Dans le labyrinthe : de Paris à Fès à Paris
journal extime (3-15 avril 2016)
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Au chant du muézin se mêlaient des cris de coq lors de la première prière du matin. La prestation a duré dix-huit minutes précisément : j’en ai supporté l’inconvénient tout en en mesurant la durée au moyen de l’horloge du récepteur satellitaire. La vraie question, me suis-je dit en maugréant, est de savoir quel est ce Dieu qui peut se repaître ou se réjouir de pareil tapage — et, si l’on était amené à faire sa connaissance, il faudrait doublement insister, par un prosélytisme de bon aloi, auprès des autres, auprès d’hommes de bonne volonté, pour ne pas croire en lui — ou bien alors, auprès des plus radicaux, pour s’en débarrasser !
10 avril
Au moins cela m’a-t-il permis de prendre le train de bon matin pour Meknès.
Cependant, arrivé Place El-Hédime avant dix heures, il faisait froid, bien plus qu’à Fès les jours précédents. Je frissonnais malgré le pull et le coupe-vent.
J’ai visité le marché couvert en attendant l’ouverture du musée des Arts et Métiers traditionnels,
vite arpenté, mais lui-même beau à parcourir en tant que Dar Jamaï.
J’ai erré ensuite dans les souks de la médina sans savoir exactement où je me trouvais. C’est sans la voir que je suis passé tout près de la Medersa Bou Inania.
(Elle ressemble à ses sœurs de Fès ou Marrakech comme le serait une cadette un peu timide, modeste, attachante parce qu'effacée.)
Je découvre que l’on peut accéder aux étages
Là, un Français que j’ai salué peignait sur un carnet de dessin le spectacle coloré de la terrasse qui lui faisait face : du linge aux coloris vifs étendu devant des murs de chaux rose et bleu. Je n’ai pas osé lui voler la vue sous la forme d’un cliché photographique, mais j’ai songé qu’il avait raison dans son choix de couleurs…
Je me rabats donc sur la Grande Mosquée.
J’ai continué d’errer dans la médina, accompagné d’abord, puisque récupéré à la sortie, par l’autochtone qui m’avait indiqué, sans que je le lui demande, l’école coranique et qui a voulu à toute force me montrer deux mausolées — et à qui j’ai donné congé pour poursuivre seul — allant jusque Bab Berdaïne.
(Sa conversation n’était pas inintéressante. Ainsi il m’a dit — je ne sais si c’est vrai — qu’au Maroc les artistes, ou les artisans des métiers d’art, sont exemptés de l’impôt, façon indirecte — loin tout de même d’un véritable mécénat — d’encourager les vocations artistiques ou littéraire…)
Rendu à moi-même, muni du guide, je finis par trouver un restaurant — où je déjeune d’une très bonne pastilla au pigeon.
Après-midi
J’ai beaucoup marché pour ne voir que fort peu.
Bab Mansour el-Aleu (la porte de Mansour le Renégat)
J’ai tout d’abord eu la mauvaise surprise, en effet, d’apprendre que le mausolée de Moulay Ismaïl — l’un des rares monuments religieux du Maroc accessible aux non-musulmans, avais-je su par le guide compulsé afin de préparer mon passage à Meknès — était fermé pour travaux. Dédaignant la prison Cara (la prison des Chrétiens — même si telle n’en était pas la cause), j’ai alors longé l’immensément longue longue enceinte du Palais-Royal, totalement inaccessible, totalement dérobée aux regards, toutes portes fermées et gardées par des vigiles en armes,
(ce retranchement absolu, qui ne saurait être que le fait d’un pouvoir politique abusif, heurte évidemment un Français, son pays ayant fait d’un ancien palais royal le plus grand musée du monde !) pour déboucher, beaucoup plus loin, sur le bassin de l’Agdal, lequel, à mes yeux, n’a paru qu’un banal plan d’eau, non sans agrément, certes, — « L’Angdal constitue aujourd’hui un but de promenade pour de nombreux Meknessis » — mais qui ne pesait guère au plan de l’exotisme que j’étais censé chercher !
Rebuté par la longueur du trajet inverse, puisque les splendeurs meknésiennes semblent vouloir échapper à ma saisie, je fais signe à un taxi qui me conduit jusqu’à la gare. Le précédent train, qui aurait dû être parti depuis une dizaine de minutes, est en retard. Un premier train arrive. Nous y montons. L’on nous en fait redescendre : un autre viendra, quelques temps après, qui nous convoiera jusque Fès.
J’admire la facilité et la simplicité avec lesquelles dans ce compartiment de huit personnes des conversations se nouent, chose impossible désormais dans les voitures longues et ouvertes des TGV, que les compartiments pouvaient occasionner, mais sans que cela produisît souvent… Ici les échanges se font très spontanément.
Alors que je m’escrime à lire sans vraie passion (je ne sais pourquoi je reste si extérieur au livre) le chef d’œuvre pourtant tant vanté de Emily Brontë Wuthering Heights (traduit — pourtant aussi — par Pierre Leyris), je me montre envieux de ces bâtons rompus entre personnes de sexe et d’âge différents.
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Drame minuscule : à force d’être manipulée, la couverture cartonnée du carnet à spirale acheté à Prague s’est déchirée, se détachant de son support spiralé…
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Je dîne — très mal en comparaison de la veille — de provisions achetées, de pâtes très mauvaises, en particulier.
(En arpentant Meknès l’après-midi, j’ai ressenti un second passage à vide — je ne puis m’empêcher de songer que ce sont deux de trop pour un seul et même séjour !)
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Je ne savais pas que le tremblement de terre de novembre 1755 — pour nous, lecteurs de Voltaire et de Rousseau : « le tremblement de terre de Lisbonne » — avait occasionné des dégâts jusqu’au Maroc, à Meknès notamment, en détruisant nombre de ses monuments…