830 - Chante, chante barcarol (13)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Chante, chante barcarol

 

(Paris – Venise – Vérone – Padoue – Paris)

 

Journal extime

 

(23 octobre – 5 novembre 2017)

 

 

13

 

 

4 novembre

Matin

J’ai reçu un courriel de M.-C. : à nouveau (« on ne va pas multiplier les politesses », dit-elle en guise de prétérition), elle me remercie du message et des photos de l'exposition Dada que je lui avais envoyées la veille, de l'avoir « fait bénéficier de [m]on grand sens de l’organisation en voyage », ajoutant avec humour à son énumération « [m]on infaillible GPS », et se dit « un peu inquiète de [s]es oublis et distractions multiples », sur quoi elle a paru s’obséder en effet depuis le voyage raté à Londres... Elle me dit avoir « discuté de notre périple avec [s]on frère, qui [lui] a conseillé une série de guides de voyages culturels », tout en m’indiquant un lien. Bref, même à distance, nous jouons notre partition de duettistes italiens, et je m’amuse de ces considérations.

 

Je me rends à la Cité de la musique afin de voir l’exposition Barbara, laquelle se trouve quasiment sur les lieux mêmes de son concert à Pantin à l'automne 1981.

 

830 - Chante, chante barcarol  (13)

En la parcourant, je me dis que les aficionados de la (pas toujours) longue dame brune (ainsi que l’attestent les documents concernant sa jeunesse, ou les photos les  plus récentes) n’y auront — pas plus que dans le film de Mathieu Amalric qui lui était consacré — certainement rien appris de bien nouveau ni de bien bouleversant. Cependant, ce n'est pas là sa vocation première, et le visiteur se trouve souvent confronté à des choses amusantes, à bonne hauteur de l'humour souvent éprouvé de la dame.

Ainsi de cet extrait de vidéo (vu déjà dans le film d'Amalric) où Barbara, mi-mutine mi vacharde — peut-être aussi pour exorciser ce que la réminiscence pourrait avoir de douloureux ou de tragique — dialogue avec un accordeur, chargé de mettre au diapason 442 le piano noir, homme à l'apparence bonasse et bien plus âgé qu’elle : elle lui parle de son passé d’enfant fuyant les nazis : « Vous ne vous en souvenez pas, n’est-ce pas, vous n’étiez pas né ? » [ou quelque chose d’approchant], tout en ajoutant « Moi qui ai plus de quarante ans » puis rectifie aussitôt en singeant la coquetterie : « enfin non, pas tout à fait ».

Ainsi de l’extrait du film de Jean-Claude Brialy, l’Oiseau rare, où elle s’inquiète de la santé d’un poisson rouge…

Ainsi de cette couverture d’un journal à scandales qui marie le même Brialy  à « [s]a dame en noir »…

 

830 - Chante, chante barcarol  (13)

Ainsi encore de ce « Fairy Tale » parodique qui multiplie les clins d’œil, les allusions et les double sens, sous forme de roman-photo, The Swan Prince, publié dans Vogue en janvier 1987, mis en scène par la photographe Arthur Elgort, au profit de l’AMFAR, une association américaine pour la lutte contre le SIDA. Elle y figure aux côtés de Mikhaïl Baryshnikov — qui, me semble-t-il, avait dansé sur la chanson intitulée Pierre, chorégraphie qui, si elle a bel et bien existé, a pu échapper aux prises des organisateurs de l’exposition, à moins que ce ne soit moi qui l’aie inventée1

 

Once upon a time there was a Prince named Siegfried. He was sweet, but tragic. You see, mes enfants, our Prince had a tragic (but sweet) obsession with swans. Oh yes, much like his ancestor, the Bavarian Ludwig, he simply adored little feathered creatures… swans, that is.

He wasn’t remotely interested in anything a proper young member of royalty should be… no… not fast cars, or yachts, or gambling, or girls, or South African economic sanctions… mais no… why, not even cocaïne, my dears… just swans.

In the morning the Prince loved to read to his swans… stories about worms and insects and crumbs and big baguettes… then he told them a secret — that very soon Mme Mitterrand would have lots of time to come and feed them in the park.

Meanwhile Siegfried’s mother, the Queen, was deeply disturbed by her son’s strange behaviour.

« How wil he ever produce an heir ? » she lamented.

She surrounded him with ravishing beauties, delicious damsels, even the precious princess of Fam… but to no avail.

The Queen was exasperated.

She blames the girls for this misfortune — in a fit of pique she commanded Mireille to wear Marcel Griffon for the rest of her life ! What a tragedy !

The Queen began to fear that her son’s case might be hopeless. But she held on the dream that by some miracle the Prince might become a real man… A Belmondo, a Delon, a Pasqua.

 Having exposed her son to women, sports, psychiatry, minéral baths, foot massages and the Church — all to no avail — the Queen took matters into her hands… she gave a dinner party !

She surrounded the Prince with all the most éligible Princesses in the land… and had the affair catered by La Coupole.

But Siegfried rejected these women one by one… they just weren’t right… something missing… je ne sais quoi… they just didn’t have any… uh… well any… feathers !

 

 

830 - Chante, chante barcarol  (13)

*  *  *

 

J’achète, après quelques hésitations, le catalogue (auquel je retire[rai] seulement [le 24 novembre] son enveloppe de cellophane.)

L’intégrale discographique en revanche, quoique peu onéreuse, n’ajoute pas grand-chose à la précédente (achetée le 5 novembre 2012, si j’ai bonne mémoire, le jour où je rencontre Julien X), et je décide de m’en abstenir.

 

*  *  *

Vingt ans.

Je pense à vous, qui m’avez appris — tant appris2 —, tant et autant que bien des livres (mis bout à bout).

Je pense à vous souvent, même si les pensées toujours s’espacent, l'habitude prenant le relais du deuil ("vous disiez [qu'elle disait] pas une larme…", n'est-ce pas ?).

 

Lors de la crémation de J.-M., plutôt que Quand ceux qui vont…, choisi par Patrice, j’avais aussi voulu qu’on entendît Rémusat : J.-M. avait porté le deuil de sa propre mère dans les derniers mois de son cancer — la même maladie ayant emporté cette dernière quelques mois auparavant, et tous deux ayant su qu'ils l'avaient contractée presque au même moment.

 

Je me permets — aujourd’hui — ce nouvel emboîtement…

 

-=-=-=-=-=-=-

1. C'est moi qui sans doute ai été distrait, le fait étant avéré. Dans le catalogue de l'exposition (p. 209), je lis en effet : « C'était une rencontre tout à fait extraordinaire […]. Il avait appris le français sur mes disques. J'ai entendu une toute petite voix qui disait : “Allô, Barbara...” C'était Mikaïl Barychnikov. On ne s'est pas dit grand-chose, j'étais tout à fait bouleversée. Puis, peut-être deux, trois ans après, j'ai entendu la même voix avec beaucoup plus d'assurance — il faut dire qu'il parle très bien français maintenant — qui disait : “Bonjour, c'est Misha Barychnikov, j'aimerais que vous acceptiez que je danse sur vos chansons.” […] Il a choisi Pierre, le Mal de vivre et la Cantate. […] »

(Barbara au micro de Jacques Chancel dans Quotidien Pluriel, 2 janvier 1987.)

 

830 - Chante, chante barcarol  (13)
830 - Chante, chante barcarol  (13)

2. A moins que — plutôt —, en écoutant vos chansons, je ne me sois tant (re)trouvé ?

 

*  *  *

 

 

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