734 - Passacaille estropiée (18)
Nuit du 8 au 9 août
La douleur me réveille vers les quatre ou cinq heures du matin. Je finis par me lever avant six heures pour me faire un déjeuner (la station debout calme), avale un cachet, lis quelques pages et, aidé par la digestion, me rendors presque deux heures.
9 août
Matin, Ny Carlsberg Glyptotek.
Je commence ma visite par une exposition Degas au haut d’un escalier. J'y suis seul, face aux habituels baigneuses, danseuses et chevaux, bien éclairés par la lumière du jour.
J'erre ensuite parmi des sculptures, cette fois au milieu de nombreuses personnes : je dois souvent patienter pour mes prises photographiques.
Je découvre de très belles salles Rodin.
Las, Les Gauguin ont été confisqués pour une exposition pour laquelle il aurait fallu payer...
De Paris à Berlin, de Berlin à Copenhague, les créatures de la porte Ishtar de Babylone prennent à me poursuivre un plaisir dont je suis le complice tout aussi ravi.
Le musée propose quelques salles dédiées à l'art français, dont les toiles ne sont pas toujours égales. Quoi qu'il en soit, — si ma photo de cette représentation de la mort (qu'on pouvait imaginer d'un sculpteur symboliste de l'avant-dernier siècle en la découvrant une volée de marches plus bas au moment de gravir un escalier qui y mène, mais s'avère d'un artiste contemporain) est passable —
mon cliché du Buveur d'absinthe est, lui, totalement raté.
Passant un peu rapidement à travers les salles consacrées à l'art danois — j'ai photographié pourtant les cartons consacrés à certaines œuvres (C. W. Eckerberg, Woodland Study. From Dyrehaven ; Christen Kobke, Two Tall Poplar ; J. Th. Lundbye, Fallen, Tree Trunks of the Forest Floor), sans les retrouver ensuite sur la Toile, faute sans doute de davantage de persévérance —, je suis sorti pour 13 heures et, me remémorant l'aimable invitation du préposé à l'ascenseur de la veille, songe alors à visiter la tour du château de Christianborg, qui ne se trouve pas bien loin, mais toutes les pré-réservations ont été prises.
Après-midi
Je visite le Staten Museum for Kunst, un très bel endroit dont les parois de verre à l'arrière du bâtiment donnent sur des espaces verts que mouille un cours d'eau.
De belles ou très belles œuvres de la collection permanente déclenchent en moi le geste photographique, suscitant de nouveaux ratages...
Une sculpture allégorique quadrangulaire en buis de 5,8 centimètres d’un artiste inconnu sur le thème du Memento mori propose sur quatre faces — avec le secours d’un jeu de miroir permettant de voir chaque face opposée — les visages d’une jeune homme et d’une jeune femme, jeunes puis vieux…
A l'étage, des œuvres surréalistes dont je n'ai trouvé que des vignettes sur Internet (ainsi de deux tableaux de Wilhelm Freddie, The Day D et Sensual Interior), ou des œuvres contemporaines, comme celle, étonnante par son hyper-réalisme, de Michael Elgreen et Ingar Dragset, Please, keep quiet, dont l'injonction n'est pas sans effet sur le visiteur de ces salles où sont parqués des mannequins en cire qui valent pour un autre Memento mori aussi glaçant que dans la chanson de Ferré : L'hôpital meublé de ces gens/ Dans les salles où dorment les chromes/ Avec son fils et ses gants blancs/ Dans l'anesthésique royaume.../ Elle meurt sa mort la Mort elle meurt...
Et, moi qui n'aime guère les installations vidéo (sans doute parce que je n'en comprends d'ordinaire ni les tenants ni les aboutissants — mais, si la peinture est, je n'en disconviens pas, cosa mentale, je ne crois pas que l'art soit toujours pour autant le fruit d'une trituration conceptuelle, surtout si c'est pour renvoyer aux grottes de Lascaux le geste artistique en déclarant l'art mort et néanmoins juteuses les transactions y afférentes...) — je demeure sidéré par les images de synthèse projetées sur trois écrans géants au rythme du Boléro de Ravel (sur-employé, certes, mais non sans raison en l'occurrence, les images créant elles aussi à mesure leurs heurts trépidants) qu'inspirent aussi bien les contrôles aéroportuaires que les premières consignes de sécurité données dans les avions avant le décollage :
dans ce Safe conduct de Ed Atkins, le burlesque, l'humour noir, le grinçant se disputent à l'horrifique — à moins que ce ne soit, tout bonnenent, à la pure servilité (réaliste) de nos conditions inconscientes : on y voit des visages qui s'ensanglantent, des mains et des oreilles comme autant de pièces qu'un humanoïde détache et livre à ces plateaux avançant, roulant tout seuls sous l'œil attentif ou distrait de préposés hors champ, sous les rayons X encore plus invisibles, lesquels, pourtant, n'altèrent ni la mémoire des ordinateurs et téléphones portables, ni celle des appareils photographiques mais font de nous des idiots magnifiques que maintenant des myriades de gouttelettes pourpres et violettes vouent à l'implosion finale de nos cerveaux...
(Les images que j'en attrape ne sont évidemment pas les plus saisissantes, si j'espère en avoir cerné l'esprit...)
Peu de temps avant la fermeture, je me rends ensuite à Rosenborg Slot.
La salle de trône, la salle du trésor, dans l'entassement des objets, de la vaisselle, de toutes sortes d'objets précieux et laids, fatiguent et découragent l'œil, qui balaie ces amoncellements avec indifférence, sauf quelques camées, quelques ivoires — par exception.
Soir
J’écris à T. un premier message, dont je ne sais pas encore qu’il trouvera son prolongement le lendemain.
Entre autres raisons de penser à toi, je bois un verre d’un vin blanc sicilien dans un bar à vin en face de Christianborg : je t’en tairai le prix car tout, ici, coûte entre une fois et demie et trois fois les prix parisiens ! (ainsi le timbre pour la France vaut 3,5 euros — contre 90 centimes en Allemagne !).
Bref, ne compte pas sur moi pour te faire autre chose que la carte électronique en ce jour ^^.
Ce sera donc la Petite Sirène, photographiée par une nuée de touristes asiatiques !
(La Petite Sirène, c’est à peu près la Petite Poucette, pas plus grosse que deux à trois fois le Manneken-Pis, et juchée moins sur un rocher que sur un gros caillou tout proche du rivage…)
Je te fais signe dès que rentré.
Amicales pensées,
Romain