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Des pas dans mes pas – week-end à Reims (1)
27 février 2010
“Le Diplomate” à Châlons
Je n’ai gardé aucun souvenir de l’endroit. Le colombage (sans le hourdis) qui divise l’espace en deux à l’intérieur du café a fait naître (toutefois) une mince réminiscence. Photographies d’acteurs aux murs : Signoret dans Manèges, Liz Taylor — entre autres vedettes (les autres étant moins évidentes, entendu au sens de “moins à voir” pour moi) des années cinquante (Gabin, Montand, Morgan…)…
Je suis pourtant certain que nous nous rendions là très régulièrement en compagnie de Lindsay. Comment est-il possible que j'aie si peu de souvenirs ? Je crois me rappeler ces photos. Mais aucune certitude. (Et ubi est le cher Lindsay ?) En face, ou presque, “Le Renard” — est-ce là où nous buvions des cocktails ? Souvenir, quoi qu’il en soit, d’une année sinistrée. Dans la grande boîte en carton, je retrouverais, si je la cherchais, la correspondance étroite avec mes amis que je tenais — comme on dit « tenir un journal » — alors. Châlons-sur-Marne (comme la ville s’appelait, avant d’être rebaptisée Châlons-en-Champagne !) — 1983-84. Seuls les deux derniers de ces douze mois violemment inutiles ont été illuminés par la présence radieuse de Lindsay.
Quelle idée ai-je eue, par conséquent, en venant à Reims, de faire le crochet par cette ville dont je ne me souviens de rien ou presque — tant il est vrai (et c’est heureux) que nos mémoires s’avèrent sélectives ? Pourquoi se confronter à cette histoire rugueuse encore ? Ne suffirait-il pas d’être replongé plus de vingt années en arrière en revenant à Reims ? Ne suffirait-il pas, pour cela, des personnes invitées par W*** (j’ignore absolument qui je vais retrouver, en dehors évidemment de Pascal) pour l’anniversaire de ses cinquante ans ?
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A Reims, garé rue de l’Isle, tout près de l’endroit où habitait Ch*** (impossible, à mon grand dam, sur le moment de me souvenir de son nom de famille — et je n’aurai que bien plus tard l’idée de chercher dans mon carnet d’adresses vieux d’au moins vingt-cinq ans, me souvenant — au moins ! — de l’initiale de son patronyme, ainsi d’ailleurs que de la syllabe finale, si caractéristique des noms polonais). Ainsi garé, j’ai donc abordé la cathédrale par le chevet.
Toutes mes photos des vitraux de Chagall — faut-il le dire ? — sont ratées.
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Des pas dans mes pas : j’étais censé m’aventurer en des lieux connus ; or, tout m’a paru exotique, ou peu s’en faut, des endroits et gens revisités ; même confronté au chevet de la cathédrale, pourtant familier, j’ai cru ne plus m’appartenir…
Au musée des Beaux-Arts, une demi-douzaine de tableaux de Stanislas Lépine, dont une vue du port de Rouen [pensé à Nicolas… et à Simone !]. Il y a plus de vingt ans, j’avais visité les réserves du musée. Sentiment persistant d’étrangeté, même si je me souvenais des toiles de Corot. Et plus étrange encore de me dire, par ricochet, que les « enfants de novembre » ont maintenant près ou plus de quarante ans…
Le musée m’a paru moins grand que dans mon souvenir. Le peu de gens qui s’y trouvaient avaient facile à s’égailler pourtant. Du fait peut-être de la rareté des visiteurs, dans chaque salle traversée j’ai été salué par les femmes en faction. Cela ne m’était pas arrivé depuis Cracovie. Comme je me distendais le cou pour tâcher de lire la signature d’un peintre ayant commis une marine ressemblant furieusement à celle que possèdent ***, l’une d’elles m’a indiqué la littérature pédagogique ad hoc à l’entrée de la salle, recensant les titres des tableaux et leurs signataires. Civilité bien agréable, que pratiquaient même les très jeunes femmes (¡) — tirées, semblait-il, par mon passage de leur ennui — et qui changeait de l’indifférence habituelle rencontrée dans de tels endroits…
En revanche, familiarité (recherchée) en allant ensuite au “Café du Palais”, dont le décor demeure largement inchangé (pérennité revendiquée par les tenants du lieu). Ce sont H*** et Ch*** — lui surtout, peut-être — que j’aurais voulu revoir, quoique je ne croie pas qu’ils hantaient beaucoup ces lieux.
Ce sont H*** et Ch*** — lui surtout, sans doute — que j’aurais voulu revoir, même si je ne crois pas qu’ils hantaient beaucoup ces lieux. Du coup, je me suis transporté au “Bistrot du Forum” : encore ai-je dû demander mon chemin !
Là non plus, je n’avais gardé aucun souvenir du décor. A l’étage, les fresques inspirées de films de Chaplin m’ont paru unheimlich, elles aussi ! : elles devaient s’y trouver déjà… Ch***, ce grand escogriffe, dès l’abord chaleureux avec qui que ce fût. Portrait à faire. Visage en lame de couteau (vérifier le sens de l’expression) ? nez fin et busqué, pas tout à fait un nez aquilin, aux narines larges comme pour fortement aspirer l’air. Il était grand, beaucoup plus grand que moi, osseux de partout, et me semblait fait pour respirer d’autres éthers (j’ai peur d’ailleurs qu’il respirât d’autres éthers — ou s’y abreuvât…). (Quant à H***, agréable à regarder, blond, bien balancé, il me lançait des « t’es mignon ! », « t’as un beau p’tit cul ! », qui me mettaient d’autant plus dans la confusion que je l’avais d’emblée rangé dans la catégorie des dragueurs impénitents… Mais je dois dire que j’aimais beaucoup entendre cela…) Intituler le “post” Pèlerin/age — avec tout ce temps passant ? Mieux peut-être : Vertiges (a)mnésiques ? (Avec une pensée cette fois pour Benoît ?)
Je digère, cette promenade y aidant, mais d’une digestion alentie, accumulées ces dernières semaines, force déceptions et disgrâces. Je devrais être aguerri, mais me révèle sentimental — un fruit pelé à vif pour peu qu’on l’entame ! Il serait bienvenu que j’apprenne à mieux me moquer de moi, marque véritable, dit-on, de l’humour (à moins qu’il ne faille écrire : marque de l’humour véritable ?)… Ironiser peut-être et par compensation sur le passage de Châlons-sur-Marne (époque où j’ai connu cette ville assoupie) à Châlons-en-Champagne (qui doit demeurer une belle endormie, même si je n’en sais fichtre rien) ? Instant de consolation : le serveur du “Bistrot du Forum” qui, relevant sa chemise, révèle un morceau de peau. (Là aussi, je me moque de moi !... Et H*** avait des exhibitionnismes bien plus fulgurants…) Effet délétère et régression : je pense trop souvent à R. en ce moment. D’une idée à l’autre, association et digression : à quoi ressemblent des amandiers en fleurs (au Liban ou ailleurs) ?
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Place Royale à Reims : encore un lieu emballé ! (clin d’œil, cette fois, à T***).
[Je] [n]e me souvenais pas — enfin — que la cathédrale avait un si joli carillon (si du moins c’était le sien que j’entendais à dix-huit heures…).
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(Pour mémoire – rappel — et éclaircissement : Lindsay : Châlons-sur-Marne 1983-1984 ; H***, Ch***, V*** : Reims 1986-87 ; 1988-89)