743 - Romana saltatio (Paris-Rome-Paris) (3)

Publié le par 1rΩm1

 

Romana saltatio

 

(Paris-Rome-Paris, 20 octobre – 2 novembre 2016)

 

Journal extime en écho

[Paris-Porto-Lisbonne, 10-23 février 2017]

 

III

 

21 octobre, matin

Je renverse, au petit-déjeuner, mon verre de jus d’orange sur la nappe : je me déteste immédiatement de ma maladresse : j’avais eu l’idée d’ôter la nappe la veille, mais l’avais gardée en vue du repas du soir avec N*** et me reproche de ne l’avoir finalement pas fait…

Je la trempe immédiatement, la lave ensuite et la laisse s’égoutter sur le séchoir extérieur en espérant, après en avoir très rudement exprimé dans la douche l'eau qu'elle contenait, que le vent la défroissera…

 

Après-midi

Alors que j’ai quitté le XIe arrondissement sous le soleil, il pleut à verse au sortir du métro : j’ai encore quelques centaines de mètres à parcourir et je me réfugie dans la bouche de métro la plus proche du Petit-Palais vers lequel je dirigeais mes pas. J’y retrouve Aymeric, qui, lui, sorti de cette station, a fait demi-tour pour la même raison. Après que la pluie s'est calmée et que nous sommes sortis de ce souterrain, nous faisons docilement la queue un peu plus d’une demi-heure, tandis que d’autres personnes semblent entrer librement dans le bâtiment, apparemment pour la collection permanente. Finalement, à l’intérieur, nous nous rendons compte qu'il n’existe pas de caisse spécifique.

L’exposition autour d’Oscar Wilde nous laisse un peu perplexes : très anecdotique dans son principe — et, pour ma part, je n’y apprends rien que je ne savais déjà —, elle ne convainc pas tout à fait non plus des goûts esthétiques de l’auteur du fameux paradoxe selon lequel c’est la nature qui imiterait l’art et non l’inverse : rares, en vérité, sont les œuvres exposées qui me plaisent vraiment, et je me prends à remettre en cause quelque peu le goût esthétique mais aussi les talents critiques de l’écrivain irlandais, lesquels se bornent le plus souvent à la description. Certaines caricatures sont amusantes et je revois le portrait d’André Gide par Jacques-Emile Blanche — cependant que les photographies de Wilde ou de Bosie ont toutes été vues et revues. J’ai confondu Pierre Louÿs, vu de loin, en dandy magnifique, avec Robert de Montesquiou…

 

743 - Romana saltatio (Paris-Rome-Paris) (3)

Sortis de l’exposition, nous nous rendons dans le quartier où nous devons aller au cinéma — j'ai proposé de voir (revoir pour ce qui me concerne) l'impossible Monsieur Bébé de Howard Hawks —, et, en attendant l’heure de la séance, nous installons dans un café.

Aymeric, à grands traits, me retrace sa nouvelle vie Il dort beaucoup, se lève tard, jardine. Il s’est découvert une détestation : se faire la cuisine, ainsi qu’à son cooccupant. Il trouve plaisir, en revanche, à se fournir sur un marché, ceci compensant cela.

Il a gardé à sa disposition un local pour sa bicyclette dans le XVe arrondissement.

Il dit n’avoir aucun regret de son travail, ni même de ses clients.

Son discours, s’il célèbre sa condition d’« homme libre » (expression qu’il avait, je crois, employée dans l’un de ses messages), se colore, me paraît-il, cependant d’un peu d’inquiétude quant à l’avenir — et à de possibles compromissions qu’il devra passer avec lui.

Il ira bientôt voir sa mère en Bretagne. Il me dit avoir acheté pour elle un livre de Benoîte Groult, qu’il l’a lu pour être certain qu’elle y trouverait un peu d’intérêt : le contenu lui en a paru insipide — et, plus encore, l’écriture, insupportable.

 

Après le film — que je n’aurais pas destiné aux enfants, nombreux dans la salle, mais certains ingrédients : animaux, mouvement, vitesses, poursuites, cache-cache, gaffes et gags leur arrachent des cris de plaisir —, nous faisons des courses tout près de Parmentier, tout en devisant. Nous nous amusons évidemment beaucoup du personnage “crypto-gay” interprété par Cary Grant, devant, débarrassé de ses lunettes — et tout à coup beau gosse, sinon belle fille —, endosser la robe de chambre de l'héroïne, et se voir taxer de façon cinglante de « butterfly » par la tante de cette dernière.

 

743 - Romana saltatio (Paris-Rome-Paris) (3)
743 - Romana saltatio (Paris-Rome-Paris) (3)

 

Cependant, ni Aymeric ni moi ne sommes très inspirés dans les rayons de ce supermarché quant à ce que nous voulons manger (il est tard déjà et la plupart des commerçants sont fermés), et, de fait, le risotto que nous choisissons un peu par défaut est, nous le saurons bientôt, moins bon que celui de la veille. De même d’ailleurs, le vin — et le dessert.

