793 - S i c i l i a n a (7)

Publié le par 1rΩm1

 

 

S i c i l i a n a

 

 

PARIS - SICILE - PARIS

 

 

Journal extime (7 - 21 avril 2017)

 

 

6

 

14 avril

J’écrirai à T. le soir un assez long courriel pour rendre compte d’une journée somme toute dense :

 

Devinette :

Qu'est-ce que Goethe, Alexander Dumas, Johannes Brahms, Gustav Klimt, D.H. Lawrence, Richard Wagner, Oscar Wilde, Truman Capote, John Steinbeck, Ingmar Bergmann [sic], Francis Ford Coppola, Leonard Bergman, Marlene Dietrich, Greta Garbo, Federico Fellini, Cary Grant, Gregory Peck, Elisabeth Taylor et Woody Allen ont en commun … avec moi ?

 

[Matin]

Je croyais suivre un conseil de M.-C. en venant ici à Taormine… Et voilà qu’ils sont venus en ribambelle se rappeler à ma mémoire (de plus en plus défaillante)…

En passant dans l’artère piétonne, ce sont d’abord Oscar et Bosie qui ont fait irruption.

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Mais j’ai découvert que Lawrence (D.-H.) les avait suivis. Et bien d’autres.

 [Je te fais grâce [du détail] de mes recherches. Toutes aussi érudites et erronées les unes que les autres...

Ainsi de “Snake”, poème de Lawrence composé ici :

« Rien de commun » écrit l’un des glossateurs, « tel du reste pourrait être, sans vouloir anticiper sur ce qui suit, l’esprit d’un poème d’éloge et de célébration, qu’on se sera plu à opposer de loin en loin à “L’Après-midi d’un Faune”, de Paul Valéry [sic], pareillement situé dans un cadre de soleil et de Sicile, mais aussi français, par son intellectualisme, que le premier est anglais. »

— Car il est vrai que Valéry a écrit “Ebauche d’un serpent” !]

J’ai donc cherché la maison de Lawrence, que j’ai dénichée à grand-peine, aidé par un vieux riverain, qui, après des tours et détours, m’a renseigné.

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Je suis d’abord monté tout au haut d’une route escarpée, non sans observer quelques paliers et plonger mon regard jusqu’en contrebas pour reconstituer quelle vision pouvait avoir de l’endroit Lawrence dans ses promenades siciliennes.

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M’étant à l’évidence fourvoyé, j’ai enfin trouvé sa maison (en vérité, la maison d’un ami chez qui il logeait), pour l’heure fermée et inaccessible à l’amateur de maisons d’écrivains (dont je ne suis pas toujours — mais j’ai beaucoup lu Lawrence étant jeune homme, et il m’a plu, de toute façon, d’être ainsi convoqué dans son univers mental — tel du moins qu’il me semblait le pressentir !).

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La kyrielle est venue ensuite :

« Certes, Taormina n'est pas Biskra dans la cartographie intime de Gide. Mais elle y joue un rôle important, depuis l'Immoraliste jusqu'à la fin de la vie d'André Gide. C'est de retour de son premier voyage en Afrique du Nord qu'il découvre la ville, en 1894. Il y reviendra l'année suivante avec Madeleine lors de leur voyage de noces.

Depuis plusieurs années circulent dans toute l'Europe, sous le manteau, des images en provenance de Taormina. Images de jeunes pâtres italiens, vêtus seulement de couronnes de fleurs. On les doit au peintre allemand devenu photographe Wilhelm von Gloeden, baron de son état, à qui l'on a conseillé l'air italien pour soigner sa tuberculose. Il a 22 [ans] lorsqu'il découvre Taormina en 1876 et tombe sous le charme de la ville et de ses garçons. La carrière de Taormina "paradis des pédérastes" est lancée.

