825 - Chante, chante barcarol (9)
Chante, chante barcarol
(Paris – Venise – Vérone – Padoue – Paris)
Journal extime
(23 octobre – 5 novembre 2017)
9
31 octobre
Matin
Nous sommes impatients et pressés — nous en sommes à cinq minutes depuis l’appartement cependant — de voir la Cappella degli Scrovegni, édifiée par le fils du banquier Scrovegni, « un banquier méprisable que Dante envoie au septième cercle de l'Enfer dans le chant XVII de la Divine comédie », apprendrai-je en effectuant quelques recherches ensuite.
C’est elle — du fait d’un courriel accompagné d’une photographie que, en vacances en Italie du Nord, m’avait envoyés Aymeric le 16 août — qui avait décidé de ce séjour en Italie, c’est elle, cette chapelle, sous une émotion esthétique durable, qui m’en avait donné l’impulsion.
Voici ce que m’avait écrit Aymeric de Padoue, dont — naturellement — je n’avais pas gardé la mémoire exacte, mais dont j’ai bien retrouvé l’esprit sur place :
Padoue présente un peu la même configuration [que Bologne] mais la journée que nous y avons passée nous a emballés car la ville était très animée et nous avons un peu regretté de ne pas y avoir séjourné plus longtemps. Le but était de visiter La Chapelle des Scrovegni. Entièrement peinte par Giotto (y compris les faux marbres des bas-reliefs !) c'est une pure merveille dans laquelle on n'est autorisé à rester que 15 minutes. J'espère que la photo jointe te donnera une petite idée du lieu.
On pouvait espérer que ce qu’Aymeric m’écrivait de la durée de la visite tenait au contingentement des touristes durant la haute saison touristique. Quoi qu’il en soit, j’avais donc pris de l’avance sur l’audioguide loué en même temps que nous acquittions le prix de la place en écoutant les premières plages de commentaires tandis que nous attendions sur un banc que s’ouvre la porte du sas en verre menant à la chapelle, tout en me rassérénant puisque la visite étant prévue pour durer trente minutes...
Las, nous fûmes parqués devant un grand écran de téléviseur pour regarder d’abord une vidéo de presque un quart d’heure, et nous ne sommes restés de fait que quinze courtes minutes à l’intérieur de la chapelle même, et ce, sans avoir eu même le temps d’écouter tous les commentaires de l’aimable engin prêté à l’entrée — et je regretterai — et je regrette encore — de n’avoir pas programmé une seconde visite avant de quitter la ville puisque, le surlendemain matin, nous en aurions eu finalement matériellement le temps.
Si les fresques de Giotto sont évidemment immenses, le lieu surprend, lui, par sa taille, somme toute plutôt réduite.
Les peintures représentent les scènes de la vie de Joachim et d'Anne, les scènes de la vie de la Vierge, les scènes de la vie du Christ, toutes scènes inspirées de la Légende dorée de Jacques de Voragine — apprendrai-je, toujours en me documentant (légèrement, comme j’en ai désormais l’habitude, afin de ne pas donner à ma mémoire le sentiment de rester trop en berne en la sollicitant ensuite !).
Sur la toile, quelque recherche qu'on entreprenne, les bleus, lumineux et beaux des fonds, que renforcent les ors, ne sont jamais exactement rendus :
Giotto, Le jugement dernier © Internet
Nous visitons ensuite le musée attenant (Museo Civici agli Eremitani), qui, comme pour pallier notre sentiment intense de frustration, possède une riche collection, de peintures notamment, depuis l’époque médiévale jusqu’au XXe siècle :
La peinture, très réaliste, de Luca Giordano, qui rappelle dans son traitement des corps José de Ribera sans en avoir toujours l’extraordinaire précision mais dont l’extase de saint François vue à Lisbonne m’avait tant frappé, s’agrémente — si l’on ose dire — de la précision, tout aussi naturaliste, de l’homme qui se pince le nez du fait de la puanteur de la plaie purulente de Job.
Et je m’amuse de cette Salomé, non plus fin-de-siècle mais art déco, après sa danse, peinte par un artiste italien dont je n’ai pas retrouvé le nom avec certitude, malgré la signature sur le tableau.
Une exposition est consacrée à Lino Selvatico, peintre né à Padou en 1872, dont certains portraits, très caractéristiques de son époque, sont plaisants, mais dont lassent un peu, en la parcourant, les nus féminins.
Malgré mon peu de goût d’ordinaire pour les tapisseries (mais j’ai dérogé déjà à mes préjugés lors de mes pérégrinations), la finesse d’exécution de l’une d’elles, alliée à la délicatesse des traits des protagonistes, arrête mon regard — et m’évoque certaines peintures de la Renaissance italienne dont elle est à l’évidence une manifestation, dans une rencontre heureuse et lumineuse entre des commanditaires méridionaux et un savoir-faire pluriséculaire plus septentrional mais non moins réel, dégrossi peut-être pour la circonstance.
