Archive GA - CCCXXVIII (?)/ CCCXLV (?)
Mardi 30 octobre [2012], soir
[…] Pas de nez, pas d’œil, pas de palais, pas d’ouïe… Et, pour le tact, je dois être un piètre touche-à-tout ! Mais j’ai le goût de la peinture et j’y reviens obstinément — quoique mon énergie à déambuler dans les galeries des musées, je le sais, s’épuise vite...
Ni nez, ni palais. Cependant, les plats qu’on nous sert sont correctement mis en œuvre, même si nous ne sommes évidemment pas non plus dans un haut temple de la gastronomie...
Pas d’ouïe. Aymeric me raconte aussi avoir assisté à un concert d’une certaine Lisa (je crois) interprétant les chansons de Barbara. D’abord réticent, il s’est laissé conquérir par cet exercice en forme d’hommage, qui n’était pas tout à fait d’imitation. Nous parlons du coffret de l’intégrale des chansons à paraître pour le quinzième anniversaire de la mort de celle qu’aimait chanter C. en s’accompagnant à la guitare… La date de parution en est d’ailleurs légèrement avancée puisque l’événement, dont j’apprendrai ensuite que les trompettes médiatiques ont sonné à loisir l’approche, est annoncé pour le 5 novembre — la veille, en fait, d’un certain 6 novembre, ce qui ne doit pas être absolument fortuit.
Quand ceux qui vont… je songe à toutes ces chansons de deuil du répertoire de celle que j’ai découverte sur une émotion toujours intacte et renouvelée lors de mon adolescence, compagne de vie depuis. Et, même si les chansons de prédilection ont pu varier au fil des années, certaines sont demeurées les mêmes — dont ces chansons de deuil (mais pas seulement) auxquelles j’ai toujours été sensible, moi que les mois de novembre rendent toujours furieusement nostalgique, quoique à mon corps défendant...
Lundi 5 novembre
Pour Benoît.
Matin, midi
J’ai rendez-vous avec Aymeric pour déjeuner dans une brasserie proche du Lutétia. Mais du temps s’offre encore à moi.
En cette la veille du 6 novembre — je me le demande à nouveau : la date est-elle coïncidence, hasard objectif... ou bien, en effet, voulue pour célébrer aussi l’« absente » de tous les bouquets dont on fleurit les tombes ? —, je sais, non pour avoir été victime d’un matraquage publicitaire (dont se plaindra Aymeric) à ce propos mais pour l’avoir lu sur le journal des inscrits du site [GA] puis pour avoir parcouru un article de presse, que doit “sortir” le coffret d’une « intégrale » des chansons de Barbara.
J’en fais l’achat à la Fnac des Halles, geste en partie stupide — l’objet, au format d’un livre d’art, étant plutôt lourd et encombrant...
(Je m’apercevrai plus tard que cette “intégrale” n’est pas forcément bien nommée en ce qu’elle ne concerne que les titres de chansons interprétés par celle qui, franchissant la Seine, est allée de l’Ecluse au Châtelet — et non pas vraiment les titres enregistrés ou gravés, certains dans cette “intégrale” ne l’ayant d’ailleurs jamais été — du moins sur vinyle ou CD — puisque tout bonnement repiqués d’émissions de télévision et, pour cette raison, ne m’étant pas inconnus, tel ce duo avec Johnny Hallyday dont nous parlerons bientôt, Aymeric et moi…
Bref, certains enregistrements de chansons manquent.
Il est vrai qu’entendre sept à huit versions d’un même titre, sans compter tel ou tel enregistrement public, pouvait lasser — et lasser même le plus aguerri des aficionados...
Fallait-il ou non sortir de l’oubli, par ailleurs, telle publicité, ou pas de côté dans une “carrière” ? — Je ne sais...
Mais je serai évidemment bien plus ému par certaines onomatopées chantées sans texte (de fait, inédites pour moi), scat singing du limpide au rauque, du cristallin à l’étouffé, du murmure au cri extasié, et donc beaucoup plus ému par la voix qui souffle, souffre et s’enfle... que par quelque slogan, même barthésien, pour je ne sais quelle nouvelle déesse de chez Citroën... — la Pythie — toutes les Pythies ! — nous ayant depuis proprement abandonnés et nous laissant à la merci d’impostures insoupçonnées naguère et ne nous délivrant pas de nos insomnies rouges et mauves et violentes...
Et si, finalement, je tiens ces romances sans paroles plus fortes au corps, plus palpables dans leur émotion (parce que certaines voix sont à découper au couteau, offrant de l’individu qui chante des tranches égorgées comme des hosties épaisses, sang de sacrifiés, quoique aériennes dans leurs vocalises) que certaines poésies verlainiennes... m’en voudra-t-on ?)
Anamnèse. Revenance. Résilience. L’œuvre chanté de Barbara a ces résonances singulières, autobiographiques et universelles, en quoi chacun, pour peu qu’il écoute, retrouve son parcours — et se réaccapare, intactes, ses émotions...
Je m’irriterai bientôt d’entendre Denis, le mari de Valérie, ironiser sur l’Aigle noir — dont figure une première version dans le coffret.
Il n’est, en effet, pas besoin d’être un psychanalyste hors pair pour « comprendr[e] que L’Aigle noir faisait très vraisemblablement allusion à l’inceste ». Au cœur de la Nuit, quelques années plus tôt, disait déjà cela, plus directement peut-être : la nuit, l’oiseau, le revenant étaient déjà là...
En tout cas, et pour en finir avec les petites impostures voulues ou involontaires des uns et des autres, dans « [l]a version initiale[,] [l]es mots, restés inédits pendant quarante-deux ans, peut-être parce qu’elle les trouvait trop explicites, sonnent de façon déchirante : « Au matin, il ne me restait rien. L’oiseau m’avait laissée seule avec mon chagrin… »... étaient moins “inédits” que ne se le figure la journaliste de Télérama — puisque, à quelques variantes près1, inscrits dans la partition livrée au public dès 1970 par les Editions Marouani !)
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1« Quatre plumes couleur de la nuit/ Une larme ou peut-être un rubis/ J'avais froid il ne me restait rien/ L'oiseau m'avait laissée/ Seule avec mon chagrin… »