786 - S i c i l i a n a (4)

Publié le par 1rΩm1

 

 

S i c i l i a n a

 

 

PARIS - SICILE - PARIS

 

 

Journal extime (7 - 21 avril 2017)

 

 

4

 

 

 

11 avril

 

13 heures

J’ai rendez-vous avec François, que je trouve installé dans ce bistrot de quartier où nous nous sommes déjà retrouvés.

Il me dit ne plus boire depuis juin dernier. De fait, il a l’air incontestablement mieux (le visage est moins bouffi et n’est plus envahi par la dermatose).

Il me parle de ses filles, l’une à Bruxelles, l’autre à Tokyo.

L’installation dans son nouvel appartement est enfin terminée : la bibliothèque est montée, les livres, sortis des cartons. J’additionne tous ces faits comme autant d’accélérations heureuses pour François, même si je les pressens relatives encore.

 

Le négatif vient ensuite : ainsi son chat, en fin de vie.

Il me dit aussi travailler pour C***.

 

Tout cela brouille un peu l’éclaircie entrevue juste auparavant.

 

Il me donne aussi des nouvelles de Danièle, qui vient de recevoir la légion d’honneur ! (Je me montre circonspect.)

 

Il se dit partisan de Benoît Hamon aux élections présidentielles — ajoutant que son frère aussi. (Je renonce, décidément, à superposer l’image que j’ai gardée de lui, militant impétueux, lecteur de Bakounine, — dont l’impétuosité m’agaçait parfois — et celle, aujourd’hui plus rassise, qui paraît admirer son frère, quand ce serait plutôt l’adolescent que lui était qui mériterait qu’on s’y attarde.)

 

Après-midi

786 - S i c i l i a n a (4)

Je m'exhorte à voir l'exposition Balenciaga, l'œuvre au noir au musée Bourdelle puisqu'elle sera achevée lorsque je reviendrai au mois de juillet.

© Internet
© Internet

© Internet

 

L’exposition, du fait que les vitrines qui abritent les vêtements se mêlent aux sculptures, est l’occasion de faire payer l’accès au musée.

J’y trouve plus de monde que je n’en ai jamais vu là.

Les robes sont très mal éclairées (prétendument pour les protéger).

Certaines ont de jolies formes parfois. Mais je déambule dans les salles sans trop de conviction, la mode ni la haute couture n’étant mon faible si ne s’y mêle quelque relais... C’est ainsi que je reste tout de même en arrêt devant un bibi incroyable fait pour quelque Audrey Hepburn à tête d’oiseau — et légendé tel un plat de chef cuisinier auréolé de toutes sortes d'éto(i)les dans quelque guide culinaire (calotte en tulle de soie, bouquets de brindilles gainées de plastique et piquées de perles facettées).

 

Bibi, été 1962
Bibi, été 1962

Bibi, été 1962

Je fais le ménage ensuite dans le studio de N., qui en avait bien besoin.

18 heures 15

J’attends Duncan, qui m’a prévenu qu’il aurait 15 minutes de retard.

 

Soir

De fait, c’est vers 18 heures 30 que le jeune homme advient, dans la précipitation, dans une venue tout électrique.

Il arbore une barbe taillée court. Il est en blazer marine, porte un pantalon de toile bleu, une chemise rose cintrée qui moule un petit ventre relâché (dont je me dis qu’il faudrait qu’il le surveille s’il ne veut pas que cette indiscrète saillie naissante prenne puissance…), en bandoulière, — assez semblable à celle que j’ai achetée à Berlin l’été dernier — une sacoche en cuir brun.

Dans un flot de paroles un peu désordonnées, il me raconte avoir été remercié par la nouvelle administration américaine et ne plus non plus travailler pour son frère : il a eu avec ce dernier un différend, qui s’est soldé par des paroles un peu dures comme quoi Duncan aurait toujours été une charge pour lui…

Il s’est trouvé un appartement de 45 m2 à Saint-Ouen, loué en même temps qu’un garage. Le montant du loyer, du fait de travaux d’extension sur la ligne 14, a été réduit en raison des nuisances sonores occasionnées : l’appartement lui revient à 600 ou 650 euros, au lieu de 1000. Il se trouve — mais Duncan s’en accommode — un peu loin de V****, où il travaille pour O*****, une entreprise bien connue, sans que je comprenne tout à fait bien en quoi consistent ses fonctions, même si j’imagine assez bien que ses compétences linguistiques ont pu conduite à son embauche. Il a dû assimiler toute une documentation technique de six cents pages  — qu’il m'exhibe — pour se former. Il fait donc les trajets en métro jusqu’à son travail, alterne des lectures de romans en anglais et en français durant ses trajets, et me montre, cette fois, un pavé d’une écrivaine américaine (les romans volumineux sont en vogue outre atlantique), dont je n’ai retenu ni l'auteure ni le titre.Il me dit n’avoir pas du tout aimé Terre des hommes de Saint-Exupéry. (Quand j’avais lu Vol de nuit, à treize ou quatorze ans, je n’avais que modérément apprécié ; je me dis, en outre, que cette littérature a pu vieillir…)

