796 - Sotiš in London (8)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Sotiš in London

 

(sur un air de chapelloise, de polka slovène ou d’English gay gordons)

 

Paris - Londres - Paris

 

(journal extime 19 juillet – 4 août 2017)

 

 

VII

 

27 juillet

Matin

J’ai mal dormi. J’ai entendu, à quatre heures et demie, la chasse d’eau et ai maudit l’usager des toilettes qui s’est cru[e] seul[e] [?], mais me maudis tout autant quand  j’accomplis machinalement le même geste, alors qu'à nouveau je suis levé trop tôt en ayant oublié le décalage horaire…

 

Tout aussi matutinal que moi, je retrouve, au petit déjeuner, mon interlocuteur de la veille, qui, sentencieusement, à propos de musées dont je devais parler sur l’une de ses questions concernant mon emploi du temps de la journée à venir, m’avait dit « si on aime ça ». (Je préfèrerai la réaction de mon Slovène : je devrais essayer, y penser, me dit-il — et moi de répondre que, les musées publics anglais étant gratuits, si tel ou tel endroit ne plaît pas, on peut toujours en sortir — et lui m’entretenant au moins d’un musée du design qu’il a vu et bien aimé, tout en me rapportant, prolixe, l’anecdote d’un aviateur français qui serait à l’origine de l’invention du bracelet-montre…)

 

Je réponds à un courriel de M.-C.

 

Je me rends ensuite à Westminster Abbey. Un chambellan — tout au moins un homme déguisé en une sorte de chambellan —, abandonnant sa faction toutes affaires cessantes, me prête main forte pour vendre, en claironnant une annonce, la place que j’avais achetée pour M.-C. auprès des gens faisant la queue. En outre, une fois qu’il a trouvé acquéreur — un couple de personnes entre deux âges, qui prennent le billet pour leur fille, étudiante, le tarif étant le même que pour les séniors —, il nous ouvre le chemin jusqu’à la caisse, nous offrant ainsi un précieux coupe-file. Comme, en outre, il est plutôt bel homme, c’est avec une vraie chaleur que je le remercie de son aide.

La visite est chère, mais on distribue à l’entrée des audioguides gratuits.

 

Je n’arrive pas toujours à me passionner pour cet entassement de chapelles et monuments funéraires, cette débauche de noms et de précisions inutiles — le commentaire de l’audioguide étant globalement insipide. N’ayant pas l’imagination d’un Chateaubriand enfermé dans cet « amas de grandeurs » ni n’en étant aussi impressionné, l'âme sans doute plus roturière, je m’intéresse parfois à des détails, tel que le pavage le plus ancien de l’endroit — j’achèterai son effigie en carte postale ensuite — devant l'autel où avaient tout de même lieu les mariages royaux.

 

796 - Sotiš in London (8)

La presse alentour n’arrange rien à ma légère irritation. Et, en bon républicain, je m’interroge : quelle part de l’argent recueilli auprès des touristes échoit à l’Eglise (anglicane, certes), quelle part à l’Etat au sens de la « chose publique » ?

Il n’est pas loin de midi quand j’achève ma visite, rasséréné par la visite des arrière-cours.

 

(Une idée m'a traversé l'esprit ces deux derniers jours, qui revient, lancinante : pourquoi ne pas proposer à J. W., qui habite de l'autre côté de la Manche et n'aurait presque qu'à emprunter le channel ou un ferry, de venir, sans autres frais, à Londres, puisque la chambre que j'occupe est pourvue d'un second lit ? Mais, me dis-je aussi, J. et moi, nous ne nous connaissons que par voie épistolaire, et, si j'ai l'envie de le rencontrer, il ne pourrait — sans doute — que s'effaroucher d'une invitation pareille, venant d'un presque inconnu...

Je renonce donc à mon idée, mais à regret.)

 

796 - Sotiš in London (8)
796 - Sotiš in London (8)
796 - Sotiš in London (8)

*  *  *

 

Je retourne au Marks and Spencer de la veille. Voulant choisir quelque plat préparé, je fais tomber par inadvertance un plat de poulet indien dont j’éclabousse mon jean. Après mon passage en caisse, je vais aux toilettes afin de nettoyer les effets de ma maladresse. Je ne m’apercevrai que plus tard, avant de prendre le métro, que mon sac à provisions et l’arrière de mon jean sont tapissés d’une gouache jaune bien épaisse, tant et si bien que je m’efforce de n’entrer en contact avec personne, tout en me rencognant au fond de la rame.

