764 - Fado fandango (4)
Fado fandango
Journal extime
(Paris – Porto – Lisbonne - Paris, 10-23 février 2017)
IV
13 février
Matin
Je cède à une même procrastination matinale que la veille : j’achève le roman de Abdellah Taïa, acheté le jour précédent. Il me plaît, mais, vrillé surtout d’une intuition dont la raison m’échappe tout ou partie, je me dis qu’il plairait à Pascal bien plus encore.
Je tente d’appeler Khadija. Elle est sortie. Fatiha me fait subir un interrogatoire en règle pour savoir qui je suis. Je ne l’ai vue qu’une seule fois, il y a fort longtemps, au mariage de Youssef. Je remets à mon retour le moment d’un téléphonage.
Après-midi
Rendez-vous est fixé avec Aymeric à la cinémathèque française. Je suis en avance, mais je n'attends guère : il arrive deux minutes à peine après moi.
Vous ne l’emporterez pas avec vous de Frank Capra s’avère une comédie bien réjouissante — toujours très actuelle dira Aymeric ensuite. Ni la copie, mauvaise, ni la salle pleine ne parviennent à gâcher notre plaisir, le public, nombreux, riant de bon cœur.
Je n’avais pensé à couper mon portable que le film déjà commencé, certains réflexes me manquant encore. Je m’aperçois, à la sortie, que j’ai reçu un SMS de Duncan, revenant (prétendument ?) de Washington. Je ne puis m’empêcher de penser qu’il m’oppose excuses, prétextes ou inventions — je n’ai pourtant jamais pris Duncan en flagrant délit de mythomanie : il a peut-être tout bonnement cette vie extraordinaire à rebondissements dont il sait si bien retracer les détails. Il y a désormais un an que nous ne nous sommes pas vus, et chaque occasion ratée laisse un regret tenace.
Le message — assez curieusement — me parvient en deux temps, les énoncés étant inversés :
Mais ca fait bien trop longtemps que l’on ne sait pas vu.
J’aimerai en effet qu’on fasse ca.
Je serais peut être de passage à **** en mars quelques jours (a confirmer) A quand est prevu ton prochain passage sur Paris ?
Coucou Romain.
Comment tu vas ? Je suis désolé de te repondre seulement mtn.
C’était la course sachant que jeudi je partais pour Washington et que je suis rentré seulement ajd.
Enfin je travail jusqu’à environ 21h 22h ce soir et ensuite j’ai affreusement besoin de repos sachant que demain j’ai un meeting a 8 h qui va sans doute durer quelques heures et que je n’ai quasi pas dormi lors de mon vol retour.
Nous parlons assez longtemps du jeune homme, Aymeric et moi, attablés dans un bar qui fait face au Palais omnisport de Bercy, rebaptisé je ne sais quoi du fait d’une concession faite à une chaîne internationale d’hôtels. Aymeric s’indigne. J’aime bien quand Aymeric s’indigne. C’est d’ailleurs toujours à propos. La transition est toute choisie pour évoquer nos inquiétudes quant aux scrutins présidentiels à venir.
Je propose de dîner ensemble dans le quartier de F. et Pascal : j’achèterai chez le caviste trois bouteilles de vin blanc, rouge et rosé, comme la fois dernière, que je laisserai dans l’appartement. (J’ai fait le ménage et ne veux pas improviser un repas médiocre — le dernier l’était —, ni devoir faire la vaisselle ensuite à la veille de m'en aller.)
Soir
Je dépose mon achat chez F. et Pascal et vérifie (pendant que Aymeric tapote sur son portable) comment se rendre au mieux jusque Orly le lendemain. Je ne sais pas — ce n’est indiqué nulle part — de quel terminal l’avion décolle. Aymeric dit qu’il serait stressé de ne pas savoir et n’obtient pas davantage de réponse : je dis présumer partir d’Orly sud, argüant que de là doivent partir les vols internationaux [ce sera Orly ouest, en fait, dont je faisais décoller les vols intérieurs…].
Nous dînons correctement dans le restaurant (dont je ne me souvenais pas qu’il était si bruyant, mais c’était en été et nous avions dîné à l’extérieur) où m’ont déjà emmené Pascal et F.
