791 - Sotiš in London (6)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Sotiš in London

 

(sur un air de chapelloise, de polka slovène ou d’English gay gordons)

 

Paris - Londres - Paris

 

(journal extime 19 juillet – 4 août 2017)

 

 

VI

— Cette sotiš pour Tomaž, qui a su, sans en rien savoir, me rendre incomparablement idiot.

 

25 juillet

Je dors d’un sommeil agité. M.-C., elle, secouée par les événements de la veille et les agitations de la nuit, dira avoir mal partout.

Elle entame de mêmes tractations que la veille, espérant pouvoir pallier à l’aéroport son défaut de papier et embarquer malgré tout.

Je la sens désespérée. D’ailleurs, elle s’accuse de fatigue, d’incapacité à gérer les tâches matérielles qui, depuis un certain temps, lui incombent. Elle sent à l’évidence une minus habens d’avoir commis un tel acte manqué, et y vois comme une semonce, une punition de n’avoir pas suffisamment prêté d’attention aux signes de fatigue accumulés et dont l'oubli de la veille est aussi la démonstration. De mon côté, je me sens aussi coupable qu’elle ait accepté ma proposition de partir à Londres, mais aussi de l’avoir engagée à faire la photocopie de son passeport ou de sa carte d’identité.

La matinée avance, et nous entamons un ménage afin de laisser l’appartement propre.

Elle choisit d’aller à Roissy plutôt que de rentrer à **** et de revenir après avoir arrangé un nouveau voyage. Je n’insiste pas, mais j’aurais fait l’inverse : j’aurais pris le train, quitte à partir le lendemain ou le surlendemain.

Elle part donc en éclaireur tandis que je termine de préparer mes bagages et de faire le ménage — tout en doutant fortement qu’on laisse M.-C. prendre, sans papiers, un avion pour Londres.

 

Après-midi

M.-C. m’envoie un message : le RER B est arrêté suite à un malaise d’un passager, et, ainsi averti, je prends un bus près de l’Opéra.

Celui-ci fait bientôt du sur-place aux abords de la Porte de Clignancourt.

Je reçois un autre message : on ne veut en aucun cas la laisser embarquer sans papier ; elle dit m’attendre à telle porte d’embarquement où nous pourrons nous retrouver avant mon départ.

Lorsque j’arrive enfin, je ne la vois nulle part ; je l’appelle, mais n’obtiens que le répondeur de son portable.

J’attends quelques moments, mais finis par passer le portail d’embarcation, puisque bien certain désormais que nous ne pourrons partir ensemble.

 

Dans l’avion, je vois arriver deux personnes pour investir les deux autres sièges de ma rangée, après qu’on m’a demandé si elles pouvaient s’installer. Je crois d’abord que la place de M.-C. a été d’emblée revendue et manifeste de l’humeur face à cette invasion, tandis que j’aurais préféré être seul. J’avais d’ailleurs remarqué cet homme et cette adolescente dans la file qui menait à l’avion : lui avait entamé je ne sais quelle palabre, comme si on lui refusait l’accès à l’appareil. L’homme, qui a vu ma contrariété, m’explique qu’on l’a ainsi placé à côté de sa fille après qu’il en a fait la demande, les places à côté de moi étant libres. Il s’avère finalement sympathique et liant. C’est un Français qui a vécu longtemps à Berlin, est séparé, si j’ai bien compris, d’une Anglaise avec qui il a eu deux filles et connaît bien Londres. Nous bavardons. Je lui pose quelques questions pratiques et il me donne quelques tuyaux et renseignements, qui pourraient être précieux sur place.

 

Soirée

L’avion est en retard.

Aux contrôles douaniers, les ressortissants européens avec passeport sortent rapidement mais passent à travers un dispositif qui ressortit à quelque roman d’anticipation : leurs passeports sont scannés, et leur visages (me semble-t-il), photographiés. Je songe à cette installation vue à Copenhague, Safe Conduct, qui jouait sur un substrat technophobe, tout en faisant un portrait au vitriol de nos sociétés plongées déjà dans un état orwellien avancé. En fait, avec ma carte d’identité, j’échappe au dispositif, mais suis redirigé vers une tout autre file où je dois faire à nouveau la queue…

Je me fais ensuite vendre un ticket de bus alors que je pensais acheter un billet de train (certains trains rallient le centre de Londres en trente minutes avais-je appris dans le guide, et je comptais gagner du temps ainsi — et être avant vingt-heures installé dans l’appartement que nous avions réservé, M.-C. et moi).

Le voyage dure une heure trente-cinq, soit un peu plus longtemps que si j’étais allé de **** à Paris !

Je bénéficie toutefois du Wi-Fi dans le bus, et j’envoie un message à la logeuse pour prévenir de mon retard accumulé, puis à M.-C. (avec les cahots du bus, je dois m’y reprendre à trois fois).

Le bus est lui-même en retard.

