730 - Passacaille estropiée (14)
5 août
Je me rends au château de Sanssouci. J’arrive peu après l’ouverture : la file d’attente est encore clairsemée aux guichets, j’attends cinq minutes tout au plus avant d’entrer.
L’audioguide fourni est bavard, et ce, sans qu’il soit toujours besoin.
Je vais sous les ors et les marbres sans toujours écouter les commentaires...
Dans la Bildergalerie, dans l’entassement des toiles, figure un Caravage : j’en achète la carte postale, que je destine à Pascal et F., en même temps qu’une autre carte, que je leur enverrai les jours suivants, en remerciement et clin d’œil pour mon séjour chez eux dans l’Yonne.
J'erre ensuite dans le parc, effectuant ma propre cueillette photographique.
Je m’amuse que, visitant ensuite le Château de l’Orangerie, la salle Raphaël abrite la plus grande collection de copies du peintre [sic].
Puisque j’ai décidé au dernier moment mon excursion, je n’ai pas prévu de sandwich ; je suis des poteaux indicateurs, puis de grandes allées, afin de déjeuner dans le restaurant du parc attenant : j’ai beau mourir de faim — il est presque quatorze heures — je cède aux charmes de l’endroit.
Enfin attablé, ce que je mange est étrange — à dire vrai, ni bon, ni mauvais. Chaque ingrédient pris séparément pourrait faire mon affaire, mais l’assemblage en est curieux. Au moins est-ce copieux.
Restauré, je prends une tangente dans les allées serpentines du parc pour aborder le Neues Palais, qui, sous un ciel chargé, semble attendre l’orage, en attendant — work in progress — de retrouver ses dehors rutilants.
Parquées, entassées derrière leurs grillages (pour les protéger sans doute de déprédations déshonnêtes),
ces statues, encloses comme dans quelque camp de concentration décidé par un un esthète empêché, ont l’air de mugir en direction des indifférents qui les longent, esclaves magnifiques qui n’attendent que de retrouver, elles aussi, leur place parmi les splendeurs qui leur sont dues. Et leur prison consterne et saisit parce qu’elles ne sauront jamais dire les trahisons, les outrages à la beauté qu’elles ont subis depuis tant de temps — depuis qu’abandonnées par le furieux despote et mégalomane qui avait ordonné leur naissance a quitté l’endroit, les murant d’autant mieux dans ce silence, et les livrant aux postérités incertaines.
Bref, elles me saisissent (comme est saisi le vif) — autant au moins qu’un écorché et davantage en un sens qu’une Vénus manchote ou un Antinoüs énasé.
Impressionné, mais d'une autre façon, par la surcharge rococo de la Grottensaal.
L’appareil photographique s’en effare. Tous les clichés en sont troubles comme si beauté et laideur étaient devenus indécidables.
© Internet
Et toujours ces ors surnuméraires... ces marbres qui se rêvent immarcescibles...
A seize heures, après les splendeurs coruscantes du Neues Palais, j’en ai suffisamment pris plein la vue pour décider de dételer. D’ailleurs, l’idée d’acheter la sacoche en cuir vue dans la vitrine du Kudam me taraude : elle remplacera la mienne, usée sur toutes les coutures et que j’avais payée aussi cher alors même que seul le rabat était en cuir (lui seul, dont j’ai pris soin, ne s’est pas abîmé).
Le bus que je prends, presque plein, tombe en panne. Nous devons descendre pour le suivant, déjà peuplé. La presse s’en trouve d’autant plus accrue.
Rentré à Berlin, j’achète la sacoche, puis retourne dans ce bar où j’étais allé le premier soir, puisque j’en suis tout près.
Je ne regrette pas mon échappée à Postdam, même si, durant mon séjour, j’ai déployé à Berlin une activité presque frénétique, courant les lieux culturels (puisque peut-être la position assise aggrave ma cruralgie).
C’est pour cette raison peut-être que je n’ai pas voulu épuiser tout Postdam…