677 - À pas palermitains (7)

Publié le par 1rΩm1

 

À pas palermitains

(Paris - Palerme - Paris, journal extime, février 2016)

 

Samedi 13

Matin

Au vu la veille du parc de stationnement et des conditions de circulation à Palerme, j’annule la réservation auprès d'un loueur de voiture faite avant de partir (ou plutôt : je tente de le faire puisque je ne parviens pas à avoir de confirmation sur le site, et, même si je sens que j’en serai pour mes frais, je n’ai pas vraiment envie de me compliquer l’existence avec un véhicule difficile à garer).

J’ai repéré un bureau de l’office du tourisme tout près de l'appartement. Mon interlocutrice, qui parle français,  se montre agréable et zélée, et, comme je sais désormais comment aller par les transports en commun à Ségeste, ou dans la vallée des temples, je me rassérène quant à cette décision.

 

Après-midi

J’entreprends d’aller à Monreale. Place de l’Indépendance, j’attends vainement un bus de ville. Après presque une heure, un bus d’une autre compagnie passe.

Sur place, la cathédrale n’ouvre pas avant 15 heures 30… J’ai quarante minutes à tuer. Tout en en faisant le tour, je découvre l’arrêt de bus de la compagnie concurrente, et mémorise les horaires affichés.

 

677 - À pas palermitains (7)

 

Comme il se met à pleuvoir, que le vent griffe un peu, j’entre dans un café pour me mettre à l’abri.

 

Je visite la cathédrale. Les mosaïques en sont magnifiques et je regrette que le cloître soit fermé.

677 - À pas palermitains (7)
677 - À pas palermitains (7)

J’ai manqué le départ du bus de la ligne par laquelle je suis venu de quelque dix minutes. Je me résigne donc à tuer le temps, et, pour ce faire, à arpenter les rues de la ville.

Cependant, alors que je me mets en route, un jeune homme m’aborde, qui me hèle en anglais. Mon interlocuteur, plutôt joli garçon, a les cheveux presque noirs, mi-longs, le teint mat, les yeux bruns — et la barbe du moment… Il doit être italien, espagnol ou français. Son anglais toutefois a quelque chose de familier. Et c’est ainsi que, sur une question que je pose, nous nous découvrons français… Je lui indique l’autre arrêt de bus, et nous cheminons de concert jusque là.

*  *  *

Nous passerons deux heures et demie ensemble. A l’autre arrêt de bus, aucun véhicule ne passera jamais. Nous restons assis à discutailler sur un banc, après les renseignements d’usage, sans trop trouver le temps long. Pour autant, il n’entre aucune ambiguïté de sa part, ni de la mienne, même si j’ai plaisir à ce que mon interlocuteur soit agréable à regarder.

Comme le vent froid s’engouffre dans cette rue en pente qui domine le panorama palermitain, il met un bonnet en laine. En contrebas, le soleil projette un rond de lumière comme pour les vedettes de music-hall sur les quartiers centraux. C’est plutôt joli à voir, et cela distrait de la bise qui nous mord.

 

Et nous voilà qui devisons de la réforme de l’orthographe ! (C’est lui qui lance le sujet de conversation.) Je m’étonne et m’amuse des considérations passablement conservatrices de ce jeune homme attaché aux règles et aux usages. Mais, en vérité, il oscille à mesure entre deux extrêmes.

Le sujet de l’école étant lancé, il m’explique avoir fait des études technologiques pour être ingénieur du son, mais s’être découvert une préférence pour les langues et l’histoire qui ne correspondait guère à l’orientation qu’il s’était choisie. Aussi a-t-il fait ensuite des études universitaires en géographie, puis en sociologie.

Il a grandi dans la banlieue parisienne, habite présentement Montpellier. Il a bénéficié d’un vol aller-retour à un prix particulièrement avantageux au départ de Marseille et est ravi de son périple en Sicile, dont c'est le dernier jour. Il loge à l’auberge de jeunesse de Palerme, et, quand il me dit le prix des dortoirs, je calcule que je n’ai pas tout à fait payé le double pour mon quatre pièces spacieux et si joliment décoré…

Nous parlons donc de voyages. Il a vécu en Espagne, puis au Brésil, qu’il m’évoque longuement.

