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L'amour l'après-midi
(publié les 6, 9 et 12 mai 2013)
Lundi 5 novembre [2012, Paris]
Après-midi
Je finis […] mon séjour en beauté — et en jeunesse.
Il pleut pourtant interminablement sur la capitale alors que je m’apprête à boucler mes bagages.
J’ai vu le matin même l’ouverture désopilante du film de Billy Wilder, Ariane (le titre original en est Love in the Afternoon !), où les Parisiens sont censés s’embrasser partout, en toute circonstance.
C’est beau l’amour à Paris l’après-midi.
Même quand il pleut.
Je mets en application.
Rentré au studio, j’engage un dialogue avec un jeune homme de vingt-quatre ans, qui m’envoie bientôt des photos.
Sur l’une d’elles, en noir et blanc, le visage de face coupé à moitié m’évoque le Désespéré de Courbet,
quand bien même l’expression — la sienne : sourcil et front froncés, et non pas yeux écarquillés et mains arrimées à la chevelure — n’est pas la même.
La longueur des cheveux, le front dégagé, et la moustache et la barbiche sont presque identiques cependant... J’imagine d’ailleurs, dans le noir et blanc, les carnations et le sang qui circule…
Et de songer à Laurent, qui prétendait méconnaissable un visage ainsi coupé en son milieu...
Je supplée, moi, son autre moitié, et j’y vois plutôt une revenance, une évidence, une ré-in-carnation avivant proprement ce noir et blanc — ce qui naturellement m’émeut puissamment.
Sur une autre, chapeau de paille, lunettes de soleil, assis en tailleur dans le sable, un livre ouvert sur le losange des cuisses et des mollets, il est en caleçon de bain, jambes et torse nus.
Ce garçon, semble-t-il, ne se déteste pas...
Or, même s’il manque d’épaule, s’il n’a pas le torse très velu, même s’il prend la pose, s’il se donne l’air intéressant, je trouve qu’il a raison : sans conteste, il est beau garçon — et c'est bien volontiers que je lui accorde des airs intéressants...
Sur une dernière photo, provocante mais humoristique, le caleçon est baissé à mi-cuisses, une main négligemment posée sous la fesse droite — et la croupe, tendue, offerte, un joli chemin de poils allant de la fente aux cuisses, et, dans l’écartement des jambes, le gland — à moins que ce ne soit l’autre main dont apparaît un doigt (mais je ne le crois pas) !
*
* *
J’ai répliqué par quelques photographies, l’affaire est bientôt conclue et, parapluie au poing, prémuni contre la pluie battante, je me mets en route.
Moins de dix minutes plus tard, muni d’un digicode comme du bon sésame ouvrant la caverne où doit séjourner le merveilleux jeune homme qui m’attend, après avoir sans peine pénétré la bonne entrée du bon immeuble, je me trouve brusquement désemparé : dans le hall, à l’étage où l’ascenseur m’a mené, six appartements se distribuent aux quatre coins, et me voilà, ignorant absolument à quelle porte sonner.
L’oreille tendue, je m’approche des unes et des autres, tâchant de discerner une présence à l’intérieur des appartements, tout en tâchant d’être bruyant. J’imagine un instant qu’une prémonition proprement divinatoire m’indiquerait à quel endroit sonner. Mais mes antennes restent en berne.
Au moment où, dépité, je m’apprête à repartir, la porte face à l’ascenseur — celle sur laquelle je n’aurais jamais parié, parce que trop évidente — s’ouvre.
Il est brun (comme sur sa photo), a les yeux bruns. La barbe est duveteuse. Elle ondule, un peu clairsemée. Les cheveux sont longs (comme sur sa photo). Il n’est pas très grand, me dépassant à peine (comme l’indiquait la description de son profil, il mesure 1 mètre 70 — et, si je le soulevais, je vérifierais tout aussi bien qu’il pèse 55 kilos ce garçon qui me fait face, au physique agréable et à la corpulence fine...).
Comme sur les photos enfin, il m’accueille le torse et les pieds nus. Et, pour tout dire, sous le pantalon de jogging que j’ôterai sans mal, je découvrirai bientôt un caleçon seyant — il n’est pas de ces jeunes gens qui ne jurent que par les boxers, lui est indéniablement adepte des caleçons — à carreaux orangé et jaune...
