738 - Passacaille estropiée (21)
12 août
Je fais une sieste de près d’une heure après le déjeuner pour endormir la douleur — et m’éveille juste à temps pour la séance du film pour lequel j’ai un carton d’invitation.
Las, je me suis trompé de jour : c’est donc raté pour le cinéma. (Je laisserai l’invitation le lendemain, pour qu’elle en dispose, à Khadija, le film n’étant plus à l’affiche à ****).
Comme je n’en suis pas très loin, je pousse à pied jusque Montparnasse.
J’achète au Musée Bourdelle un petit livre sur les Halles que Khadija avait eu longuement en main, hésitant à l’acheter, tant et si bien que je m’étais dit que je lui offrirais à mon retour.
Je vais aussi à la boutique du Musée de la poste — toujours délocalisée Avenue du Maine — pour me procurer un carnet de timbres, et j’arrête mon choix sur des autoportraits de peintres. J’achète également des olives, ayant trouvé plutôt mauvaises celles de l’apéritif la veille. Ainsi j’ai l’impression de n’avoir pas tout à fait perdu mon temps. Il est un peu plus de 18 heures quand j’arrive à R***.
13 août
Ce sont deux journées vraiment agréables que j’ai passées avec Khadija. Elle a tenu à m’accompagner jusqu’à la Gare de l’Est — plus précisément, depuis Bastille où nous nous étions donné rendez-vous jusqu’au studio de N., puis jusqu’à la Gare de l’Est.
La veille au soir, nous avons dîné à R*** même, et avons joué de malchance : vin bouchonné et renvoyé, viande dure pour ce qui était du faux-filet commandé par Khadija. Or, c’était son anniversaire, et je l’avais invitée dans ce restaurant qu’elle-même avait choisi.
En revanche, nous apprécions notre déjeuner improvisé du jour, Khadija préparant la salade et moi, les émincés de poulet aux poireaux. Nous nous mettons en route ensuite.
Khadija dit être réticente à rencontrer Judith : elle n’a pas aimé l’appartement (dont elle n’a vu que la pièce principale) et elle avait été sévère lorsqu’elle avait croisé Lucien, lui trouvant une tête de requin-marteau (sic). Je connais ses préventions — et n’insiste pas. D’ailleurs, je ne suis pas non plus certain que la Méditerranéenne brune et vive, toujours un peu jalouse, s’accorderait bien avec la blondeur scandinave indolente de Judith. Khadija décide de faire des emplettes à Bastille et de me rejoindre ensuite.
Je me rends donc chez Judith seul. Notre conversation roule essentiellement autour de Copenhague et Berlin, deux villes où elle et N. sont déjà allés. Je m’aperçois, aux questions qu’elle me pose, que je mélange déjà tel et tel musée, ma mémoire prenant décidément de plus en plus l’eau — à un point qui m’inquiète parfois, celui, en tout cas, du non-retour, tandis que je ne sais déjà comment faire pour écoper.
Je lui demande tout à trac l’origine de la mauvaise humeur de N. la fois dernière. Elle me répond qu’elle ne s’en souvient plus — ce qui me paraît difficile à croire —, mais elle m’assure que ça n’a rien à voir avec moi. Je n’insiste pas.
Elle se plaint de l’attitude de Francis, qui a convoqué le concierge pour obtenir les clés de l’appartement et exigé qu’il l’aide au transbordement de ses bagages. Naturellement, il s’est contenté de remercier son factotum, sans même lui glisser un billet — ce que, dit-elle, elle devra faire à sa place. (Je retrouve le personnage tel que je l’avais appréhendé. En outre, il n’a pas voulu loger près de la Gare de l’Est, prétextant être trop chargé, et réclamant de dormir, non pas dans le studio, mais dans la chambre de Lucien — tandis que Laure et Lucien dormiraient ensemble ! Aussi mon séjour à R*** chez Khadija tombait-il à pic, arrangeant les uns et les autres, tandis que, de mon côté, je me suis réjoui de ne pas devoir le croiser… Je ne commente néanmoins qu’à peine sa muflerie.)
N. arrive, qui me fait plutôt bon accueil. Cependant, il est temps pour moi de rejoindre Khadija. Il ponctue nos adieux d’un « A bientôt » qui me paraît sincère et plutôt chaleureux.
Je retrouve Khadija dans un bar au pied de la Tour Montparnasse. Elle me parle de la décompensation de sa sœur aînée, Fatiha. Elle ira à M*** s’occuper de sa mère, invalide, exigeante et hystérique, si, contre l’avis de ses frères, elle réussit à placer Fatiha dans une structure adaptée. Nous en parlons longtemps. L’incurie des autres membres de la famille m’a toujours heurté. Aicha est tout de même venue s’occuper de ces deux folies en miroir une dizaine de jours.
Nous en parlons longtemps, d’autant qu’elle veut emménager dans la région après qu’elle aura été licenciée. Je ne trouve pas que ce soit une bonne idée : elle se retrouvera plus que jamais seule sur la brèche. A l’incurie des frères, je préfère l’attitude de F***, la cadette, qui dit ne plus rien vouloir à voir avec sa mère et sa sœur aînée…
Nous nous quittons Gare de l’Est sur ce point d’orgue, qui ne laisse pas de faire résonner en moi un peu d’inquiétude.
Moi dans le train, elle dans le métro, nous continuons de nous envoyer des SMS. Je me demande quand nous nous reverrons.
28 décembre
Je propose à Khadija de partir avec moi au Portugal. Plusieurs jours se passent sans j’aie de réponse.
J'ai reçu les vœux de Else, dans une carte électronique qui, pour être commerciale et adressée à ses hôtes, n'en est pas moins agréable...
3 janvier
Je reçois enfin un courriel, après que je lui ai envoyé mes vœux : elle est bien à M***, où elle n’a pas de couverture réseau.
« Je vais m'y installer pour quelques mois » me précise-t-elle, en me donnant ses coordonnées. Elle ajoute : « Je dois encore organiser l'hospitalisation à domicile pour ma mère, elle sortira ce jeudi ; quant à Fatiha, je l'ai hospitalisée le 19 décembre dernier.
Il me faudra aussi organiser le déménagement de R*** à M***, je viens de donner le préavis pour le 31 janvier.
Bref, ça bouge ça bouge !
Je t'embrasse. »
Elle ne souffle mot de ma proposition — tant et si bien que je ne suis pas certain que cela « bouge » dans le bon sens pour elle… Entre-temps, j’ai pris la décision de réserver mon voyage à Porto et Lisbonne, tout en choisissant des endroits où elle et moi aurions pu cohabiter.
(à suivre)