789 - Sotiš in London (5)
Sotiš in London
(sur un air de chapelloise, de polka slovène ou d’English gay gordons)
Paris - Londres - Paris
(journal extime 19 juillet – 4 août 2017)
V
23 juillet
Matin
Nous réglons au téléphone quelques bricoles nécessaires avant notre départ, M.-C. et moi. J’achète un billet pour Westminster Abbey, qu’elle imprimera et emportera dans ses bagages.
Après-midi
Je me trompe de film, fais une confusion entre deux titres — on me détrompe quand je claironne à la caisse de ce cinéma l’objet de mon désir, et, ne sachant pas ce que le titre de substitution recouvre, préfère m’abstenir. J’ai le temps encore — me dis-je — de me transporter pour voir à Bastille le Caire Confidential ; mais, las, arrivant après le lancement des bandes-annonces, il ne reste plus que dix places, ce qui veut dire être trop près de l’écran ou me contenter d’un strapontin. Je renonce définitivement au cinéma.
De Bastille je m’achemine vers le Marais tout en flânant. Voyant des soldes dans un magasin où l’on vend des bagages, cédant à une impulsion soudaine, je m’achète une valise (dont je serai au retour bien encombré) !
Rentré à l’appartement, je m’avance un peu dans mon travail (ce que je ferai peu par la suite).
Soirée
B. est en avance sur l’heure que nous nous étions fixée. Elle n’est pas allée visiter, comme elle l’avait prévu, sa cousine en fin de vie, mais elle n’a pas eu l’énergie, s’excuse-t-elle, de proposer une activité — exposition, promenade ou film — en remplacement : elle a préféré garder son après-midi à ne rien faire ou presque.
D’ailleurs, B. n’a pas l’air en forme. De fait, elle se dit fatiguée. Elle doit encore travailler toute une semaine sur l’un des deux lieux où elle intervient avant d’être véritablement en vacances.
Précisément, nous parlons des voyages que nous avons en perspective — elle mentionne un ami en passant, mais B. jamais ne se livre à des confidences, et j’ai pour principe de ne jamais forcer qui que ce soit, quitte à ce que mon incuriosité passe pour de l’indifférence… Nous parlons de de son travail, des élections — J.-L. M., me dit-elle, lui fait peur ! Elle commente aussi le fait que deux Arabes figurent sur la liste de sa circonscription, et, ce faisant, d’un diable l’autre, elle me rappelle Duncan, qui disait, la veille, ne vouloir jamais habiter V***, manifestant une phobie des communistes bien américaine. Elle évoque tout cela dans un flot de paroles un peu désordonnées qui trahissent sa fatigue à nouveau. Je m’agace un peu de certains de ses propos, tout en espérant n’en laisser rien paraître.
S. est rentrée de vacances — m’apprend-elle — et P*** s’est blessé au doigt en faisant de l’escalade (je pense aux deux fils de J.-P., qui ont fait de l’escalade leur profession).
Elle me demande si M. a des nouvelles d’A. Je mens (impossible, me dis-je, de lui révéler que A. quelques temps auparavant a séjourné chez moi — A. qui m’avait dit, comme j’évoquais ces moments où je me trouve embarrassé de devoir mentir à B., qu’elle s’ouvrirait de ses griefs, ce que, selon toute évidence, elle n’a pas fait). Aussi dérivé-je sur M., que je dis voir trop peu, diversion qui réussit à peu près.
B., cependant, paraît contente de mon repas improvisé.
Elle s’enquiert de mes sorties, mais comme pour me laisser — ou s’arranger pour me faire — bavarder, car je ne suis pas bien certain que cela l’intéresse véritablement.
Elle part tôt, une poignée de minutes après vingt-deux heures, puisqu’elle est fatiguée et travaille le lendemain. Elle séjournera quelques jours à **** à la fin du mois d’août, et nous nous verrons à ce moment-là. Je songe d’ailleurs que nous n’avons pas dîné ensemble depuis longtemps, S., P. et moi : ce serait l’occasion d’un repas à quatre chez eux comme nous n'en avons pas eu depuis longtemps.
24 juillet
Matin
Comme j’en ai le temps et n’ai jamais emprunté cet itinéraire depuis l'appartement de Pascal et F., je longe le canal Saint-Martin — et découvre sa sortie hors du tunnel dont m’avait parlé Aymeric quatre jours auparavant.
J’attends M.-C. à la Gare de l’Est. Il fait un temps agréable, presque frais, surtout en comparaison des fortes chaleurs des jours précédents.
