781 - S i c i l i a n a (2)
S i c i l i a n a
PARIS - SICILE - PARIS
Journal extime (7 - 21 avril 2017)
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Dimanche 9
Matin
Je suis levé tôt. J’ai tout de même mieux dormi que d’ordinaire, en dépit de la literie, des trois barres en métal que l’on sent à travers le matelas et qui scient le dos si impitoyablement.
D’être levé tôt a l’avantage que je puis étirer à loisir mon temps, un luxe auquel il m’est peu donné de vaquer en général.
Je lis et j’écris. Je travaille même un peu.
Je réponds à M., qui a laissé un message en réponse à l’un des miens : j’y tâchais de la convaincre de ne pas sacrifier à la notion de « vote utile » dès le premier tour des élections présidentielles, de voter pour le candidat de son (libre) choix, pour l’élu de sa tête ou de son cœur, et lui avais adressé un lien avec l’argumentaire d’une philosophe entendue récemment à la radio qui estimait « contreproductif » sur le long terme ces injonctions à « faire barrage à l’extrême-droite » : il semble que l’histoire lui ait donné raison ; mais, par dessus tout, je ne voyais pas bien l’utilité du vote utile dès le premier tour, argüais-je. Cependant, M*** n’a pas apprécié les propos de la philosophe — et paraît agacée de ma tentative de la circonvenir.
B., elle, a proposé que nous déjeunions ensemble chez elle.
Après-midi
A V****, je me trompe de station et rallie à pied l’appartement de B., occasion de revoir le centre de cette ville de banlieue. J’achète une bouteille de vin.
B., toujours aux prises avec des problèmes épiques de copropriété, a également invité ses voisins copropriétaires, tant et si bien que la conversation roulera sur ces questions essentiellement.
Lorsque j’arrive, on s’affaire déjà sur la porte du jardin. Je crois d’abord avoir à faire au fils de la femme qui met toute son énergie à la dégonder [si ma mémoire est bonne à quelques mois d’intervalle, au moment où je retranscris mes courtes notations]. Or, c’est tout simplement un autre voisin qui est venu proposer son concours.
Nous sommes bientôt cinq à prendre l’apéritif dans le jardin, la femme de la porte, le faux fils et jeune voisin au physique avenant, le mari (ou compagnon) de la femme auquel on a dit de venir, ainsi que B. et moi.
L’apéritif s’attarde un peu.
Il fait chaud (on s’apprête à un nouveau record de chaleur un 9 avril : en 1884, il a fait -1,1°, par comparaison — ai-je appris le matin en consultant la météo du jour).
Quand on songe enfin à déjeuner — mon estomac a pu se montrer patient grâce aux olives et autres oléagineux à grignoter —, il est déjà presque 15 heures.
Refusant l'invitation à manger avec nous, le jeune voisin s’esquive, et je regrette son départ.
Je m’amuse à part moi du tour que prend parfois la conversation, surtout lorsqu’il est question de l’accouchement de la voisine, tant il semble que, à l’entendre du moins, le voisin paraît avoir bien davantage accouché que sa femme…
L’ancienne parturiente ne semble pas s’en offusquer. Voire : elle paraît cautionner le propos du narrateur…
Au dessert, ce dernier, déjà plus qu’éméché, propose d’apporter une prune artisanale, de celles qu’on réserve pour les grandes occasions et dont on doit vous dire des nouvelles, la prune valant parfois la mirabelle est-il précisé à l’adresse du Lorrain. Je ne sais de quel travail formidable il a pu accompagner la mise au monde de son rejeton ou la décantation du fruit dans l’alambic, mais il faut reconnaître que ce qu’il nous sert n’est pas du tord-boyaux.
Il va faire la sieste ensuite, tandis que sa femme scie quelques arbrisseaux indiscrets qui ont poussé dans le jardin…
C’est à peu près le seul moment où nous échangeons quelques propos intimes, B. et moi.
Elle me donne quelques nouvelles de S. Ainsi j’ignorais la tumeur au cerveau de la chienne, ni non plus que S. avait commencé des implants dentaires.
B. me demande si j'ai des nouvelles de A. — B. qui ne sait pas que A., précisément, s’est elle aussi fait implanter des dents. Je me garde de le lui dire.
L’après-midi passe. Entre deux passages de la voisine ou d’un autre voisin, entre deux moments où l’on s’interpelle, nous lézardons.
