Archive GA LXXIV
Des pas dans mes pas – week-end à Reims (2)
27-28 février 2010
J’ai fait ce double pèlerinage à l’occasion des cinquante ans de V***. J’ai vu beaucoup de gens que je n’avais pas rencontrés depuis vingt ans — ou davantage.
Lors de cette soirée chez V***, j’ai entendu des gens répéter : « maintenant qu’on a cinquante ans », ou : « à notre âge ». J’ai trouvé passablement effrayant d’entendre (répété) pareil propos, comme si cela permettait désormais certains points de vue ? ou comme si cela fournissait des excuses ? (mais à quoi donc ?) : je n’ai pas bien compris, somme toute, ce que ces formules autorisaient…
Outre naturellement V***, j’étais surtout content de voir Pascal (il m’a semblé que ce plaisir, en outre, était partagé). Je ne l’avais pas vu depuis deux ans, en effet. Certes, nous nous écrivons de temps en temps, et j’ai bien pensé à lui envoyer mes vœux d’anniversaire en foulant le sol de la pagode Schwedagon il y a presque jour pour jour un an (photo et ticket à l’appui).
Or, il est curieux — curieux… amusant… ou… quand même un peu agaçant — qu’il m’ait dit tout à trac m’en avoir voulu que je ne sois pas venu quand il avait fêté ses quarante ans. J’avais moi-même oublié cette invitation, que nous n’avions (par conséquent) pas honorée il y a neuf ans — sans doute du fait de R., et non du mien. Je n’ai pas eu la présence d’esprit, cependant, de répliquer à cette susceptibilité (que je peux néanmoins entendre… ou comprendre) que je pense (donc) chaque année à son anniversaire — sans qu’il ait jamais su (ni demandé) quelle était ma propre date d’anniversaire… Rendez-vous, en tout cas, est donc pris pour l’an prochain — pour ses cinquante ans ! (Mais nous nous reverrons en avril, auparavant [chez J.-M.].)
Avant de partir à Reims, plongeant les mains dans le grand carton exhumé récemment, j’avais découvert, bien oubliée, une lettre adressée à V*** datant de 1990. La datation de certains de mes “posts“ (tombés, depuis, dans un des enfers souterrains de mon journal) était donc partiellement erronée. Or, tout réexamen des dates et des faits paraît désormais impossible à mener, tant la mémoire se fait dolente — et tant, de toute façon, les événements se sont brouillés.
Quoi qu’il en soit, cette lettre, datée de décembre 1990, restée inachevée, atteste que nous étions, V*** et moi, très intimes, assez au moins pour que je lui parle sans ambages de mes amants du moment… Encore un point curieux ou amusant ; cela a pourtant fait naître à nouveau un sentiment d’étrangeté à moi-même. J’avais pris avec moi cette lettre jamais envoyée pour la lui donner, mais elle était si anachronique — et si lyrique aussi, si pleine d’adjectifs — au bout du compte que je n’ai su le faire…
Revu durant la soirée des gens dont j’avais — oui — oublié l’existence. La moitié des garçons gay de l’assistance avait la tête rasée. Statistique parlante, à laquelle je n’ai pu m’empêcher de me livrer. Je n’avais d’autre raison d’être là que V***, ses cinquante ans, Pascal, accessoirement E***. Ai eu plaisir, de ce fait, à être là, même si les grandes assistances, la fête, la musique, la danse, les soirées arrosées, les rires toujours un peu gros et forcés, les inévitables boute-en-train ne m’ont jamais beaucoup transporté…
Constaté avec amusement ce changement de mœurs important : les gens allaient fumer à l’extérieur, ce qui aurait paru proprement inconcevable il y a deux décennies ! Fumeur repenti, je m’en suis plutôt réjoui, même si s’exprimait dans cette disposition un consentement plutôt conformiste aux nouvelles façons d’être d’une époque peut-être par trop bien peignée.
V*** avait eu, en tout cas, la bonne idée de faire deux lieux nettement séparés : une pièce où se restaurer, discuter et boire, avec des sièges où s’asseoir, et une autre pièce, vide de sièges ou presque, dégagée de presque tous ses meubles, pour danser. Aussi ai-je pu avoir quelques conversations suivies avec les personnes qui m’importaient, sans devoir crier à leur oreille, sans trop hacher ni hurler les messages.
— Et si du moins, du point de vue de V***, ç’avait été une belle fête, ce serait la seule chose qui importe vraiment…
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commentaire de : tho
Un joli côté Retour à Reims de Didier Eribon dans ces billets ! Les gays à crâne rasé, n'est-ce pas aussi l'âge venant... ?