813 - Sotiš in London (17)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Sotiš in London

 

(sur un air de chapelloise,

de polka slovène

ou d’English gay gordons)

 

Paris - Londres - Paris

 

(journal extime 19 juillet – 4 août 2017)

 

 

XVII

 

3 août

Je suis en avance d’une dizaine de minutes dans ce restaurant où François m’a donné rendez-vous pour déjeuner. Je le préviens de mon arrivée.

 

François est en proie au tædium vitæ. Il n’a de goût à rien. Pas même à son travail.

(Je demande des nouvelles du chat. Celui-ci est mort.  — Mais j'aurais pu me douter.)

Après qu’on a lui a diagnostiqué de l’hypertension, il lui faudra faire des examens.

Il n’a pas du tout aimé Bruxelles, qu’il dit grise et sale. (Il n’a guère aimé Londres non plus quand il y était allé avec C. Mais il n’aime de toute façon guère voyager.)

Je me tiens tout cela pour dit et me susurre incontinent que je dois le lasser passablement avec mes sauts de puce hors ou sur le continent !

 

Il me dit aussi que sa fille, Madeleine, l’inquiète, qu’elle « se laisse aller ». Je demande des explications. Son ami l’a quittée. Selon lui, elle se néglige, ne fait aucun effort vestimentaire, sort mal coiffée… C. ira bientôt à Bruxelles pour l’emmener chez le coiffeur, acheter des vêtements… (Son autre fille est au Japon.)

(Je ne commente pas, mais songe, intérieurement amusé, que ce discours doit se faire davantage au prisme de C. qu’au sien, François n’ayant pas trop — à mon sens — le souci de l’élégance, à moins de considérer ses marinières comme un tribut à Jean-Paul Gaultier…)

 

Il évoque Anna. Je lui parle de ma rencontre avec Didier — que je n’avais pas vu depuis trente ans, poussé sans doute par Danièle à me contacter. J’ai pu avoir ainsi des nouvelles de Carine, que j’aimerais revoir. J’avais senti Danièle réticente à me l’évoquer. « Trop délurée pour la famille K. », m’avait sentencieusement dit alors Didier. (Un monde ancien se bouscule dans mon cerveau.)

Comme N***, François se plaint d’être en décalage dans les soirées — pour ne plus boire d’alcool.

 

Sur sa demande, je lui fais part de mon emploi du temps de l’après-midi, de mon intention de me rendre au Musée d’Art moderne et voir l’exposition Derain, Balthus Giacometti : une amitié artistique.

Les musées le fatiguent, me dit-il.

(Je laisse — à nouveau — filer…)

 

Et c’est la première fois qu’il me parle de cela : il aimerait assez vivre à **** dans la maison de ses parents quand il sera à la retraite. Je m’étonne toujours que cette maison reste vide : elle doit se délabrer lentement. Et ce qu’il dit de ce désir — la maison elle-même ne m’a jamais emballé — m’étonne davantage.

Au moins ce désir n’a-t-il pas la marque de C. : si j’en crois du moins François, jamais elle n’envisagerait de finir à **** sa vie !

 

Après-midi, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

 

Alberto Giacometti, Autoportrait, 1920, huile sur toile, Riehen/ Bâle, Fondation Beyeler, Beyeler Collection

Alberto Giacometti, Autoportrait, 1920, huile sur toile, Riehen/ Bâle, Fondation Beyeler, Beyeler Collection

L’exposition s’ouvre sur cet autoportrait de Giacometti, qui me fait penser à Samuel, un professeur d’arts plastiques que j’ai connu à Reims — un grand garçon du sud à l’accent chantant, au nez busqué, aux cheveux noirs et bouclés, assez joli garçon, dont les yeux avait toujours comme un fond d’amusement, qui paraissait souvent vouloir s’interrompre, bouche légèrement ouverte et laissant apparaître un bout de langue en une mimique figée, comme pour reconsidérer sous un angle drolatique ce qu’il avait pu dire, et par conséquent prêt à s’amuser encore — mais qui a mis toutes sortes de distances — et que je n’ai bientôt plus vu — quand il a su que j’étais gay.

 

Giacometti, Femme cuillère [?]

Giacometti, Femme cuillère [?]

