783 - S i c i l i a n a (3)
S i c i l i a n a
PARIS - SICILE - PARIS
Journal extime (7 - 21 avril 2017)
(3)
10 avril
Après-midi
Aymeric, en avance, se tient devant le musée Maillol.
Nous visitons l’exposition “21 rue de la Boétie” autour de la figure du collectionneur Paul Rosenberg.
La littérature rupestre qui accompagne les pas du visiteur, créant des encombrements, est très explicative, très pédagogique — fastidieuse et répétitive.
C’est malgré tout l’occasion de découvrir des œuvres jamais vues, une étonnante sultane de Manet,
un très beau Cézanne (représentant une nature morte aux bégonias),
entre autres Picasso, Braque, Léger, Masson, Matisse, Laurencin…
Georges Braque, Table basse réalisée à partir du dallage en marbre de la salle à manger de Paul Rosenberg
Au rez-de-chaussée, quelques peintures représentatives de l’art officiel sous le régime nazi permettent d'établir le partage entre un art « dégénéré » et libre
d’avec un art si conventionnel qu’il en frise presque toujours le ridicule et le laid, pour ne pas dire, si elle existe, la nullité la plus insignifiante et la plus vague…
Je ne savais pas, à ce propos, que le Musée du Jeu de paume avait été le théâtre d’un holocauste de soixante-dix [?] œuvres, ni non plus qu’André Masson s’était brouillé quelques années, au tournant des années trente, avec Daniel-Henri Kahnweiler.
Nous regardons une vidéo de sept minutes, bien illustrée mais assez peu instructive.
Aymeric me fait remarquer qu’il est souvent question d’argent — et de méthode et d’organisation idoines — dans la littérature d’accompagnement de l’exposition, comme si partout l’on avait voulu reconstituer le bréviaire du (parfait ?) marchand d’art. Au moins ledit Paul Rosenberg a-t-il souvent agi en faveur de restitutions d’œuvres (mais non sans avoir eu à y gagner parfois)…
Dans une dernière salle est accroché un très beau Nicolas de Staël devant lequel Aymeric tombe en arrêt.
Fleurs blanches et jaunes 1953 Huile sur toile, signée en bas à gauche et titrée « Fleurs », datée au dos. 130 x 89 cm.
Comme d’ordinaire, quand Aymeric ou moi visitons cet espace, nous ressortons un peu frustrés de la petitesse des lieux. (D’un commun accord, il faut dire, nous avons décidé de ne pas revoir les rotondités féminines des sculptures et peintures de Maillol.)
Nous nous rendons ensuite à pied jusqu’au musée Rodin, que nous trouvons fermé (étant donné que — mais nous en ignorions le jour de fermeture — nous sommes lundi).
Je suggère, puisque nous n’en sommes plus si loin, que nous pourrions alors voir l’exposition Tokyo - Paris : chefs-d’œuvre du Bridgestone Museum of Art de Tokyo, Collection Ishibashi Foundation, que l’Orangerie propose d’un autre collectionneur contemporain du précédent, Shôjirô Ishibashi.
Devant le musée, nous faisons la queue presque une demi-heure peut-être avant de pouvoir entrer. La file ensuite pour les caisses est lente à s’écouler : une seule personne, en vérité, se tient à la caisse, une collègue malade n’ayant pas été remplacée.
Aymeric, qui peut bénéficier de la gratuité comme demandeur d’emploi, m’évoque sa carte d’identité toute récente, avec photo identique à la fois précédente, et qui, puisque la durée de vie des cartes d’identité est passée dorénavant à quinze ans, sera valable jusque 2032 : il commente avec humour l’âge qu’il aura alors…
La touriste asiatique que j’ai renseignée par deux fois sur le temps à attendre cède à l’impatience, mes évaluations, puisque j’ignorais le personnel à l’accueil réduit, s’avérant erronées.
Il est plus de 16 heures 15 quand nous pénétrons enfin dans les lieux.
L’exposition s’avère intéressante, qui complète à sa façon — mais est plus riche et plus diverse que — la précédente.
Nous ne comprenons pas toujours la logique ayant présidé l’accrochage des œuvres. Il est vrai que j’ai incité Aymeric à ne pas lire la littérature rupestre, le dépliant fourni à l’entrée la démarquant parfois mot pour mot : nous verrons cela à tête reposée.
Il s’y trouve, en outre, beaucoup de monde, plus que d’ordinaire, massé devant la pédagogie murale.