 

Je déjeune dans l’appartement. Alors que j’écoute sur France Culture les informations du matin, mon petit Serbe — ou Souabe, ou je ne sais — survient. En short et toujours agréable à regarder. Il semble disposé à la conversation, qu’il relance à diverses reprises après que je lui ai demandé comment était Stonehenge (calque anglais de ma question). Nous devisons donc tandis qu’il se prépare lui aussi un déjeuner (avec des légumes frais, qu’il cuisine). Il dit — entre autres choses — qu’à Londres on mange mal, que les légumes sont importés, etc. Il dit aussi préférer la nature aux musées. Tout cela me semble faire sens (autre calque : it does make sense !), et je m’amuse de le trouver si transparent au fond. Je le quitte sur un « It tates good ! » — qu’il corrige en « seems ».

 

Après-midi

Je rends à la National Gallery.

Il y a là une accumulation de chefs d’œuvre, ou de peintres et d’œuvres connus en tout cas, dont, que je revois avec presque plus de plaisir encore que ceux de la veille, — à tout seigneur tout honneur — les Turner.

 

Joseph Mallord William Turner, Ulysses deriding Polyphemus - Homer's Odyssey, 1829 ; The Fighting Temeraire tugged to her Last Berth to be broken up, 1838, 1839 ; Rain, Steam and Speed – The Great Western Railway, 1844
Joseph Mallord William Turner, Ulysses deriding Polyphemus - Homer's Odyssey, 1829 ; The Fighting Temeraire tugged to her Last Berth to be broken up, 1838, 1839 ; Rain, Steam and Speed – The Great Western Railway, 1844
Joseph Mallord William Turner, Ulysses deriding Polyphemus - Homer's Odyssey, 1829 ; The Fighting Temeraire tugged to her Last Berth to be broken up, 1838, 1839 ; Rain, Steam and Speed – The Great Western Railway, 1844
Joseph Mallord William Turner, Ulysses deriding Polyphemus - Homer's Odyssey, 1829 ; The Fighting Temeraire tugged to her Last Berth to be broken up, 1838, 1839 ; Rain, Steam and Speed – The Great Western Railway, 1844
Joseph Mallord William Turner, Ulysses deriding Polyphemus - Homer's Odyssey, 1829 ; The Fighting Temeraire tugged to her Last Berth to be broken up, 1838, 1839 ; Rain, Steam and Speed – The Great Western Railway, 1844
Joseph Mallord William Turner, Ulysses deriding Polyphemus - Homer's Odyssey, 1829 ; The Fighting Temeraire tugged to her Last Berth to be broken up, 1838, 1839 ; Rain, Steam and Speed – The Great Western Railway, 1844

Joseph Mallord William Turner, Ulysses deriding Polyphemus - Homer's Odyssey, 1829 ; The Fighting Temeraire tugged to her Last Berth to be broken up, 1838, 1839 ; Rain, Steam and Speed – The Great Western Railway, 1844

En vérité, je commence, au hasard de l’enfilade des salles, par les peintres français du XIXe siècle et leurs émules.

 

Eugène Delacroix, Christ on the Cross, 1853 ; Gustave Courbet, Beach Scene, 1874 © Internet
Eugène Delacroix, Christ on the Cross, 1853 ; Gustave Courbet, Beach Scene, 1874 © Internet

Eugène Delacroix, Christ on the Cross, 1853 ; Gustave Courbet, Beach Scene, 1874 © Internet

Edouard Manet, The Music in the Tuileries Garden, 1862

Edouard Manet, The Music in the Tuileries Garden, 1862

Paul Cézanne, The Stove in the Studio, ca 1865

Paul Cézanne, The Stove in the Studio, ca 1865

Vincent Van Gogh, Farms near Auvers, 1890

Vincent Van Gogh, Farms near Auvers, 1890

Claude Monet, The Thames below Westminster, ca 1871 ; The Gare St-Lazare, 1877 ;  Lavacourt Under Snow,1878-1881 ; Water-Lilies, Setting Sun, about 1907
Claude Monet, The Thames below Westminster, ca 1871 ; The Gare St-Lazare, 1877 ;  Lavacourt Under Snow,1878-1881 ; Water-Lilies, Setting Sun, about 1907
Claude Monet, The Thames below Westminster, ca 1871 ; The Gare St-Lazare, 1877 ;  Lavacourt Under Snow,1878-1881 ; Water-Lilies, Setting Sun, about 1907
Claude Monet, The Thames below Westminster, ca 1871 ; The Gare St-Lazare, 1877 ;  Lavacourt Under Snow,1878-1881 ; Water-Lilies, Setting Sun, about 1907

Claude Monet, The Thames below Westminster, ca 1871 ; The Gare St-Lazare, 1877 ; Lavacourt Under Snow,1878-1881 ; Water-Lilies, Setting Sun, about 1907

Akseli Gallen-Kalleka, Lake Keitele, 1905

Akseli Gallen-Kalleka, Lake Keitele, 1905

Odilon Redon, Ophelia among the Flowers, ca 1905-08

Odilon Redon, Ophelia among the Flowers, ca 1905-08

On processionne pour voir la Vierge des Rochers de Vinci et le portrait des époux Arnolfini.

