686 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (1)
Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris
journal extime (3-15 avril 2016)
3 avril
Fin d’après-midi, Paris
Le train a cinq minutes de retard. J’en préviens Judith par SMS.
Heureusement, l’appartement est tout proche de la gare de l’Est et j’ai vite fait de couvrir la distance qui m’en sépare.
Personne, cependant, ne m’attend en bas de l’immeuble. Je laisse un message sur le répondeur du portable de Judith. (Sur l’instant, d'avoir ainsi presque couru avec sac et valise, je peste contre Judith, que je sais parfois oublieuse — en tout cas, peu ponctuelle. Nous devions nous retrouver sur place, elle, m’envoyer le code d’entrée de l’immeuble — ce qu’elle n’a pas fait — ; sinon, je n’aurais qu’à l’attendre devant la porte d’entrée… avait-elle dit.)
Dix bonnes minutes s’écoulent. Je me décide à appeler chez Judith. N. me répond, qui dit ignorer où Judith se trouve — et même — le ton est légèrement agacé — ne rien savoir de cette « combine » (je crois me rappeler que tel est le mot qu’il emploie).
Je m’agace doublement. En outre — ou surtout —, je vais certainement être en retard à mon rendez-vous avec N*** et Jeff.
Alors que je m’inquiète ainsi, la porte de l’immeuble s’ouvre, laissant paraître Judith, flanquée d’une femme grande, sèche et peu avenante, que Judith me présente comme sa sœur. En vérité, je l’ai déjà vue, mais très brièvement, une fois où nous avions convenu que je lui remettrais les clés de l’appartement de la rue F***, alors que N. et Judith n’étaient pas encore rentrés de leurs vacances.
On ne peut imaginer plus dissemblables que Judith et sa sœur, cette dernière âgée, il est vrai, de plus d’une dizaine d’années. Je m’en fais, quoi qu’il en soit, à nouveau la réflexion. Cependant et contre toute attente, après une invite un peu brusque, elle s’empare de mon sac, ce qui est d’autant bienvenu qu’il faut grimper trois étages…
Le téléphone de Judith est déchargé. C’est pourquoi elle n’a pas entendu mes appels. Je lui raconte mon inquiétude — et mon coup de téléphone intempestif à N. Judith a quelques mots un peu aigres à ce propos concernant N., qui n’écoute ou n’entend jamais ce dont elle l’a pourtant informé. Je songe, un bref instant, à la confidence que Francis m’avait faite, concernant Judith et N., mais chasse aussitôt cette désagréable pensée…
L’appartement est très petit, assez défraîchi, voire un peu sinistre au premier abord. J’y découvrirai toutefois la patte de Judith dans certains détails : des rideaux dans un tissu d’ameublement de fantaisie doublé d’une toile permettant d’occulter la lumière ; la salle d’eau a été refaite avec les mêmes petits carreaux aux motifs colorés que rue F*** ; le lit présente un couchage à la fois ferme et confortable…
Soirée
Quand, après quelques recommandations d’usage, nous nous quittons, il est déjà 20 heures 15. Je vais d’un bon pas jusqu’au restaurant indien de la rue de Valenciennes, où j’ai réservé.
N*** et Jeff m’attendent à l’extérieur. Jeff arbore un sourire avenant. Il me paraît un calme et gentil garçon. Il est, me dis-je, comme me l’a décrit N***, assez replet, et comme je l’avais imaginé. Il est vêtu d’un blouson de toile, d’un tee-shirt gris à boutons d’une même marque que l’un des miens, noir, que je ne mets jamais que sous un pull parce que, sinon, je me trouve l’air maigrichon. Il est, comme N***, en jeans et basket. N***, lui, porte un sweat-shirt blanc que je ne lui ai jamais vu, ainsi qu’un blouson de cuir noir.
Ils viennent d’arriver, m’assurent-ils, et je n’ai que deux à trois minutes de retard… Je demeure toutefois un peu énervé — et c’est ainsi que je mettrai en miettes, alors que Jeff me pose une question tout à fait anodine, le papadum que je tiens à la main. Et, puisque je me trouve face à un inconnu, j’en conçois un court instant du dépit, je me fustige de ma maladresse.
Jeff se montre agréable, mais, également, un peu absent. Nous parlons de théâtre, à mon instigation.