Les interlocuteurs de pôle emploi lui ont proposé des reconversions très improbables. Il me raconte avoir rempli un très long questionnaire, dont l’ambition sans doute était d’embrasser toutes les situations. Aymeric a répondu « non » partout. Les formations semblent toutes aussi fumeuses et inutiles les unes que les autres.

Comme la veille avec N***, j’évoque le fait que Khadija se retrouve dans la même situation que lui. Avec une sorte de même état d’âme. Elle et lui entendent goûter d’abord une parenthèse enchantée, qu’ils savent devoir se clore bientôt dans un inconnu sans doute un peu trop vaste, vaguement menaçant.

 

Aymeric parle peu, mais toujours avec cet à-propos que je lui connais. C’est moi qui, partant, parais me transformer en bavard impénitent (et m’en fustige). Toutes mes préoccupations du moment y passent. Or, je doute que ce soit toujours passionnant...

Quand j’évoque N***, je nomme à nouveau Jeff par son nom de plume, et je m’interroge in petto : ne suis-je pas en train de laisser mes retranscriptions du réel distancier la réalité ?

 

La conversation finit tout de même par marquer le pas.

Il n'est pas loin de 23 h 30 : Aymeric doit affronter presque une heure de trajet. A partir d’une certaine heure, les tramways se font rares, et la fatigue a de toute façon gagné son territoire.

*  *  *

Les moments passés ensemble, dans leur longueur, ne ressemblent pas aux rendez-vous habituels, après le travail d’Aymeric. Ils m’évoquent la première fois où nous nous sommes vus, presque sept ans dorénavant, ou ce week-end pascal, en 2013, où nous avions déjeuné dans un restaurant italien de Belleville et vu une exposition au Louvre sur la peinture allemande (De l'Allemagne, 1800-1939. De Friedrich à Beckmann). D'où mon contentement d’avoir pu profiter de sa présence, plus longuement que d'ordinaire après l’une de ses journées de travail.

-=-=-=-=-=-

(en écho)

 

13 février [2017]

Rendez-vous est fixé avec Aymeric à la cinémathèque française. Je suis en avance, mais je n'attends guère : il arrive deux minutes après moi.

Vous ne l’emporterez pas avec vous de Frank Capra, comédie bien réjouissante — toujours très actuelle dira Aymeric ensuite. Ni la copie, mauvaise, ni la salle pleine ne parviennent à en gâcher le plaisir.

Ne pense à couper mon portable que le film déjà commencé.

A la sortie, SMS de Duncan, revenant (prétendument ?) de Washington. Je commence à croire qu’il m’oppose /prétextes/

Nous parlons assez longtemps du jeune homme, Aymeric et moi, attablés dans un bar qui fait face au Palais omnisports de Bercy, rebaptisé je ne sais quoi du fait d’une concession faite à une chaine internationale d’hôtels. Aymeric s’indigne. J’aime bien quand Aymeric s’indigne. C’est d’ailleurs toujours à propos. Nous /parlons/ de nos inquiétudes quant aux scrutins présidentiels à venir.

Je propose de dîner ensemble dans le quartier de F. et Pascal : j’achèterai chez le caviste trois bouteilles de vin blanc, rouge et rosé, comme la fois dernière, que je laisserai dans l’appartement. (J’ai fait le ménage et ne veux pas improviser un repas médiocre — le dernier l’était —

 

Je dépose mon achat chez F. et Pascal et vérifie — pendant que Aymeric tapote sur son portable — comment aller au mieux jusque Orly le lendemain. Je ne sais pas — ce n’est indiqué nulle part — de quel terminal l’avion décolle (Aymeric dit qu’il serait stressé de ne pas savoir, je présume Orly sud [ce sera Orly ouest]

 

Dînons correctement dans le restaurant (bruyant) où m’ont déjà emmené Pascal et F.

Ne sait pas de quoi l’avenir sera fait : ancien compagnon/ Toulouse/ vendre la maison

Je l’embarrasse en lui proposant une semaine à Londres ou ailleurs

M’explique qu’il ne touchera pas tout de suite ses premières indemnités (seulement en juillet)

Me retrace CV sur réseaux sociaux

Le globish

 

Je raconte la conversation de N*** avec son conseiller/ son interrogatoire par des douaniers/ notre fouille, corps et véhicule, Lindsay et moi quand nous revenions d’Amsterdam

 

Prenons un dernier verre — après un premier jus de pomme, un café viennois pour ce qui le concerne

tout près de Parmentier (j’ai acheté mon billet pour Orly)

Me dit qu’il n’a jamais été autant détaché

Evoquons les fins de vie (voit sa mère, qui, sinon tout à fait la tête, perd la mémoire, que veut placer en maison de retraite sa parentèle — lui se demande si pas trop tôt : je songe à T.

...  ...  ...  ...

(Alors q j’écris ces linéaments, je reçois un SMS d’Aymeric)

 

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