"Taormina vit de sa mauvaise réputation, ce qui est plus difficile que de vivre d'une bonne", ironisera plus tard Jean Cocteau qui raconte comment un marin a fait un esclandre en voyant dans une boutique de cartes postales l'image de son grand-père dénudé... Cocteau que Gide rencontre en 1950, un an avant sa mort, à Taormina. Truman Capote notera la scène et les exubérances de Cocteau : "Sa gaieté rivalisait avec les grelots d'une charrette à âne qui traversait la place. Il éparpillait les mille flèches de son esprit (…), se répandait, s'exaltait, tour à tour pressant et câlin, lui entourant les épaules, lui caressant les genoux et les mains, le baisant même sur ses joues parcheminées de Mongol." Gide resta impavide, pour finalement lâcher: "Mais restez donc tranquille, vous dérangez le paysage." »

 

D’un autre tonneau était Truman Capote :

« Comme avant lui Wilde, Gide, Cocteau et tant d'autres, Truman Capote séjourne au Grand Hôtel Timéo d'où il envoie de nombreuses lettres à ses amis. Dans l'une d'elles […], il évoque Catherine Gide avec la rosserie qu'on lui connaît : "La fille de Gide est venue lui tenir compagnie. Elle m'a ébahi : 1) parce qu'elle est aussi laide qu'un poêle à bois, 2) parce qu'elle est beaucoup plus que jeune que je l'imaginais, à peine 23 ou 24 ans. Comment croire que cette vieille chèvre y soit pour quelque chose ?"

Gide offrira même le titre d'un recueil de portraits et d'impressions que Capote écrira plus tard. Capote venait de recevoir un article très critique sur l'un de ses livres et s'en émouvait. "Les chiens aboient...", commenta simplement Gide. Dans une autre lettre à William Goyen, Truman Capote décrit l'un des passe-temps de Gide à Taormina : "Il descend chez le coiffeur et y passe l’après-midi à se faire savonner le visage par des petits garçons de dix à douze ans. C’est un charmant vieux monsieur assez fantomatique." »

 

(Et j’avais (donc) (également) oublié que le Baron W. von Gloeden avait photographié des éphèbes siciliens, qui plus est à Taormine…)

 

© Internet
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© Internet

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Je pourrais cesser ici. Mais s’invite, également, Jean Lorrain, par l’intermédiaire de Thibaut d’Anthonay, son biographe, qui a coécrit une pièce de théâtre avec Patrick Tudoret :

 

« À travers la fiction de retrouvailles fortuites entre Oscar Wilde et Jean Lorrain (ils ont réellement séjourné chez le même hôte à Taormine, à quelques semaines d’écart, cette année-là), deux “monstres sacrés” de la Belle Époque qui se fréquentèrent sans pour autant se lier d’amitié, L’Entrevue de Taormine met en scène la confrontation de deux écrivains de premier plan. […] »

 

Bon. Je cesse sur ce chapitre des « hasards objectifs » dont se prévalait Breton. A dire vrai, me concernant, il s’agit plutôt de fuites dans les idées !

 

Sache en tout cas que j’ai pensé à toi à cause d’une vitrine. Et à cause aussi de cédrats (puisqu’il me semble que l’on a en parlé il n’y a pas si longtemps…), dont tu compareras la taille avec celle des citrons !

 

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— Voilà. Je te jure que, la prochaine fois, je fais moins long !!

D’ailleurs, Syracuse m’appelle de sa voix de sirène (c’est le lieu où a été prise la dernière photo !)

 

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Amitiés,

Romain

 

Après-midi

 

Dans les églises, on dispose des fleurs (des œillets rouges) et toutes sortes d’herbes qu’on dépose au pied des crucifix pour les fêtes de Pâques. Je le sais pour suivre — des yeux, mais je me rends ensuite à l’intérieur du bâtiment — les allées et venues d’un jeune joli fleuriste qui se rend à l’église la plus proche, en sort ensuite pour se ravitailler en fleurs.

 

Après ma visite à la Villa Comunale,

 

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longeant à l’extérieur les barrières du parc, j’avise un chat : il a dans la gueule un lézard qui a perdu sa queue — lézard qu’il dépose sur l’asphalte. La pauvre bête a l’air plus morte que vive tandis que je chasse le chat et qu’elle reste tétanisée sur la route ;

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cependant, les pas d’un touriste la font fuir enfin, en aveugle. Aussi l’amené-je, tout en maintenant à distance le chat, à se réfugier dans l’anfractuosité d’un mur.

 

Je poursuis ma promenade le long d’une corniche, admirant le paysage,

 

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pénétrant dans des cours d’hôtel,

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ou admirant des bâtiments qui croisent des influences mauresques et gothiques,

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avant de prendre une bière à une terrasse et de rentrer.

 

Outre celle d'être recru de fatigue, j'ai l’impression d’avoir été cuit par le soleil.

 

 

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