702 - JOURNAL SANS FILET (nouveau journal tressé), 1

Publié le par 1rΩm1

 

29 mars [?] 2016

702 - JOURNAL SANS FILET (nouveau journal tressé), 1

Ma sœur m’a appelé sans laisser de message.

Je la rappelle donc. Elle me dit tout à trac qu’elle se sépare de son mari. (Je songe qu’elle et lui ont fait bien bonne figure quand je les ai vus, tout récemment, chez mes parents, pour l’anniversaire de ma mère. Du moins n’ont-ils pas échangé plus de petits mots aigres que d’ordinaire, façons qu’ont les couples de jouer une partition où l’on expose aux autres les irritations dont le quotidien se froisse ou s’agite.)

Elle m’annonce aussi qu’elle occupera l’appartement, qui vient de se libérer, sur le même palier que celui de mes parents.

Je marque un peu d’étonnement. Elle, les dit peu « intrusifs ».

Elle a raison, je le sais. Mais l’avenir, lui, peut jouer les intrus malotrus… Elle semble ne pas songer qu’elle sera aux premières loges pour se retrouver confrontée à la maladie, à la vieillesse. Et cela a tout de même les allures d’une proximité régressive qui me serait personnellement insupportable.

 

Lors de cette conversation plutôt rapide, elle n’a pas paru accablée, bien au contraire.

 

Ce sont mes parents qui se montreront inquiets de la situation. Ils n’ont pas, semble-t-il, davantage d’éclaircissements que ceux qu’elle a pu me donner. Je tenterai de les rassurer, arguerai que c’est elle qui en a décidé ainsi, leur disant : elle n’est pas quittée, c’est elle qui s’en va ; cela change tout ; et je n’ai pas perçu d’amertume dans ce qu’elle a pu me dire si brièvement, bien au contraire.

Je ne suis pas certain d’avoir convaincu.

 

En amont : quand j’ai abordé mes petits problèmes de santé — ce devait être au moment de son anniversaire, lorsque, pour l’occasion, je l’avais appelée —, ma sœur a décliné tous les maux dont elle souffre. Cet inventaire m’a donné de quoi relativiser.

Elle devra bientôt se faire opérer d’un kyste sur le poignet droit.

 

15 mai

Nous déjeunons, elle et moi, chez mes parents.

Elle se fait un plaisir, semble-t-il, à rappeler toutes sortes d’éléments du passé. C’est moins un roman familial commun qui ressurgit, je dois dire, à ce propos, que notre cohabitation quand, l’année de mon service national, elle avait pris l’appartement que j’occupais (un deux-pièces sans confort, dont une pièce était borgne, mais dont le loyer, dérisoire, était en conséquence), quittant à vingt-deux ans — si c’est aujourd’hui la situation ordinaire, c’était très tard alors… — le logis parental, ce dont mes parents d’ailleurs ne paraissaient pas mécontents.

Elle évoque le fait que les fois où, lors de “permissions”, nous nous trouvions ensemble, il avait été assez rationnellement décidé que le premier rentré occuperait la pièce du devant (la plus grande, qui donnait sur la rue). J’avais oublié ce détail.

Je me souviens, en revanche, d’une intimité partagée. Elle nous avait non pas surpris mais trouvés au lit, un matin, ce beau garçon arabe et moi — garçon qu’elle connaissait, puisqu’ils avaient eu l’occasion de travailler ensemble. Si je ne sais plus son prénom (sinon qu’il avait un prénom composé, peut-être Jean-Paul, qui pouvait être un prénom qu’il s’était donné, les familles musulmanes, que je sache, n’ayant pas coutume de donner des noms français à leurs enfants, qui plus est le nom de deux saints — à moins qu’il ne fût métis ?), je me rappelle sa peau incroyablement douce, la soie de son sexe — et me souviens qu’il avait dormi nu, mais conservé ses chaussettes.

 

16 mai

Appel téléphonique de ma sœur. Mon père vient d’être hospitalisé, probablement à la suite d’un accident vasculaire cérébral.

(Le matin même, j’étais aux prises avec la retranscription difficile du courrier adressé à J.-M. en octobre 1983, où j’écrivais : « mon père avait raison ».)

 

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