775 - Fado fandango (12)
Fado fandango
Journal extime
(Paris – Porto – Lisbonne - Paris, 10-23 février 2017)
XI
22 février
J’emprunte le fameux tram 28.
Lorsque j'en descends, il est encore tôt. Une femme lave à grande eau le parvis de la cathédrale.
Je reprends le tram pour visiter, quelques centaines de mètres plus haut, le Musée des arts décoratifs. Il contient beaucoup de belles choses ou choses étonnantes, dont je rate souvent la prise photographique.
Ainsi de cette commode en palissandre datant du XVIIIe siècle, que surmonte un oratoire dont on peut ouvrir les portes afin de prier.
L’influence moghole se laisse voir sur de nombreux objets exposés, dont ce magnifique écritoire du XVIIe siècle en ivoire et marqueterie de bois divers.
Ou cette tapisserie montrant une procession où les montures sont des girafes ;
ou, enfin, ce dévidoir.
Sur une terrasse toute proche, la vue panoramique en contreplongée et plongée sollicite l’œil.
En sens inverse cette fois, j’attrape un tram afin d’aller au Museu nacional de arte contemporãnea do chiado (MNAC).
Une exposition est dédiée à Amadeo de Souza-Cardoso — dont Aymeric, plus tard, me dira qu’une rétrospective lui avait été consacrée à Paris — , qui fait le plein des visiteurs.
Si je lui trouve une jolie gueule — il m'évoque, je ne sais pourquoi, René Crevel —, je suis moins convaincu par son parcours artistique, nourri docilement, me semble-t-il, de diverses influences, futuriste, cubiste... qui ont porté son talent jusqu'au grand public aujourd'hui.
Certains dessins sont néanmoins plaisants, mais les salles, exiguës, distribuées par un couloir étroit, obligent à jouer des coudes ou à processionner lentement devant des petits formats parfois anecdotiques.
S’il y a beaucoup moins de monde qui arpente les collections permanentes, celles-ci, nonobstant les habituels ratages, ne sollicitent pas toujours en moi le geste photographique…
J’ai d’ailleurs l’impression que les lieux sont moins grands qu’ils n’en avaient l’apparence de l’extérieur, mais me persuade, en en refaisant le tour, que j’en ai bien visité toutes les salles, ainsi que la terrasse.
* * *
Je l’avais repérée en arpentant le quartier le premier jour, proche du café où Pessoa avait ses habitudes, je me rends à la boutique de Vista Allegre, comptant trouver d’autres articles de vaisselle que les deux plats achetés déjà pour Pascal et F., voire m’acheter un plateau à fromages que j’avais trouvé amusant. Je n’y trouve rien qui leur ressemble de près ou de loin.
Je retourne à l’appartement par le même tram 28 et déjeune des restes de la veille, que j’agrémente d’un cheese-cake qui m’avait paru appétissant dans la vitrine d’une pâtisserie du quartier.
Après-midi
Je me rends au Museu Calouste Gulbenkian, dont les collections sont superbes.
Les peintures flamandes, cependant, sont sous verre : je renonce à toute photographie. Quant aux bijoux Lalique, les vitrines ne permettent guère non plus d’en approcher le petit format. Je m’y essaie toutefois, ainsi qu'aux autres objets de la collection.
Comme je ne suis pas certain du résultat, j’achèterai une carte postale ensuite (que j’enverrai à Valérie).
Du Proche-Orient ou d’Extrême-Orient,
de l’Italie renaissante
The Dance, Tapestry from the set “Children Palying”, after Giulio Romano, Mantua, ca. 1540, Wool, silk, gold ans silver threads
de l’Europe des Lumières ou du siècle précédent,
d’Angleterre (je ne sais pas encore que je reverrai bientôt la Tate Britain ou la National Gallery et leurs magnifiques Turner) ou de France
Joseph Mallord William Turner, Quillebeuf, Mouth of the Seine, 1833
Sir Edward Burne-Jones, The Mirror of Venus, 1877
— toutes ces œuvres à l’envi lavent l’esprit et rincent les yeux.
L’autre bâtiment, consacré à l’art contemporain, est plus divers — et plus diffus (et d'ailleurs je rate l'essentiel de mes prises).
* * *
Comme je n’en suis pas très loin, je pousse jusqu’à la Pasteleria Versailles.
Je me contente d'en visiter l'intérieur, en prenant quelques photographies, malgré l'invitation du jeune homme derrière le comptoir à consommer. Mais je n'ai guère envie de pâtisserie, et la clientèle, rupine, confite et compassée, y invite fort peu — beaucoup moins que le jeune homme...
* * *
Je retourne une dernière fois à l’Institut du porto. Le porto blanc très sec que j’ai commandé s’avère vraiment « très sec ». Il manque de saveur.
Pour me consoler, je cède plus conventionnellement à un porto rouge de 2005. Il me fait regretter celui de 1989 dont j’ai trouvé mainte bouteille durant plusieurs années dans un supermarché de **** à un prix pourtant raisonnable et dont je conserve une dernière bouteille dans ma cave que je réserve pour je ne sais quelle occasion, quel invité de marque, quelle circonstance exceptionnelle.
Soir
Je dîne dans un restaurant italien presque en bas de l’appartement où je loge. La gérante me place à côté d’un couple de Français.
Les lasagnes qu’elle m’apporte sont étonnantes. Les couches de pâte tiennent davantage, en effet, de feuilles de brick, qui recouvrent des tranches de tomates et de courgettes coupées très fin et du [de la ?] ricotta [s’il s’agit de cela ? — en tout cas, d’un fromage de chèvre si j’en crois mes papilles] et d’un jambon cru, lui-même en tranches très fines.
J’ai beaucoup de mal à découper cet édifice croustillant, d’autant que la table est bancale : la pâte s’émiette dans une assiette que j’ai crue d’abord en plastique, menaçant d’envoyer l’ensemble en l’air et de le faire atterrir sur la table voisine, mais qui s’avère en métal léger. Je cale finalement la table avec une feuille de mon carnet pliée, afin de ne pas non plus renverser mon verre.
La musique est un peu trop forte. Je note aussi la présence d’un portrait de pape dont les traits m’échappent un peu dans la distance — Jean-Paul II peut-être ? —, illuminé comme une divinité d’un temple hindou.