835 - Des jardins sous la pluie (2)
Des jardins sous la pluie
Paris - Séville - Grenade - Malaga - Paris
(Journal extime, 24 février - 9 mars 2018)
2
Samedi 24 février
J’ai précédé le réveil, ainsi que, l’ayant en horreur, je sais si bien faire presque tous les jours : le train, pourtant, partait tôt — 8 h 11 — en gare de ****.
J’achève mes bagages, alternant dans leurs strates vêtements chauds et froids, et décidant de revêtir la veste trois quarts en cuir, dont la doublure chaude est chaude (je ne sais pas encore combien j’aurai finalement eu raison de me prémunir contre le froid, contre les intempéries).
Je le constate d’ailleurs en poussant ma valise vers la gare : il fait vraiment froid.
Paris, matin
Je suis content de retrouver Patrice — et J.-M. à travers lui, qui nous survit et nous prolonge.
Nous faisons des courses. Nous déjeunons ensuite.
(En préparant à manger, il raconte : le catalogue de l’exposition qu’il avait contribué à organiser a reçu un prix. Il s’en réjouit, ne sachant pourquoi on avait mis tant « de bâtons dans les roues » — c’est, je crois, l’expression que Patrice utilise — à la commissaire de ladite exposition.)
Emma, qui avait démissionné, s’est trouvé un nouveau travail, qui lui convient beaucoup mieux : les horaires en sont plus tardifs, les cadences, plus humaines : son nouvel employeur, qui a environ trente-cinq ans, vient de Rouen ou de Caen — l’une de ces deux villes, Patrice a oublié laquelle — et travaille en même temps que ses employés dans le laboratoire — il me semble que c’est là le terme technique idoine — où chacun vaque à la préparation des pâtisseries.
Après-midi
C’est l’avant-dernier jour de l’exposition Degas, danse, dessin.
Malgré le froid, aggravé d’un vent vif, je décide de m’y rendre. En l’absence de toute nouvelle de N***, dont j’espère qu’il n’est pas à New Delhi (je lui avais demandé de me prévenir — et en doute), je suggère, si cela lui convient, que nous dînions ensemble Patrice et moi.
J’envoie, malgré tout, des messages à Duncan — que je n’ai pourtant qu’à demi envie de voir — et à B.
Dans la file d’attente et le froid, sur le parvis du musée, je lis. Il est plus de seize heures, et une partie de la queue est rabattue vers l’entrée réservée aux billets prépayés et aux groupes, ce qui absorbe un bon quart des personnes qui me devancent. Vingt minutes plus tard, je me trouve à l’intérieur, au chaud, obligé de retirer et tenir sous le bras deux épaisseurs de vêtements.
Comme d’ordinaire, beaucoup trop de monde piétine dans l’espace exigu du cinquième étage.
L’exposition me donne envie de relire le texte de Valéry, dont des extraits rapportant les circonvolutions d’une méduse aux évolutions d’une danseuse sont évidemment d’une poésie (d'une érotologie ?) puissante
(plus saisissante que ses poèmes, que j’ai toujours trouvés très cérébraux et trop fabriqués, alors que la théorie littéraire valérienne, les fulgurances de sa pensée, cette « poétique » qui allait devenir une discipline autant qu’une revue, trouvaient sous sa plume de vraies expressions, justes et parlantes, tandis que les notations de ses carnets fourmillent de simples indications comme autant d’intuitions justes ou visionnaires).
Les dessins des cahiers de Valéry sont, également, très beaux — et offrent une belle rencontre avec les croquis de Degas.
(Je me reproche de n’avoir pas encore ouvert le volume des Cahiers que j’avais acheté lors d’un précédent séjour à Paris.)
Je vais ensuite à pied jusque Odéon, non sans passer tout près du musée Delacroix, en note les heures d’ouverture — j’avais entendu parler d’une exposition sur les rapports du peinte avec l’orientalisme et avais alors conçu l’envie de m’y rendre.
J’ai reçu un SMS de N***, qui me dit qu’il me rappellera plus tard…
B., également, m’a contacté.
Soir
Nous dînons dans un restaurant coréen, que Patrice a choisi et qu’à ma demande il a réservé. Ce que nous mangeons est bon, mais l’endroit, plutôt grand, est bondé, les groupes de clients succédant à d’autres, tant et si bien que — impression renforcée par certaines grandes tablées — il prend les allures d’une cantine.
Nous poursuivons les pointillés de notre conversation. Emma et son compagnon auront un pavillon neuf en banlieue qui leur sera livré en 2019. Je m’étonne de cette envie de propriété chez de si jeunes gens. J’apprends alors — je pensais le contraire — que Patrice et Anne ne sont pas propriétaires de leur appartement ; ils ne paient cependant que mille euros de loyer, ce qui, pour Paris, étant donné la surface de leur quatre pièces, est loin d’être excessif.
Nous sacrifions ensuite au rituel du petit café de quartier que fréquente Patrice.