838 - Des jardins sous la pluie (4)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Des jardins sous la pluie

 

 

Paris - Séville - Grenade - Malaga - Paris

 

 

(Journal extime, 24 février - 9 mars 2018)

 

 

 

 

4

 
 

 

Lundi 26 février

Matin

Je ne suis pas parvenu la veille à déclarer les heures de la femme de ménage qui, depuis désormais quatre années, me libère de tâches ménagères ingrates que j’assumais jusqu’alors, me procurant ainsi un précieux loisir — qu’augmente un temps partiel (de quelques heures seulement, sans que j’aie jamais pu parvenir à seulement trente-cinq heures pour autant) à mon travail. Sur mon ordinateur de bureau à ****, les mots de passe nécessaires sont enregistrés ; or, je m’avère incapable de les retrouver, à mon grand dam, n’ayant pas du tout prévu de rencontrer cet obstacle sur mon ordinateur de voyage... Je ne voudrais en particulier pas que le paiement des heures effectuées chez moi s’en trouve différé, sachant fort bien combien il est difficile à Madame V***** de joindre les deux bouts.

Je me résous à téléphoner à mon père pour qu’il retrouve en faisant une incursion chez moi identifiants de connexion et sésame idoines, et que je puisse régler la question. J’ai, avec lui, une communication catastrophale : non seulement la liaison est si mauvaise qu’elle hache nos phrases, mais je dois constater qu’il est de plus en plus sourd, et, qui plus est, paraît ne pas vraiment comprendre ma requête. Il est vrai qu’il se trouve chez le coiffeur, ce qui m’oblige à écourter d’autant mieux que je sens que je le contraindrais inutilement en insistant. Mais mon agacement s’augmente d’un peu de détresse le concernant.

Je décide alors de m’en remettre à ma sœur. Dans la demi-heure qui suit, en fouillant dans mes papiers selon mes instructions au téléphone, elle met la main sur le document nécessaire, ce qui me permet de faire ma déclaration.

Mon père, dont l’incurie m’avait interpellé, rappelle pourtant. Je lui précise la situation et le remercie.

 

J’achète sur Internet mon billet SNCF pour mes prochaines vacances, sans certitude que F. et Pascal pourront me loger.

 

 

Après-midi

Aymeric, avec qui j’ai rendez-vous, se trouve déjà sur le parvis du Centre Pompidou dans la file d’attente.

 

L’exposition David Goldblatt

 

 
David Goldblatt (29 novembre 1930 - 25 juin 2018) © Internet (ajout du 25 juin 2018)

David Goldblatt (29 novembre 1930 - 25 juin 2018) © Internet (ajout du 25 juin 2018)

— si nous sommes moins convaincus par les deux autres que nous parcourons ensuite — nous plaît beaucoup.

 
© Internet
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Nous visitons aussi, dans la bibliothèque des lieux, l’exposition consacrée à Jean Echenoz, petite et d’autant plus confidentielle en vérité qu’il faudrait être parfois mieux éclairé sur son œuvre — Aymeric ne l’a jamais lu — pour en apprécier davantage les éléments, alors que, placardée dans ces vitrines, la lecture en semble  fastidieuse — et comme réservée à des initiés. Cependant, une phrase qui m’avait frappé (et amusé) de 14 se trouve reproduite sur l’un des panneaux.

Avant cela, nous avons pris un premier verre dans la cafétéria de l’endroit.

 

Cette fois, comme pour me rattraper de mes moments mutiques de la fois précédente, je parle beaucoup — Aymeric me prêtant son oreille, occasion pour moi de mettre en forme ce qui a pu m’agiter les derniers mois écoulés.

Depuis que nous nous sommes vus, j’ai d’ailleurs tenu une sorte de journal intempestif, lapidaire et lacunaire, dont je ne sais s’il aura quelque jour prolongement ici, tant il faudrait l’expliciter et remplir les vides…

(Lui ne parlera de façon suivie que lorsque nous serons attablés, le soir, au restaurant.)

 

 

Il me surprend quand, sortis de Beaubourg, il me demande dans quelle direction il faut aller pour rallier Bastille.

 

On s’habitue au froid, intense, installé depuis quelques jours. C’est du moins ce que je prétends. Mais Aymeric dément, en tout cas pour lui : il est un Breton peu habitué au gel. (Le Lorrain ne rétorque pas.)

 

Nous prenons l’apéritif Place du marché Sainte-Catherine. La conversation porte sur l’enchaînement à marche forcée des réformes du nouveau gouvernement, élu pourtant par défaut, qui, comme moi, laisse Aymeric sidéré, tout ainsi que l’apathie de l’opinion publique (la résignation générale, selon Aymeric), et qui — cela, c’est moi qui l’ajoute, sans que je l’aie vraiment pensé sur l’instant — détricote un à un des doits obtenus de longue lutte, et nous laisse dépossédés.

 

Nous dînons dans ce restaurant rue de Lappe où nous sommes déjà allés (où je suis aussi allé avec Khadija, et plusieurs fois avec T.) : c’est une soupe à l’oignon en place de la soupe au potiron commandée par Aymeric qu’apporte le serveur. Puisque, finalement, après que le garçon est revenu de cuisine, il n’y a plus de soupe au potiron, Aymeric accepte cet autre potage.

 

 

Mon tajine est bon, un peu trop copieux pour un appétit modéré comme le mien.

 

Aymeric enfin parle.

Le pavillon acheté avec son ancien compagnon à F****** sera mis en vente au début du mois de mars. Ce qui nécessairement viendra bouleverser son existence ne paraît pas l’affecter outre mesure (c’est, il est vrai, un projet de date de la part de son ancien compagnon, et il s’y prépare depuis dix-huit mois au moins).

Comme pour confirmer la sérénité que je lui prête, il se dit un contemplatif (à l’instar de son père, et déjà de son grand-père).

Il me retrace son entretien, si totalement inutile, avec un conseiller de Pôle Emploi. Il entend profiter le plus possible du loisir que le hasard lui a offert, heureux de cette parenthèse, et j’ai dit déjà combien je l’approuvais à ce sujet.

Par association d’idées, il me demande des nouvelles de Khadija. (J’ai raconté Adrien, entre-temps, ainsi que toutes sortes de désagréments professionnels qui accroissent mon impatience d’être à la retraite.)

 

Nous parlons assez longuement du délabrement des corps, de la vieillesse, de sa hantise, que je partage, de la dégénérescence, de la mémoire qui s’en va... La fréquentation de sa mère lui étant donnée tous ces temps derniers, il me dit sa peur de devenir comme elle. Sur le même mode, je lui dis alors combien je ressemble physiquement à la mienne — même s’il m’arrive de plus en plus aussi (ce que je ne me serais jamais avoué, je crois, vingt ans plus tôt !) de me trouver des airs de famille avec mon père...

Tandis que nous devisons ainsi, il me semble lui voir poindre un semblant de ventre.

En revanche, je m’étonne toujours de lui voir le cheveu si noir. Le temps, en outre, bien qu’il ait la cinquantaine passée, ne lui a que peu griffé les traits…

 

 Si nous passons plus de temps ensemble que la fois dernière, je me sens frustré de ne pouvoir prolonger malgré tout : je ne veux pas rentrer trop tard, afin de prendre congé de Patrice, que, partant tôt, je ne verrai pas le lendemain.

 

 

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