815 - Journal d'un conscrit (21) [in memoriam J.-M.]
C***, le 9.2.84
Bonjour vous deux,
Je précéderai, j’espère, ce début de lettre, écrit un peu pour rien — pour couler le temps à cette heure où je suis « piquet d’incendie », c’est-à-dire pour le moment « planton » — avant que d’effectuer le très grand nettoyage de l’immense « foyer » du [régiment].
C’est un malheur comme un autre, auquel j’ai la bonne idée de me faire : plus pénible a été de l’apprendre hier soir à 19 h (car c’était une improvisation de dernière minute), au moment où je m’apprêtais à sortir en ville en compagnie d’A*** et de Pascal — alors que je me faisais un plaisir de voir, en particulier, ce dernier. Hum. Cela m’a grignoté également pas mal de mon sommeil, ce qui a toujours le désavantage de me rendre plus vulnérable aux moindres contrariétés.
La semaine, il faut dire, a mal commencé. Le « Service Technique » prépare avec ferveur, en effet, les manœuvres de demain à Biscarosse, où mes « camarades » A*** et J*** vont aider à tirer le missile… J’ai le bonheur (?) de rester dans mon bungalow-sur-M***, où j’aurai l’incommensurable joie de m’envoyer trois « gardes » en dix jours — mais comme, en principe, le rythme des « permissions » n’en devrait pas être altéré, je préfère cette solution contraignante à celle d’être bloqué un week-end supplémentaire à ma « D. O. » — et, de plus, tous ces service se feront dans deuxième quinzaine de février, ce qui ne bouscule donc en rien mes projets de repos “martien” (= le repos, bien mérité, du guerrier à la naissance du printemps, au mois de mars).
Je rentre donc ce prochain week-end, pendant lequel j’aurai, je l’espère, le plaisir de vous retrouver.
(J’ouvre une parenthèse. Ce furent de bons moments que ceux passés à ****, la semaine dernière. Je vous remercie de ces attentions qui m’ont donné, malgré tout, cette année, un repas de réveillon et d’anniversaire. J’espère ne l’avoir pas dit déjà, car je ne voudrais pas me répéter.)
Soleil et ciel bleu par la grande baie vitrée qui donne sur l’extérieur. Inutile d’écrire que je vis plus sur des horizons que les pieds plantés dans le sable — ou la boue. Peut-être est-ce là une annexe préambulant le printemps… J’en ai l’impatience furieuse, je l’attends.
J’ai envoyé à J.-P. mes essais de composition. J’espère avoir une réponse bientôt, qui précisera l’accueil qu’il en aura fait. Même une note d’encouragement me satisferait !
Voilà, je bavarde sans rien avoir à dire. Mais cela trompe le « planton », si je puis dire.
Je ne vais tout de même pas vous raconter le rythme infernal, l’assaut qu’a connu mon bureau, en début de semaine. Assailli de partout, oui, j’étais tellement énervé de l’absurdité des demandes que j’ai engueulé l’adjudant en lui demandant s’il prenait pour le Bon Dieu et ses saints réunis. Il a paru mortifié. Le lendemain, c’est timidement qu’il m’a tendu la main. Le surlendemain, il s’est enquis de l’état de ma fatigue. Serait-ce que l’on commence à leur faire prendre de bonnes habitudes ?!
Enième cigarette de la semaine. Pour combattre la fatigue, ou ajouter à l’énervement. Il n’y a rien qui (v)aille pour se sauver de cette situation. Sinon écrire cette lettre, précisément.
Mais il faut que cela cesse. Car je souffrirais bien trop de me redire. Alors, une fois encore, j’invoque l’excuse de dire que l’intention vaut, en général, mieux que la réalisation. Que cette lettre alors témoigne d’une pensée à votre égard !
Affectueusement,
A bientôt,
Romain
P.-S. – ci-joint un exemplaire, que je trouve personnellement savoureux, d’un compte rendu de réunion A. E. T. (« Anciens Enfants de Troupe »), qui vous plaira très certainement par sa stylistique vigoureuse.
[Le document n’a pas été conservé.]