Nous évoquerons ses tournées. Jeff est déjà venu à **** deux fois. N*** m’assure, à ce sujet, qu’il n’avait pu l’accompagner la fois dernière, la chienne étant malade. Je les invite plus formellement que je ne l’avais fait auparavant à venir à ****, puisque Jeff — il n’a pas la date en tête — doit y revenir.
C’est moi qui demande des nouvelles des crevettes dont N*** m’avait parlé la fois précédente. N*** me montre donc des photographies des bestioles, ainsi que de la chienne.
Durant l’après-midi, il a fait un temps printanier. N*** et Jeff se sont promenés avec la chienne au bois de Vincennes. Ils ont sillonné le bois à vélo, la boule de poils blanche courant après eux. J’ai, pour ma part, ôté et remisé mon pull en laine dans mon sac de voyage.
Jeff dit être amoureux d’« un Juif informaticien ». La formule me heurte un peu, mais m’amuse, quand bien même je n’aurais pas réduit N*** à ces deux traits...
N***, lui, plaisante à propos du daltonisme de Jeff.
Nous parlons de GayAttitude, dont nous regrettons, N*** et moi, la disparition. Depuis, N*** n’écrit plus — pas plus d’ailleurs qu’il ne m’écrit de courriels — et dit le regretter également. « Le bonheur n’a pas d’histoire » — argüé-je pour lui.
Les plats qu’on nous sert sont copieux et bons, délicatement parfumés. Jeff a un bon « coup de fourchette », indéniablement. Il se sert en un geste large et une seule fois la portion conséquente de riz qui accompagne son plat. Nous échangeons quelques bouchées de chacun de nos plats.
Je souris de constater que N*** a encore un peu grossi.
A la fin du repas, N*** et Jeff se tiennent la main.
Nous prenons un verre ensuite dans un bar à cocktail près de Beaubourg.
Il y a là des Japonais — ou des Coréens ? — éméchés et terriblement bruyants. N*** paie une tournée. (Jeff, qui n’a pas bu de vin durant le repas, qui ne boit que rarement, aime tout de même les cocktails. Mais il ne nous suivra pas sur un second verre, quand nous recommanderons, N*** et moi, moi un verre de vin blanc, lui le même cocktail que précédemment.)
Je m’amuse du numéro de duettistes qui paraît réglé entre N*** et Jeff : le premier se montre critique lorsqu’il aborde tel ou tel sujet de conversation, quand le second joue souvent les indulgents. Il est notamment question d’amis et partenaires de théâtre de Jeff…
Jeff se dit ivre du cocktail qu’il a bu. Il continue de se montrer doux et agréable. Mais peut-être se trouve-t-il tout de même en tiers entre N*** et moi. C’est ainsi que j’interprète la demande de N*** de le contacter à mon retour.
Il y a bien eu quelques échanges d’usage. Il ne se montre néanmoins pas très curieux de moi. (Pourquoi l’aurait-il été ?, me dis-je, néanmoins, dans l’après-coup. D’ailleurs, peut-être a-t-il été par avance édifié par ce qu’aurait pu raconter N*** à mon sujet et ne souhaite-t-il pas en savoir davantage…)
[Autres réflexions, élaborées ensuite, qui ne sont peut-être que pure théorie : ma difficulté de communiquer avec des comédiens ne tient-elle pas à ce que l’extraversion les anime, tandis que moi, je suis plutôt l’introverti patenté que seule l’écriture soulage de ce qu’il a à dire ? (Je songe — naturellement — à J.-P., à propos de qui je n’ai soufflé mot durant la soirée…) — Nous parlerons de cela, à mon retour, N*** et moi, qui abondera dans mon sens, s’étant lui-même déjà posé la question… Je sourirai de l’entendre à ce sujet : N*** est tout de même, en effet, plus extraverti que moi !]
* * *
Il est minuit trente quand nous nous quittons. A l’usage, l’itinéraire que m’a recommandé N*** — je prends la ligne 7 Place Sainte-Opportune en songeant naturellement à C*** — s’avère passablement long et compliqué.
J’écoute le quintette de Chostakovitch, pour me distraire de tant de longueur.
Il est une heure du matin quand j’arrive enfin.
* * *
Je fais des rêves un peu oppressants. L’un d’eux me réveille. Le souvenir alors me reste d’un triangle fâcheux formé avec Julien (qui ressemble curieusement à R.) et un importun dont je suis un peu jaloux.
Je griffonne quelques lignes au milieu de la nuit, oripeaux de la soirée que je n’aurai plus qu’à mieux vêtir quand il s’agira de les retranscrire…