720 - JOURNAL SANS FILET (nouveau journal tressé), 8
Nuit du 25 au 26 juin
J’envoie un message électronique à Aymeric pour lui répondre, après que j’ai moi-même envoyé un courriel relatant ce qui m’agite sur le moment. Je lui ai parlé de Frédérique auparavant, de sa mort accidentelle, laquelle, dans mon esprit, pouvait prendre les allures d’un suicide quand bien même je tâchais d’en chasser l’idée :
Ce que tu m’écris du suicide tenté par la mère de ton ami est assez horrible. Le geste d’effacer, en outre, ce qui pouvait attester une existence, dans sa portée toute symbolique et qui redouble la tentative de s’effacer soi, a quelque chose d’un peu glaçant. (Je relisais dernièrement la lettre LXXVI des Lettres persanes sur le suicide, et donnais raison à Montesquieu contre le La Fontaine de "La Mort et le Bûcheron" ; mais il y a peut-être, en la matière, loin de la théorie à la mise en pratique, surtout quand on considère le passage à l’acte — raté — que tu relates… Et je dois dire aussi que je n’ai pu m’empêcher d'associer la chute de [Frédérique] à une sorte d’acte manqué, comme la volonté de sortir de la cabane enfumée, image des stoïciens dont paraît tout de même se souvenir La Fontaine dans sa fable…)
La mère de [Paul], l’ami que j’évoquais je crois dans mon précédent mail, est morte entre-temps des suites d’un cancer généralisé, ce qui a très certainement confronté sa compagne, [Marthe], au deuil à nouveau, et j’imagine que c’est elle qui a dû se colleter avec un certain nombre de formalités, Paul n’étant pas toujours à la hauteur des aspects matériels les plus ou les moins élémentaires de l’existence et ayant tendance à s’en délester sur elle… Et — surtout —, comme auprès de Frédérique Marthe devait trouver une oreille attentive, plus que compatissante pour, non pas aplanir mais justifier au contraire voire la conforter dans sa position quant aux différends qui ont lieu au sein du couple, que désormais elle et Paul sont en face à face presque permanent, sans l’échappatoire d’une amie et confidente toujours prompte à protéger son amie contre le mâle maladroit (et Dieu sait si… !), cela a dû redoubler son désarroi… Je les ai vus jeudi, et ai trouvé Marthe particulièrement à cran, très vindicative, presque injurieuse à l’égard de Paul, et ils m’ont donné le triste spectacle d’un couple qui s’agresse, au point de me gâcher le plaisir de les voir...
La vie matérielle dans ses aspects les plus crétins joue toujours à faire des siennes (de même que la météorologie)... Mon téléphone est brusquement tombé en panne, et je l’ai porté chez un réparateur, qui, sans me faire de promesse expresse, pourra peut-être le remettre en état (mais sans nécessairement récupérer les données personnelles enregistrées dans la mémoire de l'engin). Alors que je voulais remettre un ancien appareil en service, je n’ai pas réussi à remettre la main sur le chargeur. Je me suis donc maudit de n’avoir noté nulle part la plupart des numéros récents que j’avais pu enregistrer dans le répertoire du téléphone même. Pas de problème pour les plus anciens — le tien ou celui de N***, par exemple, mais pas celui du frère de J.-M., ou (beaucoup plus symboliquement !) de Julien, qui ne figurent pas dans le répertoire de mon ordinateur de bureau ! J’ai donc emprunté à mon père un téléphone, lui ai demandé mon propre numéro, le sien, celui de ma sœur pour parer au plus pressé. A la recherche d’un chargeur, dans un magasin susceptible d’en vendre d’occasion, j’ai vu le vendeur se saisir de mon appareil et loger la prise du chargeur neuf (que de dix euros il avait consenti à me faire à huit, presque mécaniquement, au vu et su d’une grimace qui a pu m'échapper) sur le côté de l’appareil — et j’ai compris brusquement que, si je n’avais pas trouvé d’adaptateur idoine, c’est parce que je cherchais à ficher les chargeurs surnuméraires qui me restaient de divers appareils (ou ceux que j’avais essayés chez mon père) dans la prise jack des écouteurs ! Et me suis souvenu in petto que la précédente panne venait d’un chargeur défectueux — que précisément j’avais remplacé par celui du mobile que je voulais remettre en service (je ne sais pas si tu me suis !). Bref, j’ai donc pu charger la batterie de mon ancien appareil — et récupérer toutes sortes de numéros (dont celui de [Duncan] ou de Julien !), que j’ai, instruit par l’expérience, enregistrés sur la "carte SIM" » !
(Vertigineuse vie !)
Pour ne pas gâcher la fête, depuis, comme il arrive par temps de grosses chaleurs (ce qui a été le cas de jeudi et vendredi), le clavier de mon ordinateur de bureau le plus récent « dysfonctionne » : tous les signes diacritiques ou ponctuations particulières qu’on convoque par touche spéciale, comme les tirets dont j’use et j’abuse, refusent de s’imprimer. Même avec la fraîcheur brusquement revenue aujourd’hui (je suis rentré en frissonnant d’une balade en ville alors […] que j’avais une chemise à manches longues), les choses ne sont pas encore, elles, revenues à la normale, bien que j’aie réussi à produire deux tirets coup sur coup au paragraphe précédent (mais cette victoire a été de courte durée, et j’ai dû, depuis, faire des "copiés-collés"…)
[…]
Sinon — toujours la vie matérielle… —, comme je me suis aperçu que trois seulement des quatre roues de la valise achetée il n’y a pas si longtemps Alexanderplatz à Berlin fonctionnaient (l’une d’elles ayant été enfoncée lors d’un de ces mauvais traitements qu’on inflige aux bagages dans les aéroports) à mon retour de Fès, je me suis acheté une valise de marque soldée à 60% hier ! Je vais donc pouvoir venir très bientôt à Paris, où je te verrai entre le 25 et le 27, afin d’avoir de tes nouvelles fraîches, concernant notamment ta situation professionnelle. J’ai hâte (évidemment) !