726 - Passacaille estropiée (11)
Mercredi 3 août
Matin
Je me rends à la Berlinische Galerie — et dois, par plusieurs fois, ronger mon frein.
J’y suis, en effet, sans le savoir, dix minutes en avance sur l’horaire d’ouverture.
Mais on me fait patienter encore : la presse est convoquée pour je ne sais quel événement. J’aperçois, dans le couloir qui mène aux lieux d’exposition, une réunion au sommet entre autorités indigènes et gardiens.
L’accès au musée en est différé.
Dix à quinze minutes se passent ainsi avant que je puisse enfin entrer.
Je commence ma visite par deux premières salles qui s’offrent à main droite, consacrées à une exposition temporaire sur Dada et l’art nègre1 (Dada Africa, Dialogue with the other).
Or, j’en suis bientôt chassé par deux gardiennes, alors même que rien ne paraissait en interdire l’entrée, ni cordons, ni barrières.
Frustré de ce qui m’intéressait a priori le plus et passablement remonté déjà d’avoir dû tant attendre, je cède à l’esclandre.
Alors (donc) que je m’apprête à quitter les lieux tout en mettant en scène une sortie furibonde, la caissière à l’entrée entend parlementer : l’exposition ne commence que vendredi ; la presse a été convoquée à une avant-première ; mais, après que les journalistes auront pénétré l’enceinte sacrée, je pourrai, mortel favorisé des dieux lares, y entrer à mon tour.
Ma colère retombe, j’accepte ce compromis, tout en songeant à part moi que j’ai eu raison de faire un peu de théâtre.
J’erre donc de toile en sculpture, de sculpture en photographie, à l’étage supérieur.
Il n’est pas tout à fait onze heures encore quand, avec aménité, dépêchée sans doute, une gardienne m’invite à redescendre au niveau inférieur et à me mêler aux journalistes.
L’exposition obéit à un principe de correspondance entre des œuvres et leur “réécriture” (fécondation ?) par des artistes dadaïstes.
En fait, le plus souvent, je photographie davantage les œuvres princeps que leurs réinterprétations — parfois, il est vrai, amusantes, provocantes ou révoltées.
Je jouis en tout cas de ma position enviable de petit électron libre dans les lieux, d’autant que je n’entends rien aux exposés doctes des conférenciers, qui doivent ainsi souffler la bonne parole aux journaleux en mal de papier. Les quelques paroles que j’attrape me paraissent convenues — mais ce sont aussi les seules que je comprenne, mon allemand ne tenant guère qu’à des souvenirs scolaires…
Las, beaucoup de clichés que j’aurai pris seront ratés.
Midi
Je déjeune d’un mauvais sandwich au poulet qu’agrémente une sauce épicée non loin de Kaiser-Wilhelm-Gedächtniskirche dont j’ai pris en photo une photographie le matin même lorsque l’église se trouvait à l’état de ruines.
Je rentre à l’appartement, non sans acheter dans le quartier une pâtisserie autrement meilleure que ma pitance précédente — et pouvoir oublier ainsi le déplaisir de cette mie insipide enserrant une viande en papier mâché.
Après-midi
Je visite le musée des arts asiatiques. Je vais de civilisation en civilisation — de plus en plus vite —, jusqu’à l’heure de la fermeture (17 heures, ce que je trouve, une nouvelle fois, un peu tôt…).
A nouveau, les photographies que je prends sont pour la plupart médiocres ou mauvaises.
Gedenkkopf einer Köninginmutter iyoba, Nigeria, début du XVIe siècle ; Stehender Bodhisattva Guanyin, China, fin du VIe siècle ; Tonfiguren, sitzende Frauen, (600-900 après J.-C.)
Je me décide à rentrer.
Ressentant le besoin d’une pause, je fais des courses pour un dîner improvisé.
* * *
B. a répondu à mon message de la veille : je lui avais demandé, mes douleurs s’accentuant, l’adresse électronique de P., afin qu’il me fixe un rendez-vous dès mon retour pour une séance d’ostéopathie. J’écris donc à P. pour qu’il me répare.
Khadija m’a aussi envoyé un message.
Soir
Dans le même quartier que la veille, j’expérimente un autre bar gay. Je n’y trouve pas plus d’agrément particulier que la veille — et ne m’attarde pas davantage.
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1Comme le spécifie la brochure emportée, grâce à laquelle j'ai pu renseigner certaines images et retrouvé le titre de l'exposition : « The exhibition relates to a historical situation. Terms in current usage at the time like "primitive", "art nègre", "poèmes nègres", chants nègres" and their German equivalents were the products of racist and colonialist thinking with which we by no means identify » !