A la Gare Victoria, je trouve un automate qui accepte l’argent liquide et me procure une Oyster Card pour une semaine afin de pouvoir me déplacer sans limites dans les deux zones centrales de Londres.

Je me fais indiquer la ligne de métro que je dois prendre par un grand Noir qui arbore l’uniforme de la RATP locale, qui a fini son service mais m’amène très gentiment jusqu’au portillon, tout en me précisant quels couloirs suivre.

De fait, je m’achemine aisément jusqu’au bon quai, mais, au moment de la correspondance que je dois emprunter, je prends la ligne dans le mauvais sens, ce dont je ne m’aperçois qu’après quelques stations… Je suis décidément de plus en plus retard…

Heureusement, j’ai fait une capture d’écran du plan du quartier que je me suis adressé sur mon portable et je me repère assez facilement au sortir de Holloway Road.

Alors que je vaticine dans le lotissement, cherchant la bonne entrée d’immeuble, un jeune homme me hèle : il guettait mon arrivée et m’a vu tirer ma valise et me fourvoyer ; aussi est-il venu à ma rencontre.

Non content d’être agréable, il est agréablement fait — et beaucoup plus encore joli garçon quand il aura ôté ses lunettes.

Il me montre ma chambre (l’une de trois autres avec un lit double et un lit pour une personne sur le même modèle). Ce n’est donc pas un appartement dont M.-C. aurions eu la jouissance complète, et je ne m’étonne plus que notre location était moins chère que celle de tous les autres annonces que nous avions parcourues. Au moins pourrai-je me faire à manger, l’inconvénient de partager une salle de bains commune étant moindre que l’impossibilité, comme à Naples, de se faire la cuisine…

 

Comme je lui demande où je pourrais faire quelques achats, le jeune homme me mène ensuite jusque dans un supermarché encore ouvert où nous faisons l’un et l’autre nos courses : j’apprécie son empressement, mais je lui propose de me laisser, en argüant que je retrouverai seul assez facilement mon chemin ; nous nous croisons plusieurs fois dans les rayons ; lui paraît ne pas me voir, et je me dis que je l’ai peut-être vexé, alors que je ne voulais pas le ralentir dans ses propres achats.

 

Il est tard — presque 22 heures 30 — quand je me fais à dîner.

 

M.-C. m’a écrit, nos messages s’étant en fait croisés :

 

R*** a laissé plusieurs SMS et m’a appelée : elle demande que tu la rappelles très vite quand tu es près de la maison ; si tu sonnes chez les voisins, c’est la police, dit-elle…

[Je comprends mieux alors pourquoi le jeune homme me guettait.]

Je suis inquiète de savoir que tu n’es pas encore arrivé ; j’espère que tu n’as pas de gros ennuis ; ça suffit comme ça…

Tiens-moi au courant quand tu peux. Je suis rentrée à la maison sans problème et je vais y rester ; c’est vraiment dommage, mais je ne me sens pas de renouveler l’opération…. Je suis sur les genoux…

A très bientôt et je te souhaite une belle semaine !

Bises

MC

PS : la carte d’identité était bien dans le scan… Affligeant !

 

Je lui réponds quelques lignes anodines, me promettant de la relancer le lendemain pour la persuader de venir me rejoindre.

 

Le jeune homme, de retour peu après moi, se prépare à manger.

Nous devisons un peu. Je m’irrite alors de devoir toujours chercher mes mots, de n’avoir pas ce fluent english que la pratique des textes littéraires, de la version anglaise pratiquée autrefois à haute dose inhibe, tandis que je cherche toujours quelque phrase que je crois idiomatique ou appropriée — et s’avère alors d’un registre trop soutenu pour mes interlocuteurs, spécialement non anglophones de naissance ! J’ai bien repéré, pour ce qui le concerne, son accent étranger, sans parvenir à identifier sa nationalité.

Il est slovène, originaire de Ljubljana. Il n'aime pas beaucoup Londres, qu’il dit trop polluée, alors que, à Ljubljana, quelques coups de pédale le mènent aisément hors de la ville…

791 - Sotiš in London (6)

Il dit travailler là pour dépanner des amis — et que je ne verrai R***, la propriétaire, que le jour de mon départ.

Il m’explique avoir prévu une excursion le lendemain à Stonehenge, une des rares escapades qu’il lui aura été loisible de faire durant son séjour londonien depuis deux mois. Me vient alors une réminiscence d’y être passé avec R. Nous avions ironisé sur les quelques cailloux dressés de l’endroit. A la réflexion, je me dis toutefois que je confonds finalement peut-être avec la Bretagne, avec quelque autre site druidique — comme [cela me reviendra bien après coup] Carnac.

 

Nous avons une conversation un peu hachée tandis que j’écris les premiers linéaments de ces lignes-ci et qu’allant et venant il passe par-dessous le fil de l’ordinateur branché à la cuisine à la place de la prise électrique destinée à alimenter, selon les besoins, le toaster ou le four à micro-ondes.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article