Giacometti, Petite tête de Diego, vers 1936, plâtre original, collection particulière

Giacometti, Petite tête de Diego, vers 1936, plâtre original, collection particulière

Giacometti, Femme qui marche, 1932-1934, bronze, collection particulière

Giacometti, Femme qui marche, 1932-1934, bronze, collection particulière

Nature morte avec une pomme, 1937, New York, The Metropolitan Museum of Art, collection Pierre et Maria-Gaetana Matisse, 2002

Nature morte avec une pomme, 1937, New York, The Metropolitan Museum of Art, collection Pierre et Maria-Gaetana Matisse, 2002

Aïka, 1959, huile sur toile, Riehen/ Bâle, Fondation Beyeler, Beyeler Collection

Aïka, 1959, huile sur toile, Riehen/ Bâle, Fondation Beyeler, Beyeler Collection

La Cage, première version, 1949-1950, Bronze patiné, Paris, collection Fondation

La Cage, première version, 1949-1950, Bronze patiné, Paris, collection Fondation

Tête noire (Tête de Diego), Huile sur toile, Marseille, Musée Cantini

Tête noire (Tête de Diego), Huile sur toile, Marseille, Musée Cantini

 

 

813 - Sotiš in London (17)

Dans cette amitié artistique à trois, je repère le spectre d’Artaud. Je m’amuse de cette lettre à Sonia Mossé — qui me fait songer à ce que Anaïs Nin relatait de l’approche toute paranoïaque que le personnage avait des femmes sitôt qu’il se sentait attiré par elles…

Faisant plus tard une rapide recherche, j’apprends par un article du journal la Croix à propos de l’exposition que, ironie singulière qui devrait me faire réviser la formulation de ma phrase précédente, « Sonia Mossé, à laquelle Antonin Artaud avait jeté un sort […] mourut en déportation au camp de Sobibor »

 

813 - Sotiš in London (17)
813 - Sotiš in London (17)

 

Je ne savais pas que Giacometti avait été sollicité par Beckett pour réaliser l’arbre en plâtre de En attendant Godot, seul élément du décor.

 

813 - Sotiš in London (17)
813 - Sotiš in London (17)
813 - Sotiš in London (17)

Je ne suis pas toujours très sensible aux peintures (ni aux sculptures) de Derain, non plus qu’aux œuvres de Balthus, mais j’emporte tout de même quelques clichés.

 

Balthus, Autoportrait aux deux Courbet, 1940, crayon sur papier

Balthus, Autoportrait aux deux Courbet, 1940, crayon sur papier

Balthus, Nature morte avec une figue (Le Goûter), Huile sur papier marouflé sur panneau, Londres, Tate

Balthus, Nature morte avec une figue (Le Goûter), Huile sur papier marouflé sur panneau, Londres, Tate

Balthus, le Peintre et son modèle, caséine et tempera sur toile, Paris, Centre

Balthus, le Peintre et son modèle, caséine et tempera sur toile, Paris, Centre

André Derain, le Dos, vers 1923, Huile sur toile, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

André Derain, le Dos, vers 1923, Huile sur toile, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

 

Et l’exposition rencontre, de toute façon, certaines de mes préoccupations et prolonge assez heureusement celle vue à Londres. L’homme qui chancelle [chavire, en vérité], en outre, me plaît beaucoup. (La marche, après tout, n’est jamais qu’une chute à tout instant contrariée et jamais assurée, et cette variation sur un même thème — le plus connu de l’artiste —… me plaît beaucoup !)

 

L’Homme qui chavire, 1950-1951, Bronze peint par l’artiste, éd. 5/6, Paris, Fondation Louis Vuitton
L’Homme qui chavire, 1950-1951, Bronze peint par l’artiste, éd. 5/6, Paris, Fondation Louis Vuitton
L’Homme qui chavire, 1950-1951, Bronze peint par l’artiste, éd. 5/6, Paris, Fondation Louis Vuitton

L’Homme qui chavire, 1950-1951, Bronze peint par l’artiste, éd. 5/6, Paris, Fondation Louis Vuitton

 

4 août, ****

 

At home.

Je raconte Tom à T.

 

C’est un vendredi.

Nous reprenons de douces habitudes.

 

 

 

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