692 - Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris (6)
9 avril
Matin
Je fais une longue et lente excursion dans la médina.
A un coude des souks, une voix m’avertit : « Une charrette ! ».
Il n’y a pourtant pas de charrette, en vérité. Je conclus à un moyen détourné — sans doute — d’entrer en contact pour des raisons mercantiles. Sans me retourner, je poursuis mon chemin. Des invectives fusent. « Tu es très orgueilleux », « …ou tu es raciste ! » (C’est la première fois qu’on m’apostrophe ainsi.)
Non loin du souk des tanneurs, je trouve un pot (non pas à sel, mais à sucre !) pour Judith, qui me plaît. Le marchand lui-même m’invite à marchander. Je m’exécute donc. Nous démarrons (lui démarre !) à 300 dirhams. Je propose beaucoup moins. « Tu dois être berbère, mon ami ! » Je ris et maintiens quelque temps mon prix. « Ou alors tu es breton. » (C’est la première fois que j’entends dire les Bretons durs en affaire !). En bon Auvergnat, je l’emporte à 120 dirhams.
Les autres médersas que celles que j'ai vues les jours précédents restent obstinément fermées, et je me sens également un peu frustré de ne pouvoir voir des mosquées que les cours d'entrée aux moments où les portes sont laissées ouvertes pour les prières.
Je déjeune sur la terrasse d’un restaurant dont le menu d’appel pour touristes tient à peu près ses promesses.
Après-midi
Cette fois, mes pas me portent de Bab Sbaâ jusqu’au quartier juif de Fès Jdid, puis de là jusque la ville nouvelle.
Je marche beaucoup.
Je trouve en rentrant un message de Valérie, qui me propose de nettoyer mes plantes.
Soir
J’ai pu réserver la veille mon dîner dans un riad. Le serveur me propose, en attendant que l’on s’active pour cuisiner les plats, d’explorer les lieux. Je grimpe les uns après les autres, tout en les visitant, les étages, jusqu’à la terrasse où je converse avec un Australien, qui réside là, réduit à la même attente. (Je poserai la question ensuite : les chambres se louent à 60 dirhams en basse saison, ce qui n’est pas excessif étant donné l’endroit, en vérité très beau ; selon le serveur, la haute saison commence la semaine suivante.)
Je m’installe à la table qu’on m’a réservée.
Le gris du Gabon, qui siffle dans sa cage, ravirait N***.
Je poursuis ma conversation avec le serveur (c’est lui qui me spécifie à quelle famille appartient le volatile, en précisant qu’il s’agit d’une espèce désormais protégée en raison d’un trafic intense, et, puisqu’il est décidément très agréable, je me fais un devoir de retenir toutes ces informations...)
Le dîner lancé, il m’apporte d’abord trois entrées excellentes : une soupe de légumes, un mélange de légumes épicés, un crème d’avocat au céleri. Suit un tagine d’agneau aux poires et aux amande avec des oignons confits (les poires me font penser à J.-M., et je ne crois pas avoir jamais mangé d’aussi bonnes amandes).
Je plaisante avec le serveur : comment a-t-il deviné que l’agneau est ma viande favorite ? — C’est aussi, selon lui, la viande favorite des Marocains.
Le repas s’achève par une tarte au citron (fort peu sucrée) au coulis de fraises au naturel.
Tout cela est vraiment parfait. L’enchaînement des plats est un peu trop rapide, cependant.
(Quelle différence, néanmoins, avec le restaurant de l’avant-veille, le concurrent direct, à un jet de pierres ! Pour ne rien gâcher, nous sommes quatre en tout à dîner !...
J’étais passé une première fois, précisément l’avant-veille, pour m’entendre dire qu’il fallait réserver ; j’étais repassé la veille parce que je n’avais pu fournir de numéro de téléphone afin de confirmer ; le serveur m’avait alors demandé si j'avais quelque prévention alimentaire, dégoût ou allergie — ce pour quoi on a tenu promesse : dans les assiettes, pas de concombre en effet ! Pour le reste, c’était la règle, je ne savais ce que l’on me cuisinerait…)
* * *
(Je pense à Duncan, à qui j’ai écrit, avec plus d’intensité que d’ordinaire, pour une raison que j'ignore…)