829 - Chante, chante barcarol (12)

Publié le par 1rΩm1

 

Chante, chante barcarol

 

(Paris – Venise – Vérone – Padoue – Paris)

 

Journal extime

 

(23 octobre – 5 novembre 2017)

 

 

12

Vendredi 3 novembre

Matin

 

J’écris à M.-C., qui m’a envoyé un message dès que rentrée :

 

Bonjour M.-C.,

 

C’est à mon tour de te remercier : de ta compagnie, du restaurant, du livre sur Giotto, entre autres choses… — de ta patience, peut-être ?

Ton message m’est arrivé alors que j’étais déjà endormi — avant de me réveiller quelques heures plus tard et de changer tout le temps de position pour n’avoir pas le dos scié ici ou là, ou là encore et même ici, étant donné la literie calamiteuse du studio de N. Bref.

Ce matin, visite de l’exposition sur les relations entre Dada et l’art africain, dont j’avais déjà vu une première mouture à Berlin.

 

© Internet
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A Paris, la scénographie est toutefois différente, de même que, parfois, les œuvres exposées, et les rapports aux artistes et collectionneurs aussi, la part belle étant faite à l’Orangerie, à Paul Guillaume, à l’origine de la collection permanente du musée.

Quelques clichés, dont celui d’un archange prussien ^^ et d’un masque qu’on pourrait donner pour japonais mais qui est un masque mukudj, en provenance du Gabon.

 

829 - Chante, chante barcarol  (12)
829 - Chante, chante barcarol  (12)

L’intérêt de l’exposition, comme à Berlin, est de confronter des œuvres dadaïstes à leurs homologues africaines…

 

829 - Chante, chante barcarol  (12)

Et l’occasion était belle de revoir les Nymphéas de Monet :)

[…]
 

829 - Chante, chante barcarol  (12)

A bientôt. Amitiés,

 

Romain

 

Après-midi

Comme je sens un début de grippe lancinant, je passe dans une pharmacie pour un traitement de prévention, même si je songe qu’il est sans doute trop tard.

 

Je prends l’autobus au bas de la tour Montparnasse pour me rendre à mon rendez-vous avec N*** au jardin du Luxembourg.

Je le préviens de mon arrivée en lui indiquant le plus précisément possible où je me trouve, de l’autre côté du bassin, dans un fauteuil dans lequel je tourne le dos au Sénat tout proche.

 

© Internet

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Je reçois bientôt un appel téléphonique : N*** ne comprend pas mes indications ; de toute façon, ajoute-t-il, la chienne, Vicky, ne peut aller partout, des périmètres définis lui étant réservés.

Je me résous à quitter mon fauteuil d’anti-sénateur pour m'avancer de l’autre côté du bassin, vers le point le plus probable de son arrivée.

N*** est bientôt là. Il a maigri — de 15 kilos depuis que séparé de Jeff, me dira-t-il, mais, ce qui est inhabituel, il glisse aussitôt cette information donnée et n’en semble pas outre mesure affligé. Il arbore des lunettes que je ne lui ai jamais vues. (Je songe à ma propre presbytie, découverte lors d’un séjour à Budapest, alors que j’avais à peu près le même âge que lui.)

 

Notre conversation est interrompue par des rencontres canines, où les maîtresses devisent furieusement à grands renforts de philosophie à la petite semaine (les chiens meilleurs que les gens, etc.).

Heureusement ces gens et cette gent rompent bientôt en visière, les causeries n’étant que superficielles et n’engageant à rien, les gens, dans ce genre de circonstances, s’accordant à la faveur de leur amour mutuel pour les chiens. Je me le demande : n’aimé-je pas ces gens, leur gent, parce que je n’aime pas leurs chiens, ou est-ce l’inverse, ou ne me sont-ils pas plutôt tout bonnement indifférents, comme l’est leur causerie (ce que je me dis raisonnablement ensuite) ?

 

Nous installons sur des chaises en fer, la minuscule chienne sur les genoux de N***.

 

Je lui brosse un sommaire rapide de mon voyage en Italie, lui parle un peu — mais assez peu — de M.-C.

Lui exhibe un volume de Pessoa. C’est la première fois que je vois N*** transportant un livre.

Il en dit des choses intéressantes, qui ne concernent pas seulement son contenu, en ce qu’il s’attarde sur l’écriture fragmentaire, cet « art du peu » (selon les termes de Daniel Klébaner), sur les hétéronymes de Pessoa, [entre autres considérations, oubliées depuis].

Il se lance, à ce propos, dans un développement sur la tristesse — qui me rappelle un lien musical avec un morceau de musique qu’il m’avait adressé, intitulé « La tristesse demeurera toujours » (ou quelque chose d’approchant), tout en se disant plus stimulé par elle que par le bonheur.

 

 

Il me dit que sa vie en ce moment est bouleversée par un passé qui ressurgit. Voilà qui me ramène à mes propres revenants, autre raison de me trouver en accord avec lui sous l’arche solaire pâle de ce Luxembourg que je crois n’avoir partagé qu’avec lui (au moins cette fois ne pleut-il pas…).

Il a retrouvé un ami perdu de vue depuis plus de vingt ans ; Tom a refait surface (je reste circonspect sur ce retour).

Sur les différends qui l'opposaient à eux,  il a mis les choses au point avec Roman, avec Jeff — qu’il ne voit désormais plus, sauf pour se faire confier la chienne.

 

 

Tout en devisant, il propose tout de même de nous poser dans un café.

La chienne se montre peu envahissante, assez rétive à la promenade. Selon ses envies, en fonction de ce qu’elle peut découvrir en reniflant, nous effectuons donc quelques arrêts canins.

 

N*** me dit que, sollicité par un de ses anciens employeurs, il pourrait partir pour New Delhi « manager » une équipe pour la construction d’un site Web.

Décidément, Bordeaux ou New Delhi, certains lieux dessinent de puissants arcanes. Et je songe à Christine, dont je n’ai pas de nouvelles depuis son départ pour l’Inde début septembre (j’ai croisé Nicolas, que je n’avais pas vu depuis trois ou quatre ans, qui n’en avait pas davantage) et dont je me demande comment elle s’adapte à cette ville grouillante, empoussiérée, magnifique mais insupportable.

N***, toujours aussi drôle sur le compte de ses parents, notamment de sa mère, me brosse leurs réactions face à ce départ éventuel. Ainsi sa mère s’indigne qu’il puisse partir si loin manquer la bar-mitsva de Moshé, résider dans un pays dangereux, qui la mettra constamment aux alarmes. Et lui, à ce sujet, de répliquer : et vous en Israël ?

Comme nous passons devant la librairie d’éditeurs indépendants, je lui raconte Adrien — à peu près dans les mêmes termes que j’ai pu le faire ici.

 

Nous nous installons dans un café non loin du Sénat et d’Odéon. Le chien fait le lien — à nouveau — avec le serveur et le gérant de l’endroit.

 

Je reçois un SMS de Patrice, que je rappelle, afin qu'on dîne ensemble le lendemain ; au même moment, N*** réceptionne un SMS de Roman — que N*** devait voir, ce qu’il avait tout à fait oublié, et qu’il rappelle à son tour.

Un rendez-vous entre eux est fixé une heure plus tard.

N*** achève son thé assez tranquillement, et c’est moi qui presse alors son départ.

 

Il me propose de l’accompagner. Comme je suis curieux de voir enfin Roman, dont j’entends parler très souvent, j’accepte.

Nous errons entre Luxembourg, l’Observatoire, le quartier de N***, sans que je me repère toujours — mais lui non plus vraisemblablement car je n’ai l’impression ni de ligne droite ni de diagonale, et que, lorsque N*** oblique, il aurait pu le faire auparavant.

 

*  *  *

 

Il y a désormais trois aquariums dans son appartement.

N*** libère le perroquet.

 

Roman arrive presque aussitôt.

Il exhibe du jus d’orange et deux boîtes de bière forte, qu’il vient d’acheter à l’épicier du coin.

Il est sympathique — avenant et amusant.

 

Il nous parle du jardin d’un pavillon dont il doit s’occuper à Neuilly. Jardin et pavillon sont à l’image de leurs propriétaires, des gens riches dont l’habitus (mais surtout les possessions !) échappe à l’évidence au commun des mortels…

Il ajoute qu’il va consulter un site immobilier in petto pour pourvoir se masturber devant les annonces (je m’amuse de ce trait qui le qualifie d’emblée) ; N***, sur le même mode, réplique que les prix le feraient plutôt débander.

On s’effare quelques instants des prix de quelques mirifiques villas, puis des prix de quelques malheureux mètres carrés davantage en rapport avec nos moyens faibles ou limités. Les animaux, par ailleurs, accaparent  beaucoup l’attention…

Roman demande à prendre une douche, après sa journée de travail : il a passé le karcher sur son lieu de travail, précise-t-il), il n’est guère propre et doit puer.

Il revient bientôt.

N*** et lui se roulent et fument des joints.

 

Vers 21 heures, il est question de faire des courses.

 

A tort ou à raison, je me sens en tiers, et décide de ne pas m’attarder. Je dis alors être groggy (ce n’est pas totalement une excuse, la grippe ayant, depuis le début d’après-midi, peu à peu conquis son territoire)...

La conversation, alors que je m’apprête à partir, se ravive un peu — à moins que mon imagination, toujours intranquille, me joue des tours… c’est peut-être d’ailleurs un simple effort de politesse, une façon de témoigner un peu de curiosité à mon endroit. Ainsi, s’enquérant de ce que je vais faire le lendemain, Roman dit qu’il voudrait l’exposition du MOMA à la fondation Louis Vuitton.

Je parle à mots couverts de l’exposition Barbara, et lui me perce à jour plus vite que N***. Je m’en amuse.

 

Je prends le bus jusque Montparnasse, puis fais des courses pour un dîner improvisé.

 

*  *  *

 

Je suis content d’avoir vu N***, j'ai trouvé Roman agréable, mais la conversation à trois manquait de profondeur — comme souvent — et obéissant plus à des codes qui leur étaient personnels, en dépit des efforts de Roman pour s’intéresser à moi.

 

 

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