Il m’accueille gentiment, m’explique en s’excusant qu’il s’est rendu compte après coup avoir oublié de me dire où sonner : il habite chez une amie temporairement, me dit-il, tandis que je le suis dans un couloir qui débouche sur une cuisine en désordre et, à main droite, sur une pièce de séjour assez grande pourvue d’une vaste baie vitrée qu’occulte à peine un drap accroché je ne sais comment — et dont je me dis qu’il ne dissimulera peut-être qu’à grand peine nos ébats…
Le matelas est couché à même le sol, de même qu’un ordinateur portable en service encore sur le site où nous avons mené notre conversation. D’autres objets jonchent la moquette.
C’est à cette hauteur qu’il semble que l’on doive poursuivre…
Nous nous en trouvons bien.
Nous nous embrassons, caressons (il embrasse bien).
Il sait que je n’ai que peu de temps, néanmoins.
Je glisse sur les cuisses le pantalon de jogging...
(bis repetita)
*
* *
J’avais (certes) dit n’avoir pas trop de temps… Cependant, il jouit bientôt — sans doute bien trop tôt pour lui ou l’habitude qu’il en a, et comme il arrive parfois quand on n’a pas eu de relation sexuelle depuis longtemps, ou qu’on a été un temps trop long dans l’impatience ; il semble en tout cas en être affecté, puisqu’il se confond en excuses : « J’ai un peu honte », répète-t-il.
Je tâche de la rassurer : si sa jouissance a été rapide, il n’a rien d’un éjaculateur précoce, à ce que je sache — pour les quelques plutôt rares fois où j’aie pu en rencontrer.
Et, voulant faire diversion (et panser d’éventuelles plaies),
je prends beaucoup de plaisir à bavarder avec lui.
Car ce qu’il dit est mieux que sensé. Et la conversation est fluide.
Nous parlons notamment de ses études. Il n’est à Paris que depuis peu, après avoir séjourné à l'étranger. Il faut qu’il se trouve un appartement.
Nous parlons de villes : de Paris bien sûr, du XIe arrondissement, ainsi que de Bordeaux, Nantes, A*** (dont il est originaire)...
Mon hôte, outre son physique charmant, est un interlocuteur agréable…
J’aurais voulu m’attarder. Il me laisse quelques regrets de n’avoir pu réaliser ce désir, d’autant qu’une seconde fois aurait été une solution vraisemblable au malaise qu’il avait paru éprouver.
Je me dis d’ailleurs — quand bien même pour ma part j’ai pu trouver mon compte dans l’échange des corps et que la rencontre ensuite m’a plu, la frustration qu’elle aura peut-être représentée pour lui ne fait peut-être pas la balance… — que faire l’amour dans l’empressement n’est pas forcément la meilleure idée.
Oui, j’aurais voulu m’attarder…
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J’aurais voulu m’attarder… mais je dois rendre les clés du studio à son propriétaire. Je prends donc congé.
Il pleut toujours. Déployant mon parapluie, je m’aperçois que j’ai oublié ma sacoche — contre toute logique freudienne, qui aurait préféré que ce fût l’objet phallique, et non ce substitut féminin et, comme tel, sans grâce particulière à mes yeux.
Je reprends l’ascenseur, sachant désormais où sonner…
L’acte manqué m’aura permis de revoir mon hôte en passe de prendre une douche, toujours torse nu et les reins ceinturés d’une serviette…
J’emporte donc comme un cliché mémoriel une image bien propre à de jolies anamnèses pour le re-venir !
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* *
20h13
SNCF, ô condition déplorable du voyageur moderne (même si j’apprécie que le TGV ait diminué de près de moitié la longueur des trajets) !
Tous mes contemporains ou presque, en outre, ont le téléphone portable (ou la tablette) à la main.
Cette irrépressible envie de communiquer...
Bientôt ils dormiront.
Mes prédictions sont très vite réalisées. (Pour me contredire, néanmoins, une jeune femme tricote, anachronisme qui prête à s’attendrir — ou à sourire. Je crois reconnaître du point mousse, et songe aux pulls de mon adolescence tricotés par S. ou par ma mère.)
Deux heures plus tard
J’envoie un message en rentrant. Je ne sais même pas son prénom. Je le remercie de la rencontre…
(Je ne le sais pas encore, mais je le saurai bientôt : il s’appelle Julien !
De quoi broder à l’envi sur un tel prénom (!)…
— même s’il est plus jeune qu’Audrey ne l’était dans le film de Wilder… et moi… tout de même… un peu plus jeune que Gary !)