800 - Sotiš in London (9)
Sotiš in London
(sur un air de chapelloise,
de polka slovène
ou d’English gay gordons)
Paris - Londres - Paris
(journal extime 19 juillet – 4 août 2017)
IX
— Cette sotiš pour Tomaž, cette huit-centième humeur, en effet,
— pour Tomaž qui a su, sans jamais en rien savoir, me rendre incomparablement idiot.
27 juillet
Soir [suite]
Lorsque j’arrive à l’appartement, je trouve mon jeune réceptionniste en grande conversation avec une jeune fille pas très jolie mais accorte, avec qui le contact paraît s’être bien noué.
Je ressens une pointe — aiguë — de jalousie dont je ne me serais pas (ou plus ?) senti le jouet... dont en tout cas je me croyais préservé depuis longtemps !
Lui paraît s’être fait à manger, mais ce qu’il a préparé pourrait être suffisamment copieux pour deux, et je brode un instant sur cette éventualité…
Je dépose les courses que je viens de faire dans le réfrigérateur, vais un court instant dans ma chambre, reviens, vaque comme je peux, sourd des deux oreilles que je bouche mentalement à ce qui s’échange entre eux.
Lui a fait les présentations, sommaires, mais je n’ai rien retenu, l’esprit tout parasité par ma déconvenue.
Elle dit soudainement qu’elle retarde son dîner, s’excuse ; il s’en va donc, et, alors qu’il s’apprête à quitter la pièce, il me souhaite « bon appétit » (en prononçant le —t) , me demande si c’est bien ainsi qu’on dit, et moi, beau joueur, mais me réjouissant à part moi assez perfidement de l’erreur, répond : « Perfect ! ».
Elle s’en va à son tour, va et vient ensuite, je l’entends prendre une douche.
Je me prépare à dîner.
Le jeune homme réapparaît et, voyant que je me suis rapporté un quart de bouteille de rioja, entame une conversation sur le vin, qu’il dit bien aimer, tout en précisant — mais j’aurais pu anticiper ce qu’il dit, étant donné la façon dont je l’ai déjà cadré — « en petites quantités »…
Il me dit que fromage et vin font que les Français sont assez rarement obèses, qu’ils ont moins de maladies cardiovasculaires, ce qui me rappelle le beau trentenaire hongrois idiot qui m’avait emmené à l’aéroport de Prague. J’en pleurerais presque de dépit ou de rage ; je me contente de répondre que de plus en plus de jeunes gens sont en surpoids, en France comme ailleurs...
Il me montre une bouteille de rosé, un vin de cépage, s’en sert un verre et s’éclipse à nouveau.
Lorsqu’elle quitte la salle de bains et qu’elle apparaît un court instant [à moins que ce soit à un autre moment, une autre occasion, ma mémoire défaille à ce sujet, et mes notes ne suffisent pas à l'établir], j’entends qu’elle largue les amarres le lendemain — ce dont je me réjouis à nouveau, plutôt méchamment —, tandis que je ne saisis pas tout ce qu'elle peut dire, l'esprit toujours accaparé par les scenarii qu'il brode...
Lui revient à nouveau, s’éclipse une première fois, pour un nouveau retour après quelques temps, afin de se servir un second verre.
Je m’imagine que, entre-temps, la fille le rejoint : j’entends des bruits sourds ensuite, qui, dans mon imagination jalouse, traduisent, attestent un accouplement [— ce qui ne laisse pas de me rappeler (mais seulement ensuite, en l'espèce : le lendemain) une situation vécue quelque quarante ans auparavant, dont j'avais appris (mais plus tard, en recoupant les dires des intéressés) que je l'avais entièrement créée]...
* * *
Alors que je transcris ces lignes à la cuisine, le jeune homme réapparaît et m’adresse en anglais des mots dont je ne comprends que la fin (« … beer now ! »), mais dont la teneur semble à peu près : « Vous en êtes à la bière, maintenant ! », sur un ton légèrement désapprobateur.
Cette réapparition paraît démentir, en tout cas, ce que j’échafaudais quelques instants plus tôt...
Cependant, il faut aussi, au su et vu de l’échange de mes deux tourtereaux quelques autres moments plus tôt, me dis-je in petto, que je me persuade que mon charmant interlocuteur des jours derniers n’est probablement pas gay…
Et, quoi qu’il en soit, me raisonné-je aussitôt : il serait temps désormais d’aller me coucher !
28 juillet
Matin
La jeune fille a abandonné dans la cuisine les clés de sa chambre, accompagnées d’un mot bien visible, dont, puisqu’il ne m’est pas destiné, je dérobe — assez avidement — la lecture à son destinataire.
J’apprends ainsi les noms des protagonistes du drame minuscule qui s’est joué la veille : Tom et Lucy.
Elle est tchèque (et lui, j’ai vérifié, bel et bien slovène).
Des mots banals — que je n’aurai pas le temps de recopier (ce que je m’apprêtais à faire dans un souci de vérisme, car, confiée même à mon imagination, je n’aurais pas le talent de retranscrire un message pareil !) — pour dire que, si jamais Tom vient en République tchèque, elle se fera un plaisir de le recevoir dans son très beau pays, qu’il n’hésite pas à la contacter, et qu’elle lui souhaite une bonne fin de séjour à Londres…
Tout cela vaccinerait presque contre la méchanceté, la jalousie, les sentiments qui bruissent énormément, et je me sens prêt alors à amorcer une phase de décristallisation salutaire…
Pourtant, empêchant, alors que je m'y apprête, mon recopiage, Tom paraît, qui me demande si je vais bien — pourtant... et puisque, dans l’échancrure en V de son tee-shirt, quelques poils s’offrent à ma vue... le désamour tenté ne paraît plus certain…
Mais sa question me force à l’établir : j’ai bien dormi (m’étant muni de bouchons d’oreille, afin de n’entendre ni de bruits fantasmés, ni de réelles chasses d’eau importunes).
Tom, lui, a les cheveux hirsutes…