*  *  *

Nous finissons par nous rendre à l’évidence : aucun autocar ne passera aux horaires indiqués. Aussi retournons-nous à l’arrêt dont nous sommes venus, où stationne un véhicule prêt à partir.

Il parlemente dans un italien de fortune pour ne pas payer le bus. Le chauffeur se laisse amadouer, et, alors que je lui tends la monnaie du prix payé à l'aller, façon sans doute pour lui de monnayer sa générosité, il ne me délivre pas de ticket.

Nous poursuivons nos bâtons rompus. Il me dessine une cartographie de la société française dans laquelle nos concitoyens, spécialement parisiens, se montrent froids et indifférents aux autres — de façon tout opposée aux mœurs brésiliennes. Il égrène quelques banalités sur les hasards de la naissance. Il évoque la violence dans les banlieues françaises et celle de certains quartiers brésiliens, en les opposant terme à terme, en se montrant particulièrement sévère pour ces indigènes de la République qui, selon lui, sont des sortes d’enfants gâtés qui n’ont jamais connu ni ne connaîtront de misère noire. Il me dit avoir appris certaines conduites d’évitement par rapport aux provocations de ceux qui recherchent la baston.

Je m’amuse parfois de ces propos, qui louvoient entre bon sens, sagesse, banalités, mais ont l'air parfois aussi de positions rétrogrades sur l’état du monde et que, comme telles, on n’attendrait pas d’un si jeune homme.

Quoi qu’il en soit, je trouve son compagnonnage sympathique. Lui, qui vit encore d’expédients et n’a pas encore de vie tracée, dit qu’il a confiance en lui, et que, quelque traverse qu’il pourra rencontrer, il s’en sortira toujours. Ce bel appétit d’existence, de voyage, de rencontres au petit bonheur la chance qui l’élargit encore, tout cet optimisme trouve dans son discours une traduction en termes de « bonne énergie » (qu’il n’emploie pas à propos de lui — il n’est pas trop immodeste —, mais au sujet des courants qui jusqu’alors l’ont porté vers les autres). Il semble, en effet, que de cette « bonne énergie », il ait à revendre.

*  *  *

Nous descendons au terminus, près de la gare. J’ai un plan, mais je ne me suis pas assez déplacé dans la ville pour la quadriller en pensée. Sur ma demande, il me fait part de ses connaissances topographiques de la ville, et, de fait, ce qu’il m’en dit est d’un mode d’emploi suffisamment simple pour que je sache trouver mon chemin du retour.

Je lui propose de prendre un verre (j’ai une forte envie d’aller aux toilettes et serai plus ingambe ensuite pour rentrer). Mon interlocuteur, débarqué du bus et rendu à lui-même, a déjà repris quelque distance, notre commerce de fortune n’ayant plus, maintenant que parvenus à bon port, de raisons de se prolonger, chacun taillant sa route, reprenant ses billes et son ballot. Après une courte hésitation,  il accepte toutefois mon offre.

 

Devant un verre de vin blanc plus mauvais que médiocre, chacun, ayant l’un après l’autre vidé sa vessie — ce qui, quoi qu’on en ait, crée la sorte de solidarité masculine universelle qui consiste à se sentir mieux après ladite opération —, nous sommes plus taiseux.

Mais ce n’est pas pour remplir un vide de la conversation que je lui demande son prénom.

J’apprends alors qu’il s’appelle Jean-Mathieu !

— Son père, me dit-il, porte mon prénom…

*  *  *

Nous nous quittons bientôt. Il s’écarte de ma route en prenant une tangente à gauche — c’est ainsi du moins que, sur l’instant, je le vis.

Il n’importe : j’ai passé avec lui un bon moment, même si j’oublierai bientôt les lignes de son visage, la chevelure et les yeux sombres, la matité de la peau.

D’ailleurs, je m’aperçois que je ne lui ai pas demandé son âge — autour de vingt-cinq ans, sans doute.

 

Sûr de mon trajet, je flâne en ligne droite.

 

Nuit du 13 au 14

Je me couche tôt. Et suis réveillé tôt. Je me rendors pourtant.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article