676 - In memoriam J.-M. (13)

Publié le par 1rΩm1

Reims, “Le Palais”, 25 août 1988

676 - In memoriam J.-M. (13)

Suis ici depuis quelques jours — quatre jours, en fait, déjà. Recherches vaines, pour le moment, d’un appartement. A F**** ou ici, je n’en sais rien, mon cœur balance… Peut-être, la cause est à demi gagnée, préfèrerais-je tout de même loger ici. Quitte à prendre la route tous les matins (car les liaisons ferroviaires ne sont pas navigables !).

Je loge chez Christophe. Cohabitation agréable. Il ne travaille pas. Fauché comme les blés. Emerge du lit à midi. Moi, je dérive dans la ville, je décline, incertain de l’avenir prochain. Tout cela crée des parenthèses battantes aux significations indécises.

J’ai vu Lindsay. Il espère être nommé dans le coin. Il était flanqué d’une jeune fille. Il cherche avec elle un logement sur Reims. Etrangement, je ne parviens pas à imaginer Lindsay vivre avec quelqu’un. Nous nous sommes vus fort brièvement. Depuis, je n’ai plus de nouvelles. Très égoïstement, je comptais sur lui pour m’aider à déménager. Car, à ce sujet, j’ignore absolument [à qui m'adresser], personne n’étant à **** [qui pourrait] m’aider…

 

Nathalie a déménagé. Elle est nommée à Troyes, m’a dit son propriétaire. Les uns viennent quand d’autres s’en vont…

 

Que dire, sinon ? Toutes ces contraintes matérielles sont terrassantes, comme ne pas savoir de quoi sera fait demain. Mais je me laisse porter, puisque faire autrement n’est pas possible.

 

****, “Le Commerce”, 28 [?] août 1988

Ici (mais ce n’est pas le même « ici » que précédemment !) pour le week-end. J’ai trouvé, à mon retour, votre première lettre d’Asie. Je n’ai pas tout lu, J.-M. Et je n’ai pas tout lu, Pascal ! (serait-ce que l’un déteint sur l’autre au plan de la lisibilité ?) !... Mais, quoi qu’il en soit, j’ai pu déchiffrer l’essentiel — et pris bien du plaisir à ces nouvelles. Merci.

[…] [Plus j'y songe, moins je me vois] habiter la campagne, d’autant que [je pourrais travailler] le samedi matin — et que je doute d’y échapper. C’est dire par avance que mes week-ends à **** devraient se raréfier cette année — et, pour toutes ces raisons, je préfèrerais habiter Reims…

Peut-être un appartement en vue. Mais rien n’est sûr encore. S’il m’échappe, je ne sais où je logerai […]. Peut-être en camping-car !

 

Reims, le 4 septembre 1988

Pas eu l’ombre d’un instant pour vous écrire. Je vous raconterai comment j’ai dû déménager au pied levé quand vous serez rentrés : ce pourrait être long et fastidieux, sinon, à rapporter par écrit. Sachez seulement que cela s’est fait en vingt-quatre heures, en toute hâte, et que Christophe m’a salutairement aidé. J’habite donc à Reims, un deux-pièces de la rue G****, qui contient presque tous mes meubles, à quelques dizaines de mètres de l’endroit que je louais il y a désormais plus de quatorze mois.

Je suis un peu déprimé, ce soir. […] La fatigue accumulée est, également, immense… L’impression est forte d’avoir remué ciel et terre, tous ces temps derniers. La cause en est un boulot qui a toutes chances d’empoisonner les […] prochains mois !!!

J’écris vite. Séjour agréable rue du B**** en compagnie de Christophe. S’il n’avait pas été là, je ne sais comment je me serais débrouillé. Je vous dirai cela mieux aussi de vive voix, à votre retour.

Car vous serez bientôt rentrés. Je vous verrai certainement le week-end du 17 septembre. Je ne croispas  qu’il faille compter que je rentre toutes les semaines, cette année. […] [D'ailleurs], je vais tout de même tenter, je crois cela raisonnable, d’habiter un peu Reims… même si la ville me laisse toujours un peu froid. Je vais aussi me faire installer le téléphone : je vous communiquerai le numéro !

