sourire dehors, qui s’adresse à moi en français, tout en s’excusant de n’avoir de ma langue que des souvenirs de lycée. L’appartement en est une autre, même si je n’en vois pas tout de suite tout le charme.

D*** me dit qu’elle habite sur le même palier et que je peux ainsi la joindre à tout moment, en cas de difficulté ou problème.

*  *  *

Une fois que D*** a pris congé après quelques politesses d’usage, je fais des courses dans un supermarché de la via della Libertà, repéré en arrivant durant mon trajet en bus. Les pâtes que j’ai achetées au rayon traiteur sont très bonnes, le vin blanc l’est aussi.

Je me sens d’excellente humeur — comme à Naples à mon arrivée, et par contraste avec les idées noires qui avaient pu me poursuivre auparavant, ayant surtout l’impression d’échapper très égoïstement à la maladie…

Le lit ferme achève de me ravir.

 

-=-=-=-=-=-=-=-

Ce courriel expédié le soir même à Khadija rend compte de mon contentement :

 

Bonsoir Khadija,

Quelques lignes pour te dire que je suis bien arrivé à Palerme — et pour te remercier encore de ton accueil hier soir. (Je reviendrai à Rungis, oui, un jeudi, dans ton appartement, et, même si c'est un peu tôt comme spectacle, nous irons voir les forts des Halles, et des avalanches de fruits, et des avalanches de fleurs !...)

 

Bien fatigué de ma journée de voyage, je suis cependant à bon port : l'appartement est immense, il est superbe — défraîchi mais superbe : des murs tendus de tissus — un peu auréolés et fanés par endroits —, des galons autour de portes en bois plein qui datent des années vingt-cinq ou trente, des tapis partout, des meubles et des meubles qui emplissent l'espace, dont certains sont d'ailleurs très beaux... Et... tiens-toi bien, il y fait même chaud !

(Je ferai des photos, je crois...)

 

Qui plus est, j'ai trouvé que, ce soir, Palerme avait quelque chose de la douceur angevine : il devait faire encore treize ou quatorze degrés, et le vent qui soufflait dans les rues était tiède et bénin. — Tout cela est trop beau et le contentement ne va pas durer, soyons-en certains !

 

Je t'embrasse avant que cela ne se produise !

Romain

 

PS - Je loge tout près de la piazza Castelnuovo et du Teatro Politeamo (cf. photo jointe).

 

© Internet

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