684 - À pas palermitains (12)
18 février
Matin
J’ai reçu un courriel de D*** :
Je suis desolée , moi aussi je ne pouvais pas entrer, qualcun a forcée la clé dans la serrure, elle ne marche plus ! Pardon, ca n’est pas ma faute. Je vais envoie un message à l’administrateur pour la faire réparer, toute de suite
bon nuit
D***
Je m’amuse alors que l’explication la plus simple ne me soit pas venue.
Autre histoire de clé. Juste avant de m’en aller, je ne retrouve plus les clés de l’appartement de F. et de Pascal. J’ai dû les laisser dans le sac à l’intérieur de la valise, que j’ai cadenassée : or, sur le trousseau, se trouve également la clé du cadenas !
J’imagine déjà divers scenarii : forcer le cadenas, dormir chez François… sans, me dirai-je ensuite, avoir pensé au studio de N*** !
En faisant un effort sur moi et en envisageant plus froidement la situation — je n’ai tout de même pas été stupide au point de laisser dans le sac brun ces clés… —, je finis, après avoir inspecté tous les endroits imaginables, par retrouver le précieux trousseau dans la poche intérieure du sac de voyage, où, très certainement, je l’avais mis… pour pouvoir aisément les retrouver.
Je referme sur moi la lourde porte d’entrée, en ayant laissé à l'intérieur, comme convenu avec D***, les clés de l’appartement.
Pluie continue sur Palerme. Rues encombrées. Le bus met un temps infini à sortir de la ville. J’ai peur d’avoir calculé top juste pour me rendre à l’aéroport. Heureusement, une fois en dehors de la ville, sur l'autoroute, la circulation est fluide.
Après-midi
Choc thermique en arrivant à l’aéroport. Il neige même — et le vent souffle, froid.
Arrivé à Paris en milieu d’après-midi, je fais des courses pour le dîner, en tâchant de me rappeler les goûts de N***, choisis un vin en conséquence, rachète le même dessert qu’en août, et, dans un magasin de surgelés, choisis des lentilles à l’indienne.
Soir
Le fait est exceptionnel : N*** a cinq minutes d’avance. Nous nous en amusons un instant.
Tandis que nous prenons l’apéritif, je m’attarde un peu sur la Sicile.
Lui me donne des nouvelles des animaux. Il a peuplé son aquarium de cinq crevettes (d’une variété dont je n’ai pas retenu le nom). Il garde la chienne de Jeff, en tournée à Limoges. Il retrace par quelques détails la vie de Bohème de son compagnon. C’est N*** qui, dans sa voiture, transporte les décors.
Sur le chapitre des animaux, N*** m’assène une théorie, qui ne m’étonne guère venant de lui, de son intérêt pour les autres et le monde en général, comme quoi tout le monde devrait avoir un chien…
Il me demande — comme toujours — des nouvelles de Duncan : je lui raconte donc la soirée que nous avons passée ensemble avant mon départ pour la Sicile.
J’apprends que la mère de N*** — que je n’ai jamais pu imaginer jeune, compte tenu du portrait que N*** m’a toujours dressé d'elle —, enfant et adolescente, a fait de la danse classique…
N*** se réjouit d’avoir grossi. Il se plaint néanmoins d’un manque d’exercice physique.
J’observe sa « tête à chapeau » (lui qui, à mon sens, n’en porterait jamais...), un peu dégarnie (plus que la dernière fois...) sur le sommet du crâne.
Il y a déjà un an qu’il a rencontré Jeff [le jour ou peut-être la veille de la Saint-Valentin — j’ai oublié, depuis, la date exacte].
Du fait de son compagnonnage, N*** voit beaucoup de pièces. Il m’avoue ne pas éprouver beaucoup de coups de cœur en général pour les spectacles auxquels il assiste. Cela me rappelle mes propres tiédeurs, parfois, lors de pièces vues du fait de J.-P. ou de quelque autre ami(e) comédien(ne) dans une existence qui me paraît désormais lointaine — et combien il était difficile ensuite de se prononcer sans trop tricher ni mentir quand on rencontrait le comédien… le metteur en scène… l’ami… qui m’avait convié.