 

Il reproche à son lover du moment, un Turc, de ne pas suffisamment pratiquer le français — et de ne pas lire. Ses reproches en paraissent d’autant mieux justifiés que le jeune homme se repose un peu trop sur lui tant au quotidien que pour certaines démarches. Duncan ajoute que, alors qu’il repart bientôt, le lover n’aura pas vraiment profité de son séjour.

Je me dis à part moi que je retrouve Duncan tel qu’auparavant, et qu’il me plaît mieux ainsi que tenu en laisse par un jaloux.

 

Duncan parle beaucoup. Je l’écoute beaucoup. Le bruit de la terrasse couvre parfois sa voix. Je le fais répéter, comme avec François quelques heures plus tôt. — Je me le demanderai ensuite avec quelque inquiétude : deviendrais-je sourd ? il ne manquerait plus que cette autre infirmité de la vieillesse !

Lui s’est fait faire des implants capillaires en Turquie, où l’opération coûte cinq fois moins cher qu’en France (1600 contre 8000 euros — ai-je retenu, sans être certain du chiffre). Il me montre des photos réalisées pendant l’opération (ce qui m’amuse, d’autant que ce n’est ni joli ni plaisant à regarder !).

 

Une heure s’est vite écoulée. Nous nous mettons en route pour le restaurant où j'ai réservé.  C’est lui qui me guide, portable allumé.

J’apprends que son frère n’habite plus rue L***, ce qui l’empêche pas, lui ou Duncan, de revenir dans le quartier, particulièrement dans le bar où ils sont devenus des habitués.

Il se dit un véritable Parisien désormais. Je ne le contredis pas, il paraît connaître indéniablement mieux Paris que la fois où nous étions allés depuis Bastille jusqu’au Marais… Et je suis heureux de me laisser ainsi mener.

 

Nous nous installons dans le restaurant libanais que j’ai choisi en pensant que cela conviendrait à Duncan. Il écarte le persil du premier plat, en m’expliquant avoir pour la plante une intolérance, et je me dis que j’ai peut-être mal choisi l’endroit, étant donné l’usage prononcé du persil, précisément, dans la cuisine libanaise telle du moins que j’en ai l’habitude.

Je fais tomber le demi de vin rouge que nous avons commandé, qui se casse. Ma maladresse me laisse un instant sans réaction — sinon la crainte d’avoir éclaboussé le pantalon de Duncan, voire le sac de la voisine.

 

Il me parle du référendum organisé par Erdogan en Turquie, auquel il a voté non. La purge des journalistes, intellectuels, opposants, enseignants, magistrats, militaires… l’a tout de même refroidi.

Nous parlons un peu politique. Je l’enjoins de ne pas trop se laisser aller — à ce sujet. Il le prend avec humour. Il me dit détester François Fillon et Marine Le Pen.

 

Après dîner, je propose de prendre un verre rue de la Gaîté.

Il commande un cocktail, qu’il me fait goûter.

Il m’évoque un collègue, qu’il trouve à son goût, qui viendra peut-être chez lui. Il faudrait qu’il mettre en ordre son appartement, à moins qu’il ne demande au concierge, un nommé Diego, de s’en occuper.

Il me dit aussi, l’air légèrement égrillard, que, de toute façon, il ne s’interdit pas des incartades…

 

Il n’est pas tôt, il travaille le lendemain — je songe à ce propos que quelque quatorze mois auparavant, si ma mémoire est bonne, c’était déjà un mardi que nous nous étions vus —, il n’est pas tout près de son domicile (alors que moi je gîte non loin), et je lui suggère de rentrer, l’abandonnant bientôt à la bouche du métro Gaîté.

 

Rentré rue F****, je lui envoie un SMS : « Merci pour la soirée. Ne t’use pas en vue du ménage pour Michael » ; tout en me remerciant à son tour, il me répond presque aussitôt : « J’ai déjà demandé à Diego de passer demain au cas où » ; et moi, amusé, de repartir : « Vive Diego. Have a sweet night ! ».

 

 

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