705 - JOURNAL SANS FILET (nouveau journal tressé), 2
17 mai
Mon père a bien fait un AVC, qui a laissé quelques séquelles encore : la main droite n’obéit pas toujours et s’avère d’une préhension imprécise, de même que les capteurs sensoriels des pieds, rendant difficile la marche.
J’emmène ma sœur et ma mère, la première ne pouvant pas conduire (pour ne rien dire de la seconde !) du fait du kyste dont elle vient de se faire opérer.
Sur place, nous obtenons quelques renseignements auprès d’un interne. Mon père devra rester quelques temps en observation et faire un peu de rééducation — selon des modalités inconnues encore. Tout dépendra de l’évolution des symptômes dans les jours à venir.
Lui s’inquiète de savoir s’il n’a pas la bouche tordue. Il craint, en fait, une récidive. Ses propos reflètent un pessimisme qu’explique peut-être ce qu’il sait des atteintes possibles de la maladie.
Le soir, je résume cet état de choses à T., avec qui j’avais rendez-vous en fin d’après-midi, rendez-vous que j’ai finalement dû ajourner. J’ajoute quelques lignes : C’était le premier jour (donc) et difficile était de s’esquiver — de fait, il était presque vingt heures quand je suis rentré chez moi. Si, au bout d’une heure, ma mère réclamait tous les quarts d’heure de partir (!), ma sœur, elle, est assez bavarde…
A l’hôpital, une jeune femme est entrée dans la chambre, qui s’est présentée comme [je cherche vainement, longuement le terme, tandis que je retranscris ces notes et même quand je les dactylographie ensuite, longtemps après — alors que Christine et B. en ont fait leur métier ; des mots de substitution me viennent : ergothérapeute, psychothérapeute, et, que j’orthographie absolument n’importe comment, ostéopathe… mais reste désespérément sec — peut-être du fait que ma mère, précisément, n’a plus voulu avoir affaire avec la sienne, sans doute parce qu’elle se trouvait en échec continu avec elle] — qui s’est présentée comme orthophoniste et s’enquérait de savoir si mon père avait besoin de ses services.
Je n’ai tout d’abord pas reconnu Anouck, à cause de l’absence de lunettes. C’est elle qui m’a tout à coup interpellé.
J’apprends ainsi que Romain se trouve à B***. Il partira un an à la Réunion avec P***.
Sa présence m’a paru réconfortante, de même que ces mots qui nous venaient aisément, comme si cinq [?], six, voire presque sept ans ne s’étaient pas passés depuis la fois dernière fois où nous nous sommes vus.
Les SMS et le mail que T. me renvoie me font plaisir, eux aussi.
Alors que je devrais éprouver du soulagement, je ressens une immense fatigue.
19 mai
Mon père a tout fait pour écourter son séjour, prévu pour une semaine, à l’hôpital.
Comme il ne marche pas très bien, j’ai dû le pousser dans un chariot à travers les couloirs jusqu’à la sortie. En la circonstance, j’ai songé à une inversion de nos rôles respectifs, depuis les premiers pas du fils jusqu’au trois pattes de l’énigme posée par la Sphinge.
© Internet
Mais, dans cette histoire œdipienne, c’est bien ma sœur qui jouait à la perfection le rôle d’Antigone : mon père appuyée sur elle a ainsi pu rejoindre la voiture que j’étais allé chercher et avais garée à proximité.
Elle est une Antigone — de toutes les façons.
(Et, quant à moi, je songe pour d’obscures raisons à certaine culpabilité kafkaïenne envers le père, objet d’une célèbre lettre éclairant les rapports du prétendu maître d’une certaine forme d’absurde à un univers tout en vertiges existentiels.)
En même temps, je songe qu’il est bien commode qu’elle soit dans le même immeuble que mes parents — sans ce que ce soit pour autant une pensée entièrement égoïste.
Voici donc mon père, sinon tiré d’affaire, sorti de l’hôpital. Faut-il croire à un simple épisode bénin, se dire que, selon la formule consacrée, il y a eu là plus de peur que de mal, ou faut-il s’inquiéter de l’avenir ? La seconde proposition me paraîtrait plus sensée — assurément.