 

Voilà. Ce doit faire une lettre, au bout du compte. Ou presque. Des jours revêches arrivent, et je ne suis pas certain de réécrire avant votre retour. Les journées à venir risquent, elles aussi, d’être fort (et trop) remplies !

Tout à l’idée de vous revoir bientôt, je vous embrasse.

Romain

PS – J’ai reçu votre carte postale (véritablement) chinoise. Merci.

 

Reims, le 8 septembre 1988

Chers enfants,

(L’en-tête me plaît soudainement. Hier, elle aurait déplu. Mais il fait si beau sur la place du Forum et ailleurs : je réinvente le loisir, l’été indien, la vacance après tant d’agitations — et nous aurons de naïveté autant que nous pourrons, le plus possible…)

 

Il y a un mois, jour pour jour, j’étais en Birmanie. Les lettres se sont entassées, et il faudrait que je me décide à les poster. Symboliquement, ce sera là un renoncement difficile… Je me console en me disant que c'est vous qui les recevrez !

 

J'ai fait un retour éclair sur **** de mardi soir à hier soir, vingt-quatre heures courtes, et suis revenu le coffre plein. Vu mes parents fraîchement rentrés du Mexique, Jean-Philippe et Marie, S. Votre absence a compté… Je reviendrai le week-end du 17 — comme déjà dit — et je vous demande, si cela vous est possible, de me réserver votre samedi soir. Si vous ne pouvez pas, écrivez-le-moi, ou téléphonez. (En effet, je resterai sur place, si vous n'êtes pas disponibles.)

[…]

J'ai bien avancé dans mon emménagement de la rue G****. Il ne me reste guère qu’à classer, trier, ranger [toutes sortes d’affaires]. Autant dire que je ne suis pas pressé ! La chaîne hi-fi est maintenant installée (on capte toujours aussi mal France Musique ici), et c'est là l’essentiel. Je nage aussi dans les cartons de bouquins, et je n’entrevois pas, pour le moment, de solution immédiate à ce problème. En théorie, tout devrait être fini ce week-end… (J'oublie le piano… Ou je le vends, ou je le fais monter. Mais je ne veux pas, si je l’installe, payer un prix exorbitant. Beethoven était sourd — et tout cela se justifierait pas !)

 

Voici pour aujourd’hui. Un déjeuner de soleil se doit de rester un déjeuner de soleil. Je ferais volontiers la sieste après l'effort prodigué dans cette lettre-ci !

 

Vendredi 9, 15 heures

Incroyable, nous avons hérité d'un abonnement soleil !

Il fait trop chaud pour faire le ménage — c'est du moins ce que je me suis dit — j'ai donc pris la tangente pour la ville, avec le prétexte de rendre un exemplaire de l'état des lieux à l'huissier de justice, et me voici donc à la terrasse d'un café, en attente d’un demi. Vous avez le bonjour du soleil…

 

Le téléphone a retenti hier soir, vers onze heures. Je dormais déjà. C'étaient J*** et I***, qui avaient reçu l'avis de changement d’adresse que je leur avais envoyé. J'étais bien content de les entendre. Nous avons assez longuement devisé. Ils ont le projet de nous inviter, Sophie, Loïc et moi, un week-end à Paris, afin qu'on puisse se revoir — je pourrais avoir ainsi les photos de la Birmanie… Tout cela m'a fait très plaisir.

C'est Christophe qui a donné le second coup de fil, dix minutes après à peine. C'est mon seul contact à Reims pour l’instant, et j’étais, également, heureux de l’entendre (et pas seulement pour cette raison égoïste). Il faudra juste l’« éduquer » afin qu'il me prenne pas l’habitude de croire que je ne dors jamais au milieu de la nuit ! Ce qui peut être pratique pour lui ne l'est pas nécessairement pour moi… Il est toujours au chômage et ses jours sont difficiles. Il s'endort à point d’heure et se lève plus tard encore. La radio accompagne sa mise en sommeil et ses réveils tardifs. Après son coup de téléphone, il allait en boîte avec je me demande quel argent… (On ne peut pas dire qu'il soit très bien connecté avec la réalité. Avec ses grands bras, avec sa tête de milan, avec son visage défait lors de ses veillées et crépuscules particuliers, je me demande s'il s'habite bien, et je m'attends toujours à le voir se découdre. Je ne crois pas que Christophe en crise soit très fréquentable. Mais c’est bien là le revers d’une médaille dont la meilleure face l’emporte sur le reste. J’ai déjà dit que je l’aimais beaucoup…)