Nous changeons de l’argent non loin de là, de façon à disposer de quelques livres anglaises à notre arrivée.
J’ai préparé à manger et, comme nous en avons le temps, nous déjeunons tranquillement dans l’appartement de F. et Pascal.
Après-midi
Nous nous mettons en route pour voir au Grand Palais l’exposition Rodin. Après avoir échangé nos contremarques contre des billets [ou faire valoir celles-là pour ceux-ci, je ne me rappelle plus, depuis, quelle était la procédure], interpellée par d’aimables rabatteurs à l’entrée, M.-C. se laisse convaincre de louer un audioguide. Et, comme on lui réclame une pièce d’identité à titre de caution, elle s’aperçoit alors qu’elle n’a pas sa carte d’identité.
Passé un moment de stupeur, elle reconstitue le fil des événements qui a pu la conduire à l’oublier chez elle : comme je lui avais conseillé de scanner son passeport ou sa carte d’identité, elle a dû laisser cette dernière sur son imprimante de bureau — et partir sans elle. Elle est même certaine que cela s’est passé ainsi.
Remis de nos émotions, nous parcourons l’exposition, vraiment superbe — tant et si bien que nous parvenons à nous abstraire de l’incident alors que nous la parcourons. Même la littérature rupestre, contre toute attente, s’avère pertinente, précise et concise, sans répétition inutile d’une salle à l’autre. M.-C., subjuguée, prend d’ailleurs davantage son temps encore que moi. Elle me le dira ensuite : c’est la plus belle exposition qu’il lui ait été donné de voir.
Je suis, pour ma part, spécialement impressionné par l'idée de génie qui s'est emparée de Rodin en disposant trois figures identiques dans les trois Ombres sans que cela apparaisse d'emblée aux yeux du regardeur, ce qui en démultiplie d'autant l'extraordinaire tension de ces corps — et alors même qu'en faire le tour, en connaître le principe n'en fait qu'épaissir et la force et le mystère.
Nous apprécions beaucoup moins, plus anecdotique et bric-à-brac, l’exposition Jardins tout à côté, dont c’est le dernier jour. C’est l’occasion, d’ailleurs, d’un bref différend entre M.-C. et moi : alors que j’ai plaisir à retrouver un panneau décoratif d’Odilon Redon découvert dans les mêmes lieux lors d’une exposition antérieure, sa moue dubitative me renseigne sur le peu d’attrait qu’elle y trouve.
Je songe aux bijoux de Lalique vus récemment à Lisbonne en examinant d’un œil plutôt froid les bijoux floraux de chez Cartier, voire ceux de Van Cleef : précisément, l’art nouveau et l’art déco sont les grands absents des lieux, tandis que quelques beaux tableaux de la période romantique voisinent avec des croûtes qu’une mise en scène ne permet guère de les sortir du purgatoire où ils auraient pu demeurer…
(Quand je verrai, en août, l’exposition Jardins à l’infini/ De Giverny à l’Amazonie du Centre Pompidou à Metz — j'y retrouverai certains “noirs” d'Odilon Redon —, je serai beaucoup plus convaincu par les choix opérés sur un thème somme toute similaire — et, semble-t-il, quelque peu dans l’air du temps. Et, naturellement, proximité de l’Ecole de Nancy oblige, seront exposés des vases Gallé et Daum aux motifs floraux…)
Max Ernst, Pétales et jardin de la nymphe Ancolie, 1934 Huile sur enduit, transférée sur panneaux de bois ; 415 x 531 cm Kunsthaus Zürich © Adagp, Paris, 2016
Soirée
Celle-ci est essentiellement occupée à passer des coups de téléphone auprès de la police des aéroports, des compagnies aériennes, de bureaux de police des environs : impossible paraît — ce qui ne m’étonne guère — de partir sans carte d’identité ou passeport, même si M.-C. a toutes sortes de papiers (carte bancaire, permis de conduite, carte vitale…) attestant son identité.
(Entre-temps, j’ai insisté à plusieurs reprises pour qu’elle fasse l’aller et retour entre **** et Paris — elle en avait le temps en fin d’après-midi, elle en aurait le temps encore le lendemain, ou, si elle ne s’en sent pas l’énergie, elle peut encore partir le lendemain et revenir à Paris le surlendemain, quitte à payer un nouveau billet d’avion, des places restant disponibles sur certains vols et dans tous les cas, plutôt que de renoncer à ce voyage pour lequel elle a engagé déjà des frais importants).
Nous dînons tard et nous couchons plus tard encore, sans certitude aucune pour le lendemain.