729 - Journal d'un conscrit (8) [in memoriam J.-M.]

Publié le par 1rΩm1

 

C***, le 26 octobre 1983

Chers vous deux,

Je dois, pour vous écrire, me contenter de cette feuille dérobée, n’ayant plus de papier à lettres : pauvreté n’est pas vice — j’ignore pourquoi toutes sortes d’aphorismes “populaires” me traversent l’esprit en ce moment… —, et ce n’est pas grave puisque je n’ai que quelques nouvelles brèves à vous communiquer, pragmatiques.

Selon toute vraisemblance, je serai à **** ce week-end, et [ce], pour 96 heures, en raison de la Toussaint (les fêtes religieuses ont du bon, quelquefois — quoique ce [seront] comme deux dimanches à passer !) ; j’espère donc vous voir, à moins d’un accident quelconque — sait-on jamais ? —, auquel cas je préviendrais ma sœur. Je rentrerai, si tout va bien (ces redondances [de] discours sont tout à fait superstitieuses…), samedi matin et tâcherai de vous téléphoner aux alentours de midi.

Par ailleurs, j’ai eu la confirmation (quasi officielle) de mon “retour au corps”, sans doute très tôt la semaine prochaine. Les deux nouvelles sont tombées ensemble, si bien que cette seconde, à laquelle je me préparais déjà depuis longtemps, s’est avérée moins douloureuse que je l’avais imaginé, soutenue — ou éclipsée ? — par la première… Bref.

Je vais aussi bien que possible et la perspective de revenir à tout ce qui me hante m’a donné un bon coup de fouet ; à **** je reprendrai des forces réparatrices. J’espère bien que vous serez de ma “thérapie”.

729 - Journal d'un conscrit (8) [in memoriam J.-M.]

 

Que dire d’autre ? Les journées sont démesurées, démesurément longues, en attendant. Monotones, efflanquées, respirant mal. Des journées blanches, en quelque sorte.

Je poursuis mes lectures et ma correspondance comme j’absorberais des analgésiques. Je pense d’ailleurs à vous très souvent car je suis en train de lire la Difficulté d’être de Jean Cocteau, parallèlement à la lecture de Kafka. De ce dernier, n’ayant finalement que peu à vous écrire, je vous abandonne ceci : « Lui, il se connaît, les autres, ils les croit, cette contradiction lui scie tout en deux. » « Il ne prouve que lui-même, son unique preuve est lui-même, tous ses adversaires triomphent de lui immédiatement, non parce qu’ils le réfutent (il est irréfutable), mais par le fait qu’ils se prouvent eux-mêmes. » « La question de la conscience est une exigence sociale. Toutes les vertus sont individuelles, tous les vices sont sociaux. Ce qui passe pour une vertu sociale, par exemple l’amour, le désintéressement, l’équité, le dévouement, n’est qu’un vice social “étonnamment” affaibli. » (Privé de mes petits et grands plaisirs habituels, j’éprouve, par compensation, un plaisir fou à écrire. Voilà qui est bien difficile à partager…)

Bises. Et j’espère, à très bientôt.

Romain

 

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