Pages choisies - Clément Rosset

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Le 22/08/2010 à 07:44

 

CIV – Pages choisies

 

 

de Clément Rosset (1939-2018), Le Réel. Traité de l’idiotie, Les Editions de Minuit, “Reprise”, 1997/ 2004, pp. 39-40 : 

 

Nous disons : toute réalité est nécessairement quelconque, à la fois déterminée et fortuite, donc insignifiante. Nous disons aussi : lorsqu'on attribue une signification au réel on lui prête une valeur imaginaire, valeur ajoutée à la perception de la réalité, laquelle peut toujours s'interpréter en termes de simple hasard. Nous disons encore : il n'y a pas de secret de l'Histoire, pas de mystère du devenir. Le devenir est sans mystère car il advient comme la démarche du Consul de Malcolm Lowry [Au-dessous du volcan], somehow anyhow : de toute façon d'une certaine façon, c'est-à-dire n'importe comment — et il est étrange que tant d'énergie intellectuelle se dépense à vouloir percer à jour le sens du devenir et la raison de l'Histoire, c'est-à-dire le sens de ce qui n'a pas de sens. Ces propositions, la thèse générale qu'elles expriment, ne sont pas des propositions descriptives mais des propositions critiques. Elles ne visent pas à décrire, encore moins à épuiser, la richesse du réel, mais à critiquer les appréciations portées sur lui, appréciations en termes de sens ou de valeur qui sont autant d'ombres portées sur la véritable « valeur » ou « nature » du réel. Rendre le réel à l'insignifiance consiste à rendre le réel à lui-même : à dissiper les faux sens, non à décrire la réalité comme absurde ou inintéressante. Et surtout pas à décrire comme anodin le fait qu'il existe une réalité, ignorant ainsi, ou croyant l'éliminer à peu de frais, la question ontologique. Nous disons que ce qui existe est insignifiant, que le hasard peut très suffisamment rendre compte de tout ce qui existe ; cette thèse demeure ambiguë si l'on omet de préciser qu'elle vise ce qui se passe dans l'existence, mais naturellement pas le fait de l'existence elle-même, le fait qu'il existe quelque chose. De ce fait — qu'il y ait quelque chose et non pas rien — il est vain de penser qu'il est « signifiant » ou « insignifiant », car il est de toute façon vain d'essayer d'en penser quoi que ce soit (sauf à être illuminé ou en contact avec Dieu, considéré comme auteur du fait ontologique). De la même façon, le hasard, qui permet de comprendre dans le calme tous les aléas de l'existence, ne permet aucunement de comprendre le fait de l'existence : dire qu'il y a de l'être par hasard serait avancer une proposition absurde. Il n'y a pas de mystère dans les choses, mais il y a un mystère des choses. Inutile de les creuser pour leur arracher un secret qui n'existe pas ; c'est à leur surface, à la lisière de leur existence, qu'elles sont incompréhensibles : non d'être telles, mais tout simplement d'être.

 

 

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