736 - Passacaille estropiée (19)
10 août
P. m’a écrit et propose un rendez-vous pour une séance d'ostéopathie le 15.
Sans doute a-t-il oublié, me dis-je alors, que le 15 est férié. Si non, il peut tout aussi me prendre la veille, le dimanche. J’envoie un message pour en faire la proposition.
J’adresse aussi mon message écrit la veille à T., dont c’est l’anniversaire.
Matin
Je prends le train tôt pour être à Frederiksborg à l’heure de l’ouverture.
Il s’y trouve beaucoup de mobilier, dont je me dis qu’il est bien peu protégé des hordes de touristes — asiatiques surtout à nouveau, qui composent l’essentiel de la meute du moment.
N’étant pas assuré d’avoir réussi certains de mes clichés, j’achète de très belles cartes postales d’un format géant, qui se désignent d'autant mieux à mon attention qu'elles sont comme les répliques de mes propres photos.
Je déjeune dans un restaurant roboratif et correct, à ceci près qu’on me sert le poisson avant que j’aie pu entamer les entrées. Avec un verre de vin rosé chilien, je m’en tire pour l’équivalent de 25 € (180 DK), non sans songer que ce sont là des prix plus doux qu’à Copenhague. Le plat principal est agrémenté d’une sauce à nouveau curieusement sucrée — en l’espèce, il s’agit d’une sorte de mayonnaise au curry —, sans doute pour accompagner les frites, dont je laisse la moitié.
A 13 heures, je suis dans le train pour Helsingør.
Après-midi
Beaucoup moins meublé, sinon de peu et de meubles inauthentiques, le lieu me déçoit un peu. Il y pleut comme une évidence quand j’arrive, et je ne m’étonne donc pas de cette grisaille.
Dans ces salles parsemées de meubles et d’accessoires qu’on a naufragés là (donc), des comédiens, qui précèdent mes pas, interprètent des scènes de Hamlet — dans les lieux où elles sont censées se dérouler. Il est vrai que l’on fête les quatre cents ans de la disparition de leur auteur et que, depuis le l’anniversaire de sa mort, des acteurs prodigieux ont joué dans la cour du château.
L’attestent dans deux salles d’exposition de très belles photographies.
Sur l’une d’elles, Jude Law sourit, oubliant sans doute quel est son rôle. Mais on lui pardonne en raison de la pilosité charmante qui déborde de son col. (J’ignorais qu’il eût pu interpréter le rôle, de même que je ne savais pas que Vivian Leigh avait donné la réplique à Laurence Olivier…)
Quittant les lieux pour reprendre le train, l’éclat argenté de ce qui paraît être une sculpture moderne dans le port attise ma curiosité. Je découvre alors, loin des regards inquisiteurs, un frère mélancolique et sexué de la créature rêvée par Andersen.
Louisiana, que je visite ensuite, m’enchante d’autant plus qu’on peut fausser compagnie à ses expositions pour aller dans son jardin peuplé d’arbres et de sculptures — de sculptures et d’arbres.
Je m’amuse d’une exposition de photographies autour d’Elizabeth Taylor, collectionneuse en diable de lunettes, de fourrures, de bijoux, d’hommes, de gants, de chaussures et de trophées divers… De ce bric-à-brac bien rangé (dans des pièces dédiés, des meubles, des tiroirs), seuls émeuvent ses amitiés (pour Monty Clift) ou ses engagements (pour le sida).
Rentré à Copenhague, je renonce au nocturne de l’exposition Gauguin..
Je passe d’ailleurs un temps infini à rétablir le Wifi sur le mobile après que Google — comme si je ne voyageais jamais ! — a cru à une tentative de piratage de ma messagerie (c’est la troisième fois au moins depuis que je me trouve à Copenhague). Je parviens tout de même à m’enregistrer sur le portable, d’autant que je ne dispose pas d’imprimante, pour l'avion du retour.
Soir
Après dîner, je retourne chez Oscar, le bar près de l’hôtel de ville, faute d’une meilleure inspiration.
J’écris à T., en complément de mon message envoyé le matin :
(Naturellement si la veille, j'avais su que je trouverais la réécriture masculine de la Petite Sirène dans le port d'Helsingør (Elseneur), c'est elle que j'aurais choisie — enfin, lui...
Tourné — mais sans le regarder, sans rien regarder que lui-même ! — vers le château où se tourmentait déjà son grand cousin Hamlet, ce Manneken-Pis suffisamment grandi pour être devenu mélancolique avait, de fait (pour le coup !), de quoi naufrager là...
Tu noteras, quoi qu'il en soit, qu'il n'attire pas les nuées de touristes alentour, asiatiques ou pas ^^ !)
A bientôt,
Romain
(Ce n’est qu’en examinant à la loupe (numérique) le détail au pied de Han que je m’apercevrai plus tard que la signature en est la même que celle de Please, keep quiet, vu la veille, — celle de Michael Elgreen et Ingar Dragset.)