685 - À pas palermitains (13)
19 février
Matin
Le musée de la poste est toujours fermé, mais la boutique, transplantée Avenue du Maine, est ouverte, et j’ai plaisir à y acheter des timbres auprès de dames toujours aimables et empressées derrière leur guichet (« comptoir » serait plus approprié). Elles tapissent de timbres l’unique carte postale, achetée au dernier instant à l’aéroport de Palerme, que je destine à Valérie.
Je suis en avance et étire le pas jusque chez Judith.
Midi
Nous déjeunons, Judith et moi, non loin de chez elle, dans un restaurant qui vient d’ouvrir — et qui, pour cette raison, semble vouloir se créer une clientèle en proposant une cuisine correcte et des prix doux.
Judith, adroite et bavarde. Grâce à une maïeutique bien à elle, j’accouche de la Sicile. (J’aimerais parfois avoir son talent : elle me dirait ce qu’elle a confié à François, et qu'il m'a été donné de savoir sans que je l’aie demandé.)
Elle m’explique que Laure effectue un stage au département musique de ****, et que Laure en est absolument ravie. Lucien, toujours travaillé par un nihilisme adolescent un peu méchant, joue les rabat-joie.
Nous allons en bus ensuite jusque Saint-Germain-des-Près voir, à l’instigation de Judith, le dernier film Todd Haynes, Carol, assez attendu, sauf la fin.
Nous ressortons impressionnés tout de même par la minorité des femmes dans cette Amérique puritaine des années cinquante.
Nous marchons ensuite jusque Odéon, où, après avoir erré un peu, nous prolongeons un peu notre conversation dans un café.
20 février
Midi
Je déjeune avec François.
Il est en retard d’un quart d’heure, ce qui est inédit. Il demande plusieurs fois à être excusé : il doit boucler un travail.
Je ne puis m’empêcher de constater que, depuis octobre, il a beaucoup forci.
Il me demande de choisir le vin. J’opte pour un sancerre rouge. Le risotto que j’ai commandé est bon. Il se fera servir un verre en fin de repas, au moment où je prendrai un dessert.
Il me dit avoir emménagé (avec son chat) dans un trois-pièces de 45 m2 — quand C., qui habite à **** de l’autre côté de la Seine, s’est trouvé un superbe duplex. Il insiste sur leur proximité géographique : ils se font face, mais il n’y a pas de pont, explique-t-il, pour éviter le détour que l’on doit faire à bicyclette ; je propose un souterrain (passablement ironique, ce disant). Je suis un peu triste de cet emballement passionnel, d’autant qu’il se plaint un peu de ne plus voir ses deux filles.
Il n’a toujours pas tout déballé des cartons de son déménagement : il a donné sa priorité aux livres. Il campe encore et il lui faudra, ajoute-t-il, acheter un canapé convertible (je m’amuse de la convergence de ses propos avec ceux de Khadija).
Il se dit incapable de prendre des vacances : d’ailleurs, si on lui proposait un job alors qu’il est parti ? Je rétorque que le Wifi existe et que des moyens numériques permettent non seulement de « rester connecté » selon l’expression consacrée, mais aussi d'initier le type de travail pour lequel il pourrait proposer ses services. Il n’en disconvient pas.
Il glisse néanmoins et évoque ses propres vacances en Sicile avec C. longtemps auparavant. Ils s’étaient fait voler, me dit-il, dans leur chambre d’hôtel. Une médaille de Saint-Christophe, précise-t-il, parmi d'autres objets, que C. emportait dans ses bagages pour conjurer les crashs aériens. Je m’amuse de ce trait de superstition.
(Parmi toutes choses que nous abordons, je tique un peu quand il me dit ne plus lire de roman, mais des biographies ou des essais. Je me dessècherais si mes lectures se réduisaient à ce régime…)
Je lui dis aussi avoir trouvé que J.-P. était un peu trop en tiers entre nous tous lorsque nous avions dîné, Danièle, son compagnon, lui et moi en octobre. Il n’en disconvient pas non plus. Il me dit que la mère de Danièle la préoccupe beaucoup et que Danièle vient beaucoup à ****.
Lui doit d’ailleurs séjourner à ****. Rendez-vous est donc pris pour la semaine suivante. Je ne suis néanmoins pas sûr qu’il l’honorera. [De fait, François ne me téléphonera pas, pris sans doute par ses amis, mais je serai déçu de ne pas le voir alors, songeant que ce n’est pas la première fois que cela se produit — et que, si je ne le contactais pas quand je viens à Paris, je ne le verrais plus du tout…]
Il doit retourner travailler. Nous demandons l’addition, que j’invite à partager en deux, tout en trouvant celle-ci un peu salée, alourdie, de fait, par les boissons…
C’est l’anniversaire de Pascal et j’achète dans une confiserie des chocolats, qu’il trouvera à son retour le 22. La femme qui me sert a l’exquise amabilité que les confiseurs réservent à leur clientèle huppée, ce qui m’amuse d’autant mieux que je me sens sine nobilitas : après avoir choisi quelques échantillons dans la vitrine en fonction de leurs noms (ainsi de chocolats nommés Palerme, qu’il me paraîtrait effronté de dédaigner !) qu’elle prélève avec un subtil doigté, n’étant pas certain des goûts de Pascal en matière de chocolats — sinon qu’il les aime et sait en apprécier les nuances, peut-être plus que moi —, je la laisse achever à sa convenance d’échafauder les étages supérieurs…
En rentrant, de retour près d’Oberkampf, faisant un détour chez un marchand de vins, ma cheville lâche comme il arrive parfois : je m’étale de tout mon long sur le trottoir, éventrant alors le coffret dans lequel le caviste vient d’emballer mes bouteilles pour Pascal et F. Heureusement, la boîte de chocolats achetée rue de Courcelles, amoureusement enguirlandée par la dame, n’a pas subi de dommages…
Je m’applique ensuite à faire le ménage.
J’ai renversé la veille au soir, à mon grand dam, le liquide huileux contenant les tomates cerises que j’avais acheté pour l’apéritif quand N*** est venu, faisant une tache sur le tapis… Je me suis donc escrimé à grands renforts d’eau, de sel, de vinaigre blanc à l'atténuer. Un fer à peine chaud entre deux couches de sopalin a permis d’exsuder un peu la graisse… Force m’est de constater que la tache se voit toutefois toujours. Pour autant elle n’est pas non plus absolument manifeste. Peut-être d’ailleurs n’est-elle pas tout à fait sèche encore. Si Pascal la remarque, il me le dira, et je proposerai un nettoyage du tapis entier. Car, tout à ma volonté d’effacer la tache, j’ai ravivé les couleurs du coin du tapis où le bocal s’était renversé avec mon propre nettoyage improvisé : aussi n’ai-je pas voulu insister, de crainte de renforcer cet effet indésirable...
Entre deux tâches ménagères, j’entame une conversation stupide avec un potentiel lover, laquelle ne débouche sur rien — que l’impression d’avoir perdu mon temps.
Et, tout en mettant une dernière main au ménage dans l’appartement, en attendant l’heure du train, je travaille jusqu’à saturation les notes prises à mon arrivée à Florence un peu moins de quatre mois auparavant.
Et puis… il est vraiment temps de mettre les voiles.
— Mais… ce n’est plus pour la Sicile : il s’agit de retrouver — tout platement, tout uniment — quoi qu'il m'en coûte — sans plus tarder — et qui m'attendent — redoutables — mes vieux démons !