718 - JOURNAL SANS FILET (nouveau journal tressé), 7
9 juin
Mon père me téléphone : il reconduit. « Plus de corvée » me dit-il. Je proteste qu’au contraire je suis content pour lui.
15 juin
Nous accompagnons mon père à la banque, ma sœur et moi, qui veut ouvrir un coffre pour lequel nous aurions également procuration. Mon père y dépose son héritage direct du cousin récemment décédé, trouvé dans son coffre à lui et dont il avait seul la combinaison : deux lingots d’or, des bons au porteur. Toute une vie d’agriculteur à amasser sur son coin de terre, à une époque où avoir une petite exploitation rapportait bien plus qu’aujourd’hui. Les héritiers auront trente hectares de fermage à se partager (c’est là une surface agricole dont j’ai bien du mal à me représenter l’étendue, même si j’en connais la conversion métrique).
Mon père donne d’autres détails, notamment sur les échéances des bons au porteur. Je reste distrait. Si tout cela m’amuse, cela ne m’intéresse pas vraiment. Je délègue à ma sœur le soin d’écouter.
18 juin
Il semble que ma sœur soit toujours fourrée chez mes parents. Je ne puis m’empêcher d'y voir une immense régression. Je n’en suis pas indemne, j’en subis la contagion, et cela m’irrite à quelque degré de me trouver ainsi plongé malgré moi dans ce bain familial, ce dont, depuis un certain temps, ces lignes témoignent, qui s’emplissent de « père », « mère », « sœur » — jusqu’à satiété.
Les sensations de picotements ou de décharges électriques nocturnes dans mon bras droit, selon elle, seraient dues à l’obstruction progressive du canal carpien et nécessiterait la même opération que la sienne !
24 juin
Je dîne avec ma sœur. C’est le second repas avec un membre de la famille sur la terrasse.
Je le constate à nouveau : elle est toujours entraînée à évoquer le passé. Cependant, et c’en est la première fois, elle me rapporte les difficultés relationnelles qu’elle a toujours eues avec ma mère. Elle me dit qu’envers elle ma mère s’est toujours montrée terriblement exigeante et critique, tant et si bien que, lorsque mon père rentrait le soir de son travail, elle se sentait soulagée de trouver un peu d’affection et d’être dans tous les cas moins sous les feux critiques du regard de ma mère. Elle me dit aussi que, d’après mon père, ma mère aurait toujours refusé d’évoquer frontalement mes rapports avec les garçons.
Cela me surprend d’autant plus que, non seulement je ne me suis jamais caché de mes orientations sexuelles avec mes parents, et ce, dès mon adolescence — c'est sur la pointe des pieds que mon père traversait la chambre d'amis où nous dormions J.-L. et moi pour aller se procurer une cravate avant de partir travailler —, mais encore qu’elle a toujours paru faire bon accueil à R., qu’elle tutoyait alors qu’elle n’a jamais cessé de vouvoyer mon beau-frère. Cependant, R., et je m’en étonnais toujours, la détestait, sans raison valable me semblait-il alors, ce qui, reconsidéré à présent, relevait peut-être d’une sorte de prémonition de n’être pas vraiment accepté malgré une aménité de surface. Ce n’est d’ailleurs qu’après la maladie de ma mère, lors d’un tête-à-tête, que mon père s’est enquis de savoir comment j’allais après m’être séparé de R., et c’était la première fois qu’il me parlait ouvertement de cette rupture, après que ma mère et lui avaient durement été harcelés par R., qui, précisément, ne supportait pas la séparation. Il avait ajouté que, contrairement aux allégations de R., il n’était pas « homophobe » — il m’apprenait ainsi que R., qui, de fait, le prétendait, l’en avait accusé —, sans toutefois préciser que le refus d’évoquer ma sexualité ne venait pas de lui — ce que je croyais absolument — mais de ma mère.
Tout cela (autant ce qu’elle me rapporte que les modifications récentes intervenues dans le tissu familial) est nouveau pour moi, à divers titres. Je ne suis pas sûr d’ailleurs de bien en mesurer toutes les conséquences.
Elle me dit aussi que ma mère se montre insupportable avec mon père.
Ce disant, elle ne m’apprend toutefois rien.