[…]

 

Dimanche 11 septembre 1988

Et de devoir conclure. Tenez, j’y mets de l’encre noire.

Faire le deuil de cette lettre-ci (finalement, j’enverrai tout groupé ; c’est sans égard pour mes lecteurs — oh la la, ce que vous allez devoir endurer ! —, mais bien plus pratique), ne plus retenir la Birmanie… (mais c’est pour vous la céder…). Gardez cette lettre, s’il vous plaît. Il y a des passages que je veux photocopier, pour ne pas oublier.

 

Dimanche de ménage. Je n’ai plus de cigarettes et de devoir sortir me déplaît. J’aurais bien vu un dimanche d’ermite absolument…

(Je vais un peu mal. Dans ce cas-là, du monde autour de moi m’est difficilement supportable. — Sauf, bien sûr, les très bons amis. Mais ils ne sont pas ici…)

 

V*** rentre à Reims ce soir, pour une durée indéterminée. Christophe semble espérer qu’elle restera longtemps, un peu comme si elle allait le soutenir dans ses jours à vau-l’eau (c’est moi qui interprète). Je l’ai invité à dîner hier. Il est arrivé avec des fleurs et des cigarettes. Il a voulu disposer autrement les enceintes dans le salon, et nous avons déménagé les meubles. Il y a chez lui une volonté de chambouler l’existence des autres qui me plaît beaucoup. (C’est ainsi que très abruptement il a voulu me limer les ongles — mais pour ça, je ne l’ai pas encore laissé faire ! — ou s’est mêlé de mon peigne en me disant que je ne devrais pas laisser mes cheveux tomber — [ce qui] m’a laissé sans réponse —, entre autres choses). Bizarrement, un autre côté de lui néglige son interlocuteur, il se mure dans son délire, et, pour des choses élémentaires, vous n’obtenez plus personne !

Après ce changement de décor, il a voulu aller en boîte. Je me suis laissé payer un verre. Ambiance de “folles tordues” au 61. Nous nous sommes isolés. Il s’est lancé dans des confidences. Je n’en ai pas compris le fil. Il faut dire qu’il avait bu comme un trou toute la soirée… Au moment de la fermeture, il m’a planté là pour partir avec un type que j’avais vu le week-end dernier et qui m’avait déplu souverainement… Au moment où j’allais atteindre la voiture, il m’a rejoint et fait toutes sortes de simagrées parce qu’il me lâchait et ne voulait pas que je sois fâché… «  A demain » a-t-il dit. J’ai écouté ce flot verbal, irrité de sa teneur. Soyez sûrs qu’il ne me donnera pas de ses nouvelles aujourd’hui !…

Bref, je ne le suis pas très bien, Christophe. Ses confidences n’ont fait que l’obscurcir davantage. Et, curieux effet secondaire, je ne sais plus très bien non plus qui je suis et qui sont ceux auxquels ses confidences étaient mêlées. Très désagréable. Il faudra que j’évite désormais que nos soirées prennent cette tournure…

 

La nuit tombe. Je ne vois plus qu’à peine le papier sur lequel j’écris. Je ne peux pourtant pas me murer dans cette lettre-ci, ni laisser totalement tomber ce noir. Je vais aller chercher des cigarettes, furtivement.

Le week-end déjà touche à sa fin. Je ne l’ai pas vu courir. Il s’est montré si court que c’en est presque angoissant… Le week-end prochain, si je vais à ****, ce risque d’être encore plus frustrant !

 

Je m’arrête. Car il fait vraiment nuit. Recevez mes meilleures pensées.

Romain

 

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