760 - Fado fandango (1)

Publié le par 1rΩm1

 

Fado fandango

 

Le mot fado est dérivé du latin fatum, « destin », lui-même dérivé du verbe fari, « dire ».

[Faut-il en dire davantage ?]

 

(Le fandango est en mode mineur, d'un mouvement à la fois animé et voluptueux, et sans finale marqué — ce qui permet de le recommencer autant de fois qu'on veut.)

 

Journal extime

 

(Paris – Porto – Lisbonne - Paris, 10-23 février 2017)

 

 

 

I

 

 

Paris, 10 février [2017]

Il fait froid à Paris — au moins autant qu’à **** les jours précédents, sinon davantage. Alors que je sortais faire quelques courses, il s’est mis à neiger.

Contrairement à la dernière fois — averti, dressé peut-être à ce contraire, cherchant à désamorcer toute inquiétude inutile —, c’est dans une sérénité relative que je suis parti (pour m’en étonner).

Et c’est avec plaisir que j’ai retrouvé le petit appartement de F. et Pascal.

Seule contrariété que j’emporte, la belle plante de J.-M. — dont j’avais vu une sœur autrement plus plantureuse dans les jardins de la villa Majorelle — est attaquée par une arachnide parasite, laquelle a dû migrer des orchidées pour se loger sur elle. J’ai reconnu les traces blanches comme de la neige carbonique, en effet, sur les feuilles, lesquelles ensuite, se recroquevillent, brunissent, se dessèchent — et tombent. J’ai laissé la bombe insecticide pour Valérie, qui viendra durant mon absence s’occuper des plantes. Peut-être saura-t-elle éradiquer la bestiole. J’ai laissé aussi en évidence (!) une pelle et une balayette afin qu’elle puisse ramasser les feuilles sur le plancher.

 

 

Après-midi, Neuilly

Je n’avais jamais mis les pieds à Neuilly.

Je m’y rends pour visiter la collection Chtchoukine à la fondation Louis Vuitton (j’ai une pensée pour Duncan).

Il neige dru.

J’ai réservé mon billet sur le conseil, bien avisé, de Claude : la file d’attente est longue pour ceux qui ne l’ont pas fait, alors que je pénètre dans le bâtiment après un quart d’heure de queue tout au plus.

760 - Fado fandango (1)

Le vieil appareil photographique, léger dans ma poche, que j’ai pris avec moi, a un temps d’obturation extrêmement long. Je n’en ai plus l’habitude. Je cherche assez longuement aussi comment éviter que le flash se déclenche. C’est sans importance d’ailleurs, puisque toutes les photos que je tente sont ratées et que, de toute façon, chaque tableau ou presque mériterait de se graver dans ma mémoire plutôt que dans celle de l’appareil. Après avoir déambulé dans les treize salles — l’une est vide cependant —, je me contente de clichés sur la terrasse. Le ciel, fuligineux, dégoutte de neige, puis bientôt de nuit. Dans cette aqua-tinta nocturne improvisée, les arbres du bois de Boulogne jouent aux sentinelles fantomatiques dans les halos des lampadaires et, seules taches de couleur qui laissent dans leur sillage des rais persistants, dans les feux rouges arrière des voitures. Le paysage semble vouloir rivaliser avec la peinture impressionniste des premières salles de l’exposition…

(La Défense, elle, paraissait prise en tenaille entre neige et grisaille aux approches de la nuit.)

 

760 - Fado fandango (1)

Je m’achemine ensuite vers la sortie, encore ravi de ces salles consacrées à Gauguin, Matisse, Picasso — salles suffisamment vastes pour qu’on y circule sans être trop gêné par la foule —, un peu dépité de ne trouver pratiquement aucune reproduction des œuvres exposées sous forme de carte postale. J’achète toutefois une vue de l’endroit, que je destine à Pascal et F — et leur enverrai à mon retour.

 

760 - Fado fandango (1)

 

Soirée

Je passe avec N*** une soirée (presque) identique à la précédente. A ceci près que N***, que j’attends dans le même bar qu’en octobre, est à l’heure : il arrive quelques minutes à peine après 19 heures, cherchant comme à son ordinaire l’endroit alors que c’est peut-être le quatrième ou cinquième rendez-vous que je lui donne là.

Il arbore une moustache et des pattes longues et fournies qui empiètent sur une barbe de deux millimètres et demie, me spécifiera-t-il — et d’ajouter en riant cultiver ainsi le look d’un acteur porno (« gay », précise-t-il également) des années soixante-dix.

 

N*** m’embrasse et me demande comment je vais. Je réponds, par plaisanterie, ne pas trop savoir : dans le métro, un jeune noir a voulu me céder la place, et j’exagère ma vexation de cette proposition faite sans doute à mes cheveux gris.

Lui, m’explique-t-il, va mieux depuis que, le jour de l’an, il a fumé tout un paquet de cigarettes : les douleurs à l’épaule ont presque disparu. Son médecin dit comprendre cet effet singulier de la nicotine.

Pour ne pas retomber dans l’addiction au tabac, il recourt aux cigarettes électroniques (de fait, il tétera une demi-douzaine de fois de courtes bouffées durant le repas).

Tandis qu’il s’installe en face de moi, il m’annonce aussi ne plus boire du tout d’alcool. Et, dans la foulée, commande un jus d’orange pressé. Les précautions alimentaires pour faire baisser son taux d’urée se sont multipliées : N*** doit faire dans une quinzaine de jours de nouveaux examens et s’oblige à un régime draconien pour ne pas être astreint à une médication à vie. Il commente à nouveau son hérédité malheureuse : s’il a déjà à quarante ans des douleurs de vieillard, qu’en sera-t-il lorsqu’il aura l’âge de son père ?

 

Après cet apéritif inaccoutumé, nous errons longtemps dans un magasin de surgelés avant de trouver un plat qui convienne : encore une sauce au champagne accompagne-t-elle le poisson dans la boîte que nous emportons de guerre lasse, après mainte autre lecture de listes d’ingrédients toutes plus fastidieuses les unes que les autres, sans garantie que nous puissions être épargnés quant à l’urée, la maladie et, moins encore, l’insolent trépas…

(à suivre)

 

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