Manifattura Brusselle (primo quarto del secolo XVI), Davide ordina a Joab e all'esercito dei prodi di combattere contro gli Ammoniti (Prov : Basilica di S. Antonio)
Et je rate, comme de juste, quelques clichés, dont certains retrouvés sur Internet ne font pas toujours justice à leurs originaux.
Pietro da Rimini (Notizie dal 1324 al 1338), Giuliano da Rimini (Notizie dal 1307 al 1323), Ascensione
Chassés précédemment de la chapelle Scrovegni comme d’un paradis de peinture, nous retrouvons certaines fresques de Giotto dont elles sont issues, sans que nos minutes soient comptées. Aussi nous attardons-nous à loisir, particulièrement devant son Crucifix.
Alors que nous croyons avoir fait le tour des lieux, nous découvrons encore un musée archéologique, dont nous parcourons les salles en effectuant sans vergogne quelques coupes claires, déjà tenaillés par la faim.
Nous rentrons alors déjeuner dans l’appartement.
Après-midi
Nous visitons le Palazzo della Ragione, l’ancien palais communal, aux dimensions impressionnantes, lesquelles, précisément, semblent surdimensionnées lorsqu’on les rapporte à la taille de la chapelle vue le matin.
Si l’on peut regretter l’incendie qui a détruit les fresque de Giotto et de ses disciples en 1420, celles qui les remplacent retiennent notre attention, tout autant que le gigantesque cheval de bois à l’une des extrémités de la salle, ou le pendule de Foucault à l’autre bout, que nous découvrons ensuite.
* * *
Après une station à la terrasse ensoleillée d’un café, hésitant sur la direction à prendre, j’entraîne M.-C. jusqu’au baptistère de la cathédrale, et, puisqu’il en est tout proche, nous parcourons ensuite le Musée diocésain.
* * *
L’après-midi a passé sans que nous en nous rendions compte (ce « nous » est peut-être abusif, mais il semble que nos rythmes s’accordent malgré tout) et nous voilà qui prenons un verre de vin dans un café présentant un incroyable bric-à-brac de choses entassées, un endroit d’autant plus sombre que la nuit est tombée mais où nous sommes bien accueillis par le gérant des lieux, qui échange avec nous quelques phrases.
Padoue nous apparaît plus authentique, plus vivante et populaire que Vérone ou — naturellement — Venise. Ses deux marchés sur les places delle Erbe et della Fruta, son marché couvert sous le Palazzo della Ragione sont animés, achalandés et avenants.
Nous parlons de J.-L., le frère de M.-C. et [peut-être — puisque je ne sais désormais plus] de S***, puisque je connais J.-L. par son intermédiaire, et ce, depuis plus de quarante ans. Lui, plus âgé que nous l'étions, est désormais à la retraite et profite de son temps libre.
Nous effectuons de dernières courses. Nous croisons des enfants dans les rues, déguisés et excités, qui se préparent à frapper aux maisons pour demander des sucreries — et quelque argent peut-être —, puisque c’est la nuit de Halloween.
J’observe et m’amuse du besoin compulsif de se documenter qu’a M.-C., qui, à ce propos, regrettait quand nous visitions la basilique Frari à Venise que, du fait de ses connaissances en histoire des arts, précisément, J.-L. ne soit pas avec nous.
Je m’amuse surtout qu’elle oublie à mesure. C’est bien pourquoi d’ailleurs, de mon côté, j’ai renoncé à toute recherche systématique, laissant aller mon regard et me fiant à des recoupements, finissant par reconnaître telle ou telle forme, tel ou tel style, identifiant provenances et époques — sans chercher à tout comprendre ni savoir, peut-être par paresse intellectuelle, je le reconnais sans façon...
Nous avons passé une bien meilleure journée que la précédente, me semble-t-il. M.-C. s’est peut-être dit que son agressivité de la veille avait pu m’atteindre, m’attiger — ce qui a d’ailleurs été le cas, mais j'ai pu m'exagérer alors le sens de ses remarques. Ou peut-être cette agressivité n’était-elle qu’un agacement temporaire, dont la raison m’échappe encore, d’autant que je n’avais pas su en déchiffrer les signes avant-coureurs.
De mon côté, je n’ai pu m’empêcher de m’amuser encore qu’elle contrevienne souvent aux principes — puisqu’il avait été question de cela la veille me concernant… —, sinon des préventions, notamment pour ce qui est de la nourriture, disant malsain trop de sucre ou trop de sel, mais cédant à une envie de pâtisserie. (C'est — naturellement (et je le sais) — faire un peu vite abstraction de la pathologie dont souffre M.-C., que, comme A., l'évitement de tel ou tel produit, telle ou telle viande, tel ou tel ingrédient, soulage de maux, l'une et l'autre ne pouvant que constater l'amélioration de son état de santé si elle s'abstient de gluten, de sulfites, de viande rouge, de laitage — et de sucre et de sel...)
Nous dînons dans l'appartement, sans avoir l'énergie ensuite de ressortir, la journée ayant été de toutes les façons bien remplie.