821 - Chante, chante barcarol (5)
Chante, chante barcarol
(Paris – Venise – Vérone – Padoue – Paris)
Journal extime
(23 octobre – 5 novembre 2017)
5
27 octobre
Matin
Empruntant une ultime fois le vaporetto en direction de la Place Saint-Marc, nous entamons notre dernière journée à Venise en visitant la Basilique Santa Maria Gloriosa dei Frari.
L’endroit peut s’enorgueillir des chefs d’œuvre et des gloires passées qu’il abrite :
le mausolée de Canova, inspiré de son propre projet de monument pour Francesco Pesaro — à moins que je confonde ? —, où repose le cœur de l’artiste ;
plus loin, sous les espèces d’une simple dalle, la tombe de Monteverdi, fleurie de manière émouvante d’une rose blanche que quelque admirateur — c’est du moins ce que je m’imagine —, a jetée à travers la grille…
de très belles stalles dont les dorures sont illuminées par le soleil qui en lèche la patine et les arrondis
l’Assomption du Titien, qui avait tant impressionné Paul lorsqu’il l’avait vu, ce pour quoi il m’en avait fait une intense publicité, et qui, de fait, visse celui qui regarde en contrebas autant qu’il l’aspire vers le haut
— mais je me demande si je ne lui préfère pas le Retable de Ca’ Pesaro (1519-26) peint par le même Titiano Vecellio —
ou ce triptyque de Bellini
Giovanni Bellini, Madonna con il Bambino ed i Sainti Nicola di Bari, Pietro, Marco e Benedetto. Tavola cm 184 x 79 (parte centrale) ; 115 x 48 (parti laterali), 1488 © Internet
enfin, dans la salle capitulaire, une vierge à l’enfant de Paolo Veneziano de 1339.
A la sortie, j’achète deux cartes postales de grand format de l’Assomption, l’une pour Paul, l’autre, à des fins de reproduction pour ce journal extime et pour un envoi ultérieur.
Nous retournons voir l'Eglise de San Pantalone, entrevue la veille au crépuscule et en admirons la toile peinte au plafond.
Après-midi
Nous déjeunons d’une salade copieuse dans un bar tout proche.
M.-C. veut visiter Salute (nous reprenons le vaporetto),
que, pour l'heure, nous trouvons fermée — et qui nous décevra.
En attendant l’ouverture, nous promenons dans le quartier, ouverts à toutes les distractions : je lis, en m'en amusant, les noms de sonnettes des indigènes... M.-C. achète une bague en verre à un marchand passablement hâbleur...
Reprenant le vaporetto, cette fois en direction de la gare, nous nous rendons à Ca’ doro sur l’autre rive du Canal Grande. Le deuxième étage étant fermé, nous y renonçons, et, hasardant nos pas, faisons une promenade dans le ghetto juif — je songe à l’album de Hugo Pratt, Fable de Venise —, en attendant l’heure du train.
Soir
Arrivée un peu difficile à Vérone.
La nuit tombe quand nous sortons de la gare, et ce n’est pas sans peine que nous dénichons l’arrêt de bus, hors des quais de la gare routière, le long du Canale Camuzzoni.
Après avoir attendu quelque temps, un autobus nous emporte sans que nous soyons jamais certains des lieux que nous traversons, et quand, enfin, bien après, nous semble-t-il, les rues déjà illuminées du centre-ville, nous croyons être dans la bonne avenue, des arrêts s’enchaînent, qui portent le même nom, reproduisant le même épisode qu’à Mestre. Je finis par reconnaître le nom des boutiques indiquées sur la capture d’écran que j’ai faite — et détermine enfin l’endroit où il nous faut descendre.
L’appartement que nous avons loué est tout proche, sur une place qui, vide, pourrait paraître assoupie — les commerces en sont fermés, et je commence à me demander si nous pourrons trouver de quoi dîner… — s’il n’y avait, précisément, un fast food assez peu avenant qu’éclairent des néons blafards.
Nous sommes accueillis par la fille de la logeuse — qui habite sur le même palier et lâche sans le vouloir un horrible petit chien aux jappements aigus, qu’elle doit poursuivre dans l’escalier. Elle veut me montrer la façon dont on ouvre la porte d’entrée de l’immeuble, et je rate plusieurs fois la manipulation sans vraiment comprendre comment faire.
Son anglais s’avère plus sûr que celui de sa mère, avec laquelle nous avons échangé déjà courriels et SMS, et que nous savions absente. Le chien récupéré et le tour du propriétaire étant fait — l’appartement est très grand : il dispose de deux chambres mais aussi d’un très vaste salon-salle à manger dans lequel nous ne mettrons pas les pieds et dont nous fermerons les radiateurs durant notre séjour —, nous nous enquérons, résignés à ne plus pouvoir trouver de magasins ouverts dans le quartier, d’un restaurant où manger.
Alors que, les valises posées, nous nous apprêtons à nous en aller, je casse la clé dans la serrure de la porte d’entrée de l’appartement, un morceau demeurant dans la serrure. Je me résigne donc à sonner à la porte voisine, déclenchant des abois furieux. M’ouvre le compagnon ou mari de notre toute récente interlocutrice, lequel, dans un genre moins canin, a l’air aussi déplaisant — sans doute voue-t-il sa belle-mère aux gémonies de ne pouvoir s’occuper de la réception de ses hôtes — que l’aimable créature poussant des cris suraigus qu’il contient à l’intérieur — et que, bientôt, la perspective de devoir s’occuper matériellement de déloger dans le cylindre de la serrure le morceau de clé resté coincé semble ravir plus encore. Mais la fille de logeuse, survenue entre-temps, s’étonne — la clé est neuve, d’après elle — et nous assure que tout sera mis en œuvre pour notre retour.
Nous dînons dans la pizzeria qu’elle nous a indiquée, à quelque distance de là, non sans nous demander si nous pourrons finalement dormir ailleurs que sur un lit d’appoint ou dans quelque chambre d’hôtel dénichée au dernier moment. Nous échafaudons toutes sortes de scenarii, dont nous nous amusons, quoique tout de même légèrement inquiets. Nous décidons toutefois de prendre notre temps, de nous offrir un repas conséquent, la mésaventure nous ayant de toute façon creusé l’appétit.
L’endroit est très vaste, exclusivement achalandé par des familles italiennes, occupant parfois de grandes tablées d’évidents habitués. Nos pizzas sont très bonnes, et l’addition, légère.
Nous allongeons un peu le pas pour rentrer, à la fois parce qu’un peu de fraîcheur tombe et parce que nous ne voulons pas faire trop attendre nos voisins de palier.
Je parviens à faire tourner la clé dans la serrure de l’immeuble.
Entre-temps, tout est rentré dans l’ordre. La fille de la logeuse nous confie l’original de la clé appartenant à sa mère.
La hâte de se coucher clôt bientôt l’aventure.