831 - Chante, chante barcarol (14)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Chante, chante barcarol

 

(Paris – Venise – Vérone – Padoue – Paris)

 

Journal extime

 

(23 octobre – 5 novembre 2017)

 

 

14

 

4 novembre

Fin d’après-midi

Nous parcourons l’exposition Gauguin du Grand Palais, Judith, N. et moi. Je m’adapte à leur rythme, un peu rapide, même si aucun ne suit l’autre, chacun dessinant son propre lacis dans des salles de toute façon trop peuplées.

Beaucoup d’œuvres proviennent d’Orsay. Tout cela vient après Copenhague,

 

831 - Chante, chante barcarol  (14)
831 - Chante, chante barcarol  (14)

après les très beaux tableaux de la fondation Louis Vuitton, et l’espace manque donc pour ne pas devoir processionner...

 

J’invite Judith et N. à prendre un verre ensuite.

Comme je dis aller peut-être en Andalousie après Noël, N. dit que jamais il ne mettrait plus les pieds en Andalousie après que le gouvernement madrilène a contraint le leader indépendantiste à l’exil. N., ensuite, part en torche parce que je me fais l’écho — en vérité, c’est un peu pour le sonder et connaître davantage sa position — sur la façon dont les médias français ont critiqué les velléités d’indépendance catalane tous ces derniers mois.

Toujours curieux de sa réaction, je dis alors que les médias français ont plutôt prétendu, implicitement ou très explicitement, à une lâcheté, et N. s’emporte davantage, alors même que je n’émettais naturellement pas un avis personnel. Lui présente les choses tout autrement : Carles Puigdemont n’a pas fui à l’étranger, il a agi, au contraire, en grand tacticien. Et je suis d’autant plus surpris de cette fureur à peine contenue que je n’ai jamais vu N. se mettre en colère de la sorte, ni d’ailleurs prendre fait et cause pour quoi ou qui que ce soit... Il soutient alors que l’indépendance de la Catalogne a des raisons historiques évidentes, en référant à la guerre civile, et, comme je le sais petit-fils de Républicains espagnols réfugiés en France, je tais mon étonnement de l’entendre soutenir avec tant de ferveur un conservateur qui n’a peut-être pas de si bonnes raisons de réclamer l’indépendance de sa région. Je hasarde tout de même avoir entendu un avis critique d’un intervenant sur un plateau de télévision, qui avait un tout autre point de vue — mais je le fais sans trop appuyer : je ne suis, d’une part, guère documenté sur la question, et, d’autre part, je suis peut-être un peu trop sensible en revanche au charme de Juan Branco…

 

Soir

Quand j’arrive chez lui, je trouve Patrice en train de siroter — si tel est le terme — un verre de vin rouge à la cuisine. Il s’excuse à ce sujet : il vient de finir la bouteille (peut-être déjà entamée auparavant) et n’a rien d’autre à m’offrir.

Je le brocarde gentiment, tout en lui proposant de nous rendre tout bonnement au restaurant pour un (autre) apéritif.

L’endroit, même si nous errons un peu, est beaucoup plus proche qu’il le pensait, et les rues empruntées montent bien moins qu’il l’avait annoncé. Aussi avons-nous vingt minutes d’avance. Tout en cheminant ainsi, je lui retrace, à sa demande, à grands traits, mon séjour en Italie.

Nous trouvons à proximité un bar à vins, qui vient d’ouvrir (c’est le second jour d’ouverture est-il précisé sur une ardoise). Les tarifs y sont parisiens. Mais le chardonnay que nous commandons est meilleur qu’on pouvait le craindre.

 

Anne appelle sur le portable de Patrice, qui nous souhaite une bonne soirée.

Elle a eu des moments difficiles, pensant même peut-être devoir mettre la clé sous la porte. Mais, après qu’un autre artisan a pris sa retraite,  une clientèle nouvelle a fini par progressivement arriver.

Anne s’ennuie évidemment un peu d’être seule à La R***.

Ils sont allés en été dans le Vaucluse.

Je donne à Patrice des nouvelles de F. et Pascal.

 

Nous sommes bientôt attablés dans ce restaurant indien où j’ai réservé.

Patrice se laisse aller à ce flux verbal presque continu, qui le caractérise presque autant que son frère. (Je retrouve d’ailleurs le rire de J.-M., qui ponctue certaines assertions.)

Il développe assez longuement des difficultés professionnelles qui se sont multipliées depuis qu’il a obtenu une promotion. De fait, ce n’est pas une sinécure d’être chef de service quand quelque type pistonné s’avère inefficace — et fait tout pour déroger à ses obligations.

Il me dévoile ainsi par petites touches certaines des coulisses de son travail dans un grand musée parisien. Cela m’intéresse. Il me parle de l’antenne du Louvre à Abu Dhabi, où, selon les échos qu’il en a, sur place, l’amateurisme règne en maître.

Il se rendra bientôt à Tunis pour faire une conférence au Musée Bardot sur la gestion, l’acheminement et l’accrochage des œuvres que l’on fait venir des musées du monde entier [si ma mémoire est bonne]. Son séjour lui sera payé intégralement pour moins d’une heure d’intervention alors qu’il restera sur place trois jours : il compte donc profiter un peu de Tunis (il expose cela sans cynisme ni forfanterie, et nous savons bien lui et moi que d’autres frais autrement plus scandaleux sont facturés dans d’autres occasions…).

 

Le restaurant s’avère assez décevant. L’agneau que j’ai commandé est sec et filandreux, un comble pour une viande au curry... Et, naturellement, les vingt-cinq euros de remise dont je bénéficie et veux faire profiter Patrice ont été oubliés sur l’addition. Je dois donc réclamer pour les rétablir.

 

Nous poursuivons la soirée, tout près de chez lui, dans ce bar d’habitués qui l’interpellent, le plaisantent, dans une atmosphère, qui, pour bon enfant qu'elle soit, hache la conversation.

L’alcool joue son effet négatif, en outre, qui brouille à mesure les idées, empâte les phrases prononcées, engourdit jambes et reins (je songe à N***, qui commentait ce décalage, lequel, désormais, le tient à la distance et des gens et d’une empathie avec leur état).

L’envie me vient assez vite de prendre congé. J’aime bien Patrice ; je sais que je le distrais de sa solitude ; mais il me semble parfois un peu absent, bavard à vide, et poursuivant quelque songe dont il ne sait pas toujours faire bénéficier ses interlocuteurs — à moins que ce soit moi qui ne sache pas le suivre.

 

Le trajet de bus est long jusque Montparnasse. Je me cale dans mon siège.

En fait, lors ce trajet interminable, le sentiment de frustration que j’éprouve, est dû, plutôt qu’à ce long délai avant de retrouver le lit — d’ailleurs bien peu confortable — où me reposer des fatigues de la journée, bien davantage encore à la pensée du retour à ****.

Et j’ignore encore si je réaliserai mon idée — quoi que N. en ait —, d’aller en Andalousie…

 

 

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