 

© Internet

© Internet

Mais, dans l’ensemble, malgré le public nombreux, on circule sans trop se gêner à l’intérieur des autres salles.

 

Paolo Uccello, The Battle of San Reno, ca 1438-40

Paolo Uccello, The Battle of San Reno, ca 1438-40

Carlo Crivelli, Saint Michael, ca 1430-1435

Carlo Crivelli, Saint Michael, ca 1430-1435

Fra Filippo Lippi, The Annunciation, ca 1450-53

Fra Filippo Lippi, The Annunciation, ca 1450-53

Michelangelo, “The Manchester Madonna”, ca 1497

Michelangelo, “The Manchester Madonna”, ca 1497

Albrecht Dürer, The Painter’s Father, 1497

Albrecht Dürer, The Painter’s Father, 1497

Hans Holbein the Younger, Erasmus, 1523 © Internet

Hans Holbein the Younger, Erasmus, 1523 © Internet

Titien, Portrait of a Young Man, ca 1515-20

Titien, Portrait of a Young Man, ca 1515-20

Bronzino, Portrait of a Young Man, probably 1550-55
Bronzino, Portrait of a Young Man, probably 1550-55

Bronzino, Portrait of a Young Man, probably 1550-55

Bartolomeo Veneto, Lodovico Martinengo, 1530

Bartolomeo Veneto, Lodovico Martinengo, 1530

Andrea del Sarto, Portrait of a Yung Man, ca 1517-18 © Internet

Andrea del Sarto, Portrait of a Yung Man, ca 1517-18 © Internet

Deux Caravage sont en voyage (le Garçon au lézard, et les Pèlerins d’Emmaüs) et il n'en reste donc qu'un seul.

 

Michelangelo Mersi da Caravaggio, Salome receives the Head of John the Baptist, ca 1609-10

Michelangelo Mersi da Caravaggio, Salome receives the Head of John the Baptist, ca 1609-10

Francisco de Zurbarán, Saint Francis in Meditation, 1635-39
Francisco de Zurbarán, Saint Francis in Meditation, 1635-39

Francisco de Zurbarán, Saint Francis in Meditation, 1635-39

Salvato Rosa, Philosophy, ca 1645

Salvato Rosa, Philosophy, ca 1645

Francesco Solimena, Dido receiving Aeneas and Cupid disguises as Ascanius, 1710

Francesco Solimena, Dido receiving Aeneas and Cupid disguises as Ascanius, 1710

Je stationne longtemps devant ce Velázquez, devant l’infinie compassion de l'ange et de l'enfant et devant l’extraordinaire douceur de la peine du Christ que montre cette flagellation.

Diego Velázquez, Christ after the Flagellation contemplated by the Christian Soul, probably 1628-29 © Internet

Diego Velázquez, Christ after the Flagellation contemplated by the Christian Soul, probably 1628-29 © Internet

Je ne sors de l’endroit qu’à l’heure de la fermeture.

 

*  *  *

 

Je visite ensuite St Martin in the Fields. Alors que je sors de l’endroit, il se met à pleuvoir et je reflue vers le café au sous-sol, The Crypt of Saint Martin in the Fields, où j’écris ces lignes — songeant à un enregistrement d’œuvres chorales de Britten dont je possède le disque vinyle et bâillant à qui mieux mieux, le verre de vin blanc et la fatigue d’avoir tant piétiné expliquant ma détente, les nuits précédentes ayant été courtes, inquiètes et agitées !

 

Soir

Les restaurants de Chinatown et Soho sont déjà bondés : à certains endroits, on fait la queue sur le trottoir. Presque partout on le précise : les menus d’appel ne sont servis qu’à partir de deux personnes.

Le restaurant que j’avais sélectionné dans mon guide est de toute façon pris d’assaut, et je réserve donc pour la veille de mon départ.

Je me résous d’autant plus facilement à rentrer dîner par mes propres moyens que mes pieds crient grâce.

 

 

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