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69 - Dédicace (rêve érotique)
Du fait d’une plaisanterie sans doute innocente dans un mail de ***, je fais dans la nuit qui suit un rêve érotique particulièrement puissant.
Nous nous embrassons. Ce sont des baisers hauts, larges, longs, profonds. Des baisers qui nous giclent, cinglent et nous transpercent. Ce sont des baisers intenses dans leur force, des baisers longs dans leur durée. … Nous nous embrassons, nous ne nous en lassons pas. … Je ne sais comment, en nous embrassant ainsi, nous trouvons les moyens d’avoir encore une prise d’air extérieure. Avec de pareils baisers, l’évidence serait de s’étouffer… En fait, nous respirons de tous nos pores, l’air qui emplit, à l’arrière de nos baisers, nos fosses nasales ne saurait suffire : s’ouvrent en nous des branchies, sans doute, à pleines joues, des branchies ivres de ramer dans l’air vif – tant, en nous embrassant, loin de suffoquer, nous devons aspirer tous les vents qui vont à l’extérieur. …
(« C’est ça l’amour », Al**, tu te rends compte ?... )
La question, cependant, mérite d’être posée au mitan de ce rêve : à quoi tient qu’avec certains de nos amants nous nous embrassons si bien ? La question n’est pas : pourquoi certains de nos amants nous embrassent si bien ? puisque les baisers relèvent d’un acte où s’annihilent l’actif et le passif, que deux langues qui travaillent ensemble sont plus solidaires et soudées entre elles, par l’intermédiaire des deux bouches, que deux sexes ne seront jamais complémentaires (fussent-ils masculin et féminin, oserais-je… par provocation ou plaisanterie !), que le baiser est un acte égalitaire, que les langues jouent une même partition, inversant simplement le dessus et le dessous dans la façon dont elles virent, virent et revirent à loisir en leurs deux bouches abouchées…
A quoi tient qu’avec certains de nos amants nous nous embrassons si bien ? Comment alors ces bouches qui s’abouchent se correspondent-elles si parfaitement ? Est-ce le jeu, la forme des langues, leur masse, leur matière, leur souplesse, leur pulpe, leur étoffe, leur empan ? est-ce le rythme, la façon dont elles se lapent, se fouettent, se roulent et se vrillent, s’agacent, s’épaulent et se poussent ? ou est-ce plutôt le double réceptacle qui les abrite — la double voûte palatale qui accueille et loge ses invitées ? ou est-ce cette lèvre large sur laquelle ma propre lèvre pose comme sur un appuie-tête qui la déborde, l’ourle et la borde, est-ce, oui, cette lèvre chaude ? Et à quoi tient ce miracle de la salive quand nos salives se mêlent, qu’elles se mêlent ni trop, ni trop peu, qu’elles ne sont plus au fond qu’une salive : fusion, confusion, effusion, transfusion, diffusion des liquides en bouche dans un échange qui les éclaircit, les fluidifie, les distille en liqueurs âpres douces, liquide d’orange et d’amande mêlées, sans trop de goût, ni fadeur ni miel, fluide et souple comme se fait le ballet en bouche, ce pas de deux des langues avec leurs passes de tango – et l’on ne sait lors si, en tanguant ainsi, c’est au dais du palais ou au compagnonnage de l’apex, du dos ou de la masse entière de la langue que l’on doit cette ivresse de girandoles éclairant la voûte étoilée…
(« C’est ça l’amour », Al**, tu te rends compte ?... — c’est ça… dans les rêves, du moins !)
Et pourquoi donc, autre versant d’une même question, certains autres de nos partenaires sont-ils si médiocres, leurs baisers tout petits, presque mesquins ou pointus, dans une cavité qui ne s’élargit pas, où la langue bute, dans une salive pataude qui s’étale, trop abondante et trop chaude, trop sucrée ?
(C’est ça l’amour, parfois, c’est ça…)
Mais avec *** nous nous embrassons sans discontinuer nos bouches parfaitement abouchées nos langues parlant d’une même langue la même langue glissant sur les dents montant et descendant comme les vagues dans un monde convexe à la semblance du monde dans laquelle nos langues se meuvent se meuvent se meuvent se meuvent Et cet entreregard Nous nous embrassons mes mains qui caressent le torse assez velu de *** *** a les reins ceints d’une serviette qui glisse et je sens son membre contre ma cuisse Dans le rêve, *** dit alors en termes crus combien il bande Je ne lui dis pas… combien je m’en étais aperçu.