N*** me dit avoir vu dans la rue Django Edwards — que R***, je m’en souviens, admirait tant... (Sans doute est-ce pour cette raison que je rêverai ensuite que lui — ou Duncan ? — m’assure avoir rencontré telle ou telle célébrité, tandis que je m’interrogerai dans mon rêve si mon interlocuteur n’est pas quelque peu mythomane…)
N***, d’ailleurs, tout comme Aymeric, me raconte un rêve (dont j’ai oublié l’argument entre-temps).
Nous passons à table. J’ai vraiment été mal inspiré inspiré pour le repas. Les steaks d’autruche marinés, achetés un peu par curiosité, sont d’un goût trop prononcé, sans qu’on puisse déterminer si la raison en est la chair elle-même, ou bien la marinade. N*** se dit ancien végétarien, mais, en invité facile, mange un peu de viande — je n’en mange guère davantage. Je jetterai le reste le lendemain… Le vin, lui, s’avère médiocre — en dépit de son origine et de son prix. Heureusement, les lentilles à l’indienne plaisent à N***, de même que le dessert.
Tout en mangeant, nous développons toutes sortes de sujets de conversation, de coqs à l’âne, comme autant de reprises d’anciennes conversations ou d’associations à partir de ce que nous savons des préoccupations de l’autre.
Il est rare pourtant que N*** et moi abordions des sujets politiques. Or, il est question à un moment de François Hollande, dont N*** prétend alors qu’il était de droite au début de sa carrière. Je tique un peu (il me semble me souvenir avoir vu des archives où s’agitait et pérorait le couple de mitterrandiens aux dents longues que formaient Ségolène Royal et son mari d’alors, déjà travaillé par des ambitions présidentielles). Il me montre alors une vidéo sur son téléphone portable. Or, il n’est pas allé jusqu’au bout de la vidéo et n’a donc pas lu le texte d’accompagnement, qui avoue finalement le canular. N*** s’amuse alors d’avoir été ainsi abusé et conclut en disant qu’il n’est de toute façon pas doué en politique. Je ne sais plus pourquoi nous parlons ensuite des quatre mandats (dont je crois me rappeler) de Roosevelt. Nous égrenons péniblement une liste des présidents des Etats-Unis [peut-être est-il question alors de Duncan ? ou, plus simplement encore, de cette impossibilité désormais de dépasser deux mandats, quand Theodor Roosevelt, précisément, en a eu quatre !]…
Je m’amuse aussi de phrases échappées des plis hercyniens d’une mémoire enfouie… « Parisien, tête de chien », dit N*** à quelque moment. Je complète par une formule entendue de la bouche de mon grand-père il y a bien longtemps : « Parigot, tête de veau » !
Précisément — ce que j’ai eu souvent le loisir de constater —, N*** est, beaucoup plus que je ne le suis, attaché à son enfance.
* * *
Nos bâtons rompus nous ont mené tard déjà, et je n’ai pas envie de boire un dernier verre. En vérité — peut-être est-ce le voyage, ou le fait d’avoir quitté le printemps pour l’hiver — je me sens fatigué. Aussi N*** part-il vers minuit (promener la chienne).
Je me dirai le lendemain que nous sommes de plus en plus décidément — au prix de quelques malentendus, plutôt heureux que malheureux — comme deux bons amis. J’étais content de le voir, même si, au profond, je me sentais moins passionné, en dépit de ce moment d’envie très forte d’un geste affectueux [que j'ai oublié entre-temps].
Je me rends compte ensuite de choses que j’ai tues. J’ai fait refluer, en particulier, toute la négativité de ces mois derniers — non pas pour dissimuler, mais pour prolonger, en fait, cet à-côté de la maladie et de la tristesse — et jouir pleinement de notre soirée.
Je songe aussi n'avoir eu de passage à vide lors de mon séjour à Palerme... Avec N***, j’ai évoqué cela, qui s’était produit à Sienne et Vienne, et nous avons convenu de l’incomplétude, parfois, du voyage en solitaire…
* * *
Au message que je lui ai envoyé en fin d’après-midi, B. me répond qu’elle n’est pas disponible le lendemain.
Même si ma soirée est vacante, je renonce à contacter Patrice.