Comme Aymeric n’a qu’un souvenir lointain du fonds permanent du musée, nous visitons ensuite la collection Walter-Guillaume, autres collectionneurs avisés. Le couloir des Renoir, avec ses tableaux en file indienne, décontenance Aymeric. Pour ma part, je n’ai jamais beaucoup aimé non plus ces Renoir-là — presque tous des portraits féminins, parfois très colorés et presque mièvres, trop pomponnés en tout cas (peut-être du goût de Paul Guillaume [?])... La salle Soutine, en revanche, ravit Aymeric (tandis que je regrette, pour ma part, que le petit pâtissier soit en voyage…).
Nous en faisons les salles assez rapidement ensuite — l’heure de la fermeture est proche de toute façon —, mais, comme toujours, les Nymphéas produisent leur effet lénifiant, et, même si l’étymologie en est incertaine, je me sens dans l’état d’un des compagnons d’Ulysse au pays des Lotophages et fais donc ma provision de beauté avant de quitter l’endroit. (En sortant de l’Orangerie, Aymeric me dit préférer voir une exposition de peinture à un film.)
Nous poursuivons à pied, enjambons la Seine près d’Orsay, trouvons un café où reposer nos jambes (nous n’aurons eu — moi du moins, car il a tout de même fallu qu’Aymeric vienne jusque Paris en métro, à bicyclette de chez lui jusqu’à la station de métro — que des itinéraires piétons durant la journée).
Aymeric dit goûter sans remords son oisiveté. Je l’approuve, tout en l’enviant.
Nous nous rendons ensuite au restaurant où j’ai réservé.
Aymeric, alors que nous passons rue Solferino, plaisante à propos du siège du parti socialiste, que, me dit-il, je vois pour la dernière fois [il ne croit pas si bien dire, apprendrai-je bientôt, puisque, depuis, après sa déroute électorale, le PS envisage d’émigrer vers un quartier « plus populaire », tout en espérant, entre autres gestes symboliques, se refonder…]. Nous parlons alors des élections.
Il me fait part de sa détestation du candidat de droite qu’éclabousse le scandale des emplois fictifs — détestation que je partage, sans que je sois certain de m’accorder autant qu’avec N*** la veille avec Aymeric ; je reste prudemment sur mon quant-à-moi, ayant horreur de débattre de sujets politiques, les dernières escarmouches en date remontant à je ne sais quelle conversation avec Duncan, quand bien même ne me semble pas possible qu’il y ait entre Aymeric et moi de pareilles dissensions…
Le dîner est vite servi. Cela tient sans doute à la rapidité de la mise en œuvre de ce que nous avons choisi : le plat qu’on me sert est peu copieux, mais le service, très aimable, et le dessert (un cheese-cake aux myrtilles et citron vert) compensent cela. Nous accompagnons le repas d’un vin à la ficelle.
Il n’est donc pas si tard. Nous retournons dans ce bar au pied de Montparnasse où Duncan avait insolemment dragué le serveur, un dénommé Pascal si ma mémoire est bonne.
Nous poursuivons nos causeries. Nous évoquons nos mères respectives et leur pathologie proprement catastrophale. Aymeric va souvent en Bretagne voir la sienne et il ne peut s'empêcher de constater d’incessantes dégradations de son état. Il me parle de pertes de mémoire chez elle comme autant de continents effondrés. A la lueur de ces Atlantides erratiques, le constat de nos propres fondrières nous inquiète (évidemment) — et les ravages de l’âge, en général. La mère d’Aymeric demeure néanmoins seule chez elle et elle conduit encore (sur des itinéraires invariables et courts).
Il me dit ne jamais revenir dans le quartier où il travaillait naguère…
[Entre autres sujets depuis oubliés,] nous parlons de livres, de ceux Michel Houellebecq notamment [et je me demande désormais ce que nous en avons dit, mais je crois que nous étions d’accord…].
* * *
Je recevrai un SMS le lendemain matin, auquel je répondrai en renchérissant sur des noms tombés dans des oubliettes du souvenir, et cherchés en vain alors que nous conversions, sans doute en allant du musée Maillol à l’Orangerie, Aymeric me fournissant en retour comme sésame mémoriel Amadeo de Souza-Cardoso (dont il avait vu une exposition au Grand-Palais) — tandis que je ne pouvais que déplorer que ma mémoire n’a pas retenu son nom à quelques semaines d’intervalle ! [ni non plus depuis d’ailleurs : ajout du 7 septembre 2017, date de la retranscription].