Soir
François a répondu à mon SMS lui proposant de se voir.
Je lis en attendant N***.
N***, cependant, est en avance — il est vrai qu’il est plutôt proche de chez Judith et que j’ai choisi un restaurant indien à mi-chemin entre nos deux résidences : il est venu à pied pourtant, et, la rue étant en travaux, son trajet s’est allongé de quelques fondrières… Je le plaisante à ce sujet.
Nous nous donnons aussi des nouvelles des gens que nous aimons.
Ainsi Roman continue de venir chez lui sans crier gare, de boire et de dormir là.
(C’est N*** qui lance le sujet :) Comme Régis soutient la candidature de Macron, N*** a pris ses distances ; Didier, dont je n’avais entendu parler depuis longtemps, en tient, lui, pour Mélanchon (je songe à tous ces échos en —on dont les candidats animent la campagne, devenue brusquement animée d’un souffle presque intéressant)…
Je raconte donc M***, nos échanges un peu vifs à propos du « vote utile ».
Je suis content de savoir que nous voterons de la même façon aux élections — ce qui, je crois, n’était pas le cas les fois précédentes… Et nous discutons politique assez longuement, comme jamais nous l’avons fait auparavant.
Nous nous donnons des nouvelles de notre santé. N*** me dit que son taux d’urée a baissé (de + 70 à - 60 : j’ignore quelles réalités cela recouvre…). Il se plaint (un peu) d’avoir maigri (mais, ajoute-t-il, pas d’avoir perdu son petit ventre). En tout cas, comme les fois précédentes, il ne boira pas d’alcool.
Il me montre sur son portable des photos de l’aquarium, habité désormais de quelques crevettes.
Comme j’évoque un peu le Portugal, il me fait lire un long poème de Pessoa qui lui avait particulièrement plu.
Après avoir dîné, nous prenons un verre à la terrasse d’un café. Je lui fais remarquer que c’est la troisième fois que nous mangeons dans cette rue proche de la place Denfert-Rochereau (je me souviens à part moi de la fois — cela reste à ce jour la seule — où nous étions venus avec sa voiture). Pour cette nouvelle occasion, je n’ai pu m’empêcher de trouver le restaurant un peu décevant.
Comme il n’est que 23 heures et que le bar est sur le point de fermer, je me propose de l’accompagner dans sa promenade de la chienne de Jeff, dont il a la garde, Jeff étant en tournée.
Nous marchons donc, tout en devisant.
C’est la seconde fois que je viens chez lui.
Il me montre l’aquarium et ses crevettes rouges minuscules. L’appartement est en désordre — N*** avait eu, semble-t-il un instant d’hésitation avant que nous rentrions dans son immeuble —, et, comme N*** laisse aller souvent hors de sa cage le perroquet, le parquet, couvert de fientes d’oiseau. (Je me rappelle un instant les deux tourterelles que j’avais dans ma chambre lorsque j’étais adolescent et que je laissais voler pareillement à l’extérieur. L’une d’elles aimait tout particulièrement atterrir sur le sommet de mon crâne, et, comme elle ne le faisait avec personne d’autre, j’imaginais que c’était sa façon à elle de manifester son attachement… Je ne me souviens pas en tout cas que les deux volatiles fissent autant de dégâts…)
Nous promenons la boule de poils blanche dans le quartier. J’avais également oublié combien les chiens font de zigzags capricieux tout en réclamant qu’on les attende. N*** me raconte quelques-unes des conversations canines qu’il a quand il croise d’autres propriétaires de chiens. Cette fois, c’est au chien de S. que je songe, que j’aimais promener sur le cours L*** à ****, lieu de ces marcheurs croiseurs comme autant de potentiels lovers à une époque où les moyens électroniques d’abordage n’existaient pas encore. C’est bien ainsi que j’avais rencontré Grégory, dix-sept ans (j’en avais vingt-et-un, presque vingt-deux, tout un écart incroyable et de jours et de semaines et d’années à ses yeux comme aux miens) à la veille de sa majorité, à qui le chien avait fourni un prétexte commode pour entrer en communication.
Je prends le bus pour rentrer.
A mon retour, j’envoie la photo de l’effigie de Pessoa en face de la librairie Lello à Porto, tout en remerciant N*** de la soirée.