Il me dit ne pas savoir de quoi l’avenir sera fait : son ancien compagnon souhaiterait vendre leur maison pour s’installer à Toulouse, ce qui peut advenir d’un moment à un autre.
Je l’embarrasse en lui proposant une semaine à Londres ou ailleurs.
Il m’explique qu’il ne touchera pas tout de suite ses premières indemnités, mais seulement en juillet.
Il me retrace les nouvelles formes de curriculum vitae sur les réseaux sociaux, démesurément longs [si je me souviens bien] et tape-à-l’œil.
Je raconte la conversation de N*** avec son conseiller, retrace son interrogatoire par des douaniers alors qu’il rendait visite à ses parents, et enchaîne sur notre fouille, corps et véhicule, Lindsay et moi quand nous revenions d’Amsterdam. (Lindsay me manque encore de temps à autre, et son souvenir provoque de violentes bouffées de nostalgie…)
Nous prenons un dernier verre — après un premier jus de pomme, un café viennois pour ce qui le concerne — tout près de Parmentier (où j’achète mon billet de RER pour Orly le lendemain).
Aymeric m’explique qu’il n’a jamais été autant détaché de toute préoccupation professionnelle [c’est du moins la façon dont je suppose qu’il faut compléter ce linéament, car je crois me souvenir alors avoir songé à Rimbaud, à ce qu’il appelait les horreurs économiques, professant dans “Mauvais sang” : « J'ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à charrue. — Quel siècle à mains ! »].
Nous évoquons les fins de vie : il voit sa mère qui, sinon tout à fait la tête, perd la mémoire, et que, pour cette raison, veut placer en maison de retraite sa parentèle — lui se demande si ce n’est pas trop tôt : je songe à T., qui s’était posé les mêmes questions naguère, et trouvait un peu empressés ses frère et sœur. Depuis, s’étant laissée faire, sa mère, sans récriminer, regrette la maison où elle pouvait encore vaquer à ses occupations puisque autonome encore.
* * *
(Alors que j’écris ces linéaments le lendemain matin, je reçois un SMS d’Aymeric :)
Bonjour Romain.
J’espère que ton voyage va t’arracher (même si, provisoirement) à cette grisaille d’ici. Amitiés,
Aymeric
14 février
Après-midi
Vol sans histoire (en dépit de mon erreur de terminal). J’apprécie de n’avoir de voisin ni à droite ni à ma gauche.
Il pleut quand j’arrive à Porto.
Le soleil revient bientôt, néanmoins.
Puis, à nouveau, la pluie.
La température est toutefois agréable, et je suis bien aise d’avoir quitté l’hiver.
Je ne suis pas attendu : il n’en est d’ailleurs pas besoin, puisque l’appartement, tout comme l’entrée de l’immeuble, s’ouvre avec un digicode, qu’a programmé — j’imagine — la femme de ménage en partant. J’ai précisé, la veille, que je serais en avance sur l’heure habituelle du check-in (!) — je songe à notre conversation la veille avec Aymeric, qui avait raillé le globish avec lequel nous entrelaçons nos destins sans aventure, de façon à ne pas trop battre la semelle en attendant de pouvoir pénétrer les lieux.
Le studio est neuf, spacieux et propre. Il est à l’image de l’absence de tout accueil : impersonnel (tout est blanc) et voué aux locations des vacanciers qui s’y succèderont sans jamais mêler — entrelacer — leur histoire à celle des autres.
Je m’en rends bientôt compte : je suis tout près du centre piétonnier, de la rue commerçante principale de Porto.
L’après-midi est déjà entamé, et je remets au lendemain toute visite touristique : je me contente d’explorer le quartier. Je fais des courses dans un supermarché assez proche, puis, ayant déposé ces courses, dans le studio, m’achète des chaussures, puis trois chemises dont je fais raccourcir les manches.
J’ai marché deux heures et demie dans les rues de Porto sans m’en rendre compte.
Je dîne dans l’appartement d’un plat préparé que j’enfourne dans le micro-ondes.