707 - JOURNAL SANS FILET (nouveau journal tressé), 3
20 mai
Rentré de courses, je trouve un message de ma sœur. Mon père a perdu une bonne partie de sa motricité
. Sur les instances de ma sœur, il a consenti à appeler l’hôpital. Il y sera admis à nouveau cet après-midi à 14 heures. (Je ne peux m’empêcher — naturellement — de songer qu’il a trop présumé de lui-même, alors que ma sœur ou moi pouvions nous occuper d’elle temporairement.)J’appelle mon père. Il me remercie de ma sollicitude (!). Je reste un instant décontenancé. Comme je travaille, je ne peux pas de toute façon pas l’emmener.
21 mai
Après notre visite à l’hôpital, nous dînons sur la terrasse, ma mère, ma sœur et moi (c’est la toute première fois cette année qu’on le peut).
Après leur départ, je trouve un courriel de Marthe : Frédérique a fait une chute dans l’escalier de son immeuble occasionnant un très sévère traumatisme crânien. Les pronostics des médecins sont très pessimistes. Elle me demande de prévenir T.
Quoi qu’il en soit, je n’arrive pas véritablement à croire la nouvelle — et l’idée ne me traverse pas que Marthe a peut-être été témoin de la chute au moment où elle s’est produite…
Je suis réveillé une demi-heure à peine ensuite, d’un sommeil comateux, par le téléphone. Il est presque minuit. L’instant de stupeur passé, je me lève ; mais, alors que j’ai décroché le téléphone de sa base pour répondre, mon correspondant n’est plus en ligne.
Je rapporte le combiné près du lit. Et c’est seulement — toujours ce même esprit de l’escalier — après quelques minutes que j’ai l’idée d’appeler le répondeur.
J’entends la voix sépulcrale de Marthe. Frédérique est morte. Le moment de nous retrouver T., Yann, elle et moi, étant mal choisi, on se verra plus tard, ajoute-t-elle.
Il est trop tard pour prévenir T. : je m'en occuperai le lendemain. Je n’ai d’ailleurs pas la force ni le courage de lui écrire un mail. (Lâcheté de ma part ? C’est ce que je me dirai ensuite.)
Je sombre dans un mauvais sommeil de brute.
22 mai
C’est d’un sommeil évidemment agité que je dors, le verbe même n’étant guère approprié. Je me lève tôt, après plusieurs interruptions de ma nuit.
Ayant reconsidéré quelque peu les événements de la veille, j’ai l’idée de réécouter le message de Marthe. C’est moins l’accablement, qu’une sourde colère qui me paraît animer ses propos : « C’est Marthe, hein ? Frédérique est morte tout à l’heure ! Allez, je te souhaite une bonne soirée ! Mais… je pense qu’on se reverra tous, mais dans d’autres circonstances… Au revoir. »
Et, quand j’ouvre la messagerie, je trouve trois courriels successifs, postés à 23:27, 23:33 et 23:41 répétant mon prénom et une seule et même phrase « Fred est morte », en variant les positions de l’un et de l’autre.
Puis j’appelle Madame H***. Elle ne sait rien non plus. Elle est bouleversée. Elle pleure au téléphone.
En rentrant de l’hôpital, en fin d’après-midi, un message de T. et surtout un autre de Marthe me rassérènent un peu. Elle me remercie d’avoir prévenu Mme H*** et T. — et nous communiquera, quand elle la saura, la date de la cérémonie.
Le soir venu, sans complètement m'en alléger, je reconsidère avec